Connaissiez-vous Freud hypnotiseur?


PSYCHOLOGIE - Le nom de Freud est étroitement associé à une méthode d'analyse psychologique qui consiste à rechercher des significations "inconscientes" dans les "associations libres" produites par un patient couché sur un divan. Le grand public ignore généralement que le célèbre Viennois a pratiqué l'hypnose durant une dizaine d'années (de 1887 à 1896-1897) et qu'il est resté confiant dans le pouvoir de cette méthode pour découvrir des processus inconscients.

Dans le tout dernier article de sa main -resté inachevé- il écrivait: "On peut mettre en évidence expérimentalement chez des personnes hypnotisées qu'il y a des actes psychiques inconscients et que la conscience n'est pas une condition indispensable de l'activité. Quiconque a assisté à cette sorte d'expérience en a reçu une impression inoubliable et a acquis une conviction inébranlable" (Quelques leçons élémentaires de psychanalyse. Trad. PUF, Œuvres complètes, XX p. 313).

Parti à Paris en 1885 pour des recherches en neuropathologie, Freud s'est installé à son retour à Vienne comme clinicien, « médecin des nerfs ». Il a alors adopté l'idée de Charcot que la technique hypnotique est le procédé souverain pour étudier scientifiquement l'"hystérie", "un terme, écrit Freud à cette époque, dépourvu de signification un tant soit peu circonscrite".

Ensuite, influencé par des Viennois partisans de l'hypnotisme et les traitements de Liébeault et Bernheim vus à Nancy, Freud a pensé que la procédure hypnotique était le meilleur traitement des "névrosés", qualifiés pour la plupart d'"hystériques". Il écrivait en 1890: "L'hypnose confère au médecin une autorité que n'a sans doute jamais possédée le prêtre ou le thaumaturge, en concentrant l'ensemble de l'intérêt psychique de l'hypnotisé sur la personne du médecin". Il a alors publié des textes enthousiastes sur l'efficacité de l'hypnotisme, écrivant par exemple: "Le reproche selon lequel l'hypnose ne guérirait que des symptômes -et encore, uniquement pour une période brève- est injustifié. [...] Dans toute une série de cas où les manifestations morbides sont d'origine purement psychique, l'hypnose remplit toutes les exigences d'une thérapie causale, et le procédé consistant à interroger et à apaiser le malade sous hypnose profonde s'accompagne alors la plupart du temps du plus éclatant succès".

Beaucoup de personnes -même parmi les analystes freudiens- pensent que Freud a pratiqué durant cette période la méthode décrite par Breuer dans les Études sur l'hystérie, consistant à se remémorer des "réminiscences" traumatiques sous hypnose. Il n'en est rien. Freud savait dès 1882 que la procédure appliquée à "Anna O." (Bertha Pappenheim) s'était soldée par un échec cuisant.

En réalité, l'hypnose pratiquée par Freud était autoritaire et directive, inspirée des enseignements de Charcot et Bernheim. Elle visait à effacer les idées et souvenirs ayant provoqué les symptômes et à affirmer l'absence des symptômes. Ainsi il écrivait en 1888: "La suggestion satisfait l'ensemble des exigences d'un traitement causal dans toute une série de cas, par exemple dans les troubles hystériques qui sont la conséquence directe d'une représentation pathogène ou le dépôt d'une expérience traumatisante. Grâce à la suppression de cette représentation ou à l'atténuation du souvenir obtenues par la suggestion, on parvient aussi, en règle générale, à surmonter le trouble en question". Et en 1891: "La véritable valeur curative de l'hypnose réside dans la suggestion faite à cette occasion. La suggestion consiste à nier énergiquement les maux dont s'est plaint le patient, ou à l'assurer qu'il est capable de faire quelque chose, ou encore à lui ordonner de le faire. [...] Il faut communiquer chaque suggestion avec la plus grande des assurances, car l'hypnotisé remarque et exploite défavorablement le moindre signe de doute; on tuera dans l'œuf toute contradiction".

L'historien Mikkel Borch-Jacobsen vient de publier la traduction d'une dizaine de textes de Freud sur l'hypnose, dont plusieurs n'étaient pas encore disponibles en français. Il les a accompagné d'un extraordinaire appareil critique: 31 pages de notes érudites permettent de mieux les comprendre, de les situer et de mesurer leur degré d'originalité. L'ouvrage contient une iconographie exceptionnelle. On y voit par exemple la seule photo, à ma connaissance, d'un Freud relativement souriant (en vacances avec sa femme dans les Alpes autrichiennes), très différent du Freud sombre, pessimiste, tragique.

Le principal intérêt du livre réside dans les 170 pages d'introduction à la présentation des textes. L'auteur évoque le contexte de l'intérêt des médecins pour l'hypnose à partir des années 1880. Il montre l'évolution des conceptions de l'hypnotisme dans le monde scientifique: curiosité, enthousiasme, vives critiques et abandon à la fin du XIXe siècle. Dix-sept pages de "chronologie" permettent d'en situer les événements essentiels de 1866 à 1919.

L'intérêt de l'ouvrage ne se limite pas à l'histoire de l'hypnose et aux polémiques qu'elle a suscitées. Il montre comment Freud en est venu à développer sa propre méthode et, plus précisément, l'importance d'une patiente, la baronne Anna von Lieben -- qui fut pendant six ans sa principale patiente et source de revenus --, qui ne se laissait pas hypnotiser et n'arrêtait pas d'évoquer des souvenirs, notamment de son enfance. Où l'on voit que l'évolution des idées en psychothérapie doit beaucoup aux comportements particuliers de certains patients, comme Henri Ellenberger l'avait déjà montré.

Borch-Jacobsen a déjà par le passé découvert l'identité de plusieurs patients de Freud. Cette fois, il montre que le premier cas de guérison que Freud a publié -cas que Freud qualifia d'"hystérique d'occasion" -est sa propre femme, Martha, et que la « Miss Lucy R.» des Études sur l'hystérie, gênée par l'odeur subjective d'un entremets brûlé, est manifestement Minna Bernays, la sœur de sa femme!

Autre mérite de l'auteur: il montre comment Freud, de retour à Vienne, a maintenu une foi inébranlable dans les théories de Charcot sur l'hystérie et l'hypnose, alors qu'il ne voyait pas de patientes exhibant les comportements théâtraux, soi-disant typiques, adoptés à la Salpêtrière par de grandes "hystériques" comme Blanche Wittman. Freud avait écrit à sa fiancée: "Charcot est l'un des plus grands médecins qui soient et dont la raison confine au génie. [...] Aucun homme n'a eu autant d'influence sur moi". Charcot est resté son idole. À son exemple, il a tout fait pour devenir le maître de la psychopathologie, soignant des gens immensément riches, régnant sur une École, des élèves, des revues et des collections. Son bureau de consultation était la réplique de celui de Charcot : une sorte de musée, croulant sous les antiquités.

A l'heure où l'hypnose est à nouveau prise au sérieux par des praticiens de diverses disciplines, dont des psychologues et des anesthésistes, cet ouvrage apporte un éclairage remarquable sur des interrogations et des polémiques qui avaient déjà cours à la fin du XIXe siècle.

Pour aller plus loin:

2015-11-25-1448462087-799199-arton2126.png
Freud, S. (1886-1893) L'hypnose. Textes -- 1886-1893. Introduction et présentation de Mikkel Borch-Jacobsen. Paris: L'Iconoclaste, 2015, 410 p., 25,80 euros.

Lire aussi:

• Hypnose, méditation: pourquoi ces thérapies fonctionnent

• Avec l'auto-hypnose, de plus en plus pratiquée, les patients contribuent à leur propre guérison

• Quels sont les liens entre hypnose, bouddhisme zen et méditation?

• Pour suivre les dernières actualités sur Le HuffPost C'est la vie, cliquez ici

• Deux fois par semaine, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost C'est la vie

• Retrouvez-nous sur notre page Facebook

___________________________________

Open all references in tabs: [1 - 7]

Leave a Reply