Confessions d’une introvertie


PSYCHOLOGIE - Imaginez une tablée d'amis, un soir d'été, en terrasse autour d'une bière. Alors qu'une conversation démarre sur le sujet de l'épilepsie, l'un des convives lance : "Bon, un épileptique ne peut plus trop se servir d'écrans, mais bon, je préfère abandonner les écrans que les soirées entre amis !" L'un acquiesce, l'autre mentionne sa dernière soirée entre collègues. Et moi : "Je préfèrerais largement abandonner les sorties que les écrans, quand même."

Bonjour, je m'appelle Florie, et je suis introvertie.

Pour beaucoup, la notion d'introversion est une image un peu abstraite. C'est le copain bizarre qui restait tout seul au fond de la classe en seconde, les gens qui restent chez eux le samedi soir, les adeptes de Meuporg, la fille timide pour qui vous en pinciez au collège.

Mais pour un introverti, c'est bien plus que ces étranges clichés qui circulent en soirée. C'est se sentir comme un poisson rouge dans un bocal, à regarder le monde extérieur sans savoir exactement comment toutes ces interactions fonctionnent, alors qu'elles paraissent si naturelles pour les autres. C'est préférer lire que d'aller jouer dans la cour d'école, mais ne pas oser le dire à la maîtresse. C'est aimer passer du temps seul, dans l'incrédulité générale. Et c'est, d'ailleurs, reconnaître parfaitement les expressions de surprise, d'étonnement, de méfiance, d'incrédulité et de condescendance sur les visages des humains (essayez de les appeler "des humains" pour commencer, et vous aurez un aperçu de la chose).

Inadéquat

Pour moi, la conséquence la plus importante de l'introversion, c'est de passer son enfance et son adolescence à se sentir bizarre, pas comme les autres, inadéquat. A l'école maternelle, je préférais rester dans la classe à continuer mes activités toute seule plutôt que d'aller jouer avec mes petits camarades. Au collège, j'empruntais tellement de livres que la fiche bristol du CDI était remplie en moins d'un semestre. Je parlais de Dragon Ball pendant que les autres filles commençaient à expérimenter le vernis à ongles, et la seule chose que je détestais encore plus que la récréation, c'était la cantine. Jusqu'à ce que je découvre la colonie de vacances.

Plus tard, je rejouais chaque été à Final Fantasy VII pour mon plus grand plaisir pendant que mes camarades commençaient à partir en vacances ensemble. Au lycée et à la fac, pendant que beaucoup découvrent les boîtes de nuit, l'alcool et autres substances, je lisais les intégrales de Georges Martin, Robin Hobb ou Isaac Asimov, je m'acharnais à monter chacune des classes de Diablo 2 au niveau 99 et à les équiper en faisant des Mephisto runs. La plupart de mes sorties consistaient à boire un verre avec une poignée d'amis proches, à faire des LANs, des parties de cartes Vampire ou Magic, et des jeux de rôle ou de plateau.

Et pendant tout ce temps, une question récurrente a occupé mes pensées : "Mais qu'est-ce qui cloche chez moi ?" "Pourquoi ne suis-je pas normale ?" "Pourquoi je trouve les boîtes de nuit bruyantes et ennuyeuses alors que tout le monde a l'air de tellement apprécier ?" "Est-ce que c'est si grave que ça d'aimer lire ?"

Dans son livre "Stumbling Upon Happiness" (Et Si le Bonheur Vous Tombait Dessus ?) le psychologue Daniel Gilbert parle des croyances que le cerveau se façonne -- le soleil se lève à l'Est, les femmes sont énervées pendant cette période du mois, etc. Certaines de ces croyances sont basées sur l'observation de la réalité. D'autres en revanche sont ancrées parce qu'elles se sont propagées dans notre culture et deviennent "une vérité universelle", sans nécessairement avoir de fondement réel.

En d'autres termes, plus les gens répandent une croyance, plus elle s'ancre dans la société. Ce n'est pas tant la véracité des faits, mais sa viralité, qui en fait une "vérité générale".

Maintenant, imaginez deux types de caractère : l'extraverti, qui aime le contact, les sorties, les relations humaines, les soirées en boîte et les vacances entre potes ; et l'introverti, le rêveur qui lit, passe des 'temps calmes' dans sa chambre, aime bien être seul et se sent mal à l'aise lorsqu'on dépasse une dizaine d'humains dans la pièce. Quelle croyance se répandra le plus facilement, que c'est le caractère introverti, ou extraverti, qui est normal ?

Nous grandissons dans une société où le caractère extraverti est considéré comme la norme, et l'introverti comme un énergumène, un être étrange, anormal, inadéquat. Et nous introvertis, nous nous retrouvons à nous demander ce qu'il manque dans notre cerveau pour mieux comprendre et apprécier les foules, la mauvaise techno et la gueule de bois. Dans l'adolescence, une période ou l'identité se construit et l'estime de soi est déjà fragile, il ne fait pas bon être introverti.

Méconnu

Comme Oliver Emberton l'explique très justement dans cet article, c'est ceux qui font le plus de bruit, et sont donc vus par le plus de monde, qui seront remarqués, appréciés, suivis. Peu importe la qualité de l'idée, du projet, de l'œuvre, ou du travail, si personne n'en entend parler, elle ne sera pas reconnue ni soutenue.

Dans le quotidien, cela fonctionne de la même manière. Ceux qui se font le plus remarquer, dans un groupe, dans le travail, en famille, dans une association, sont ceux qui savent se faire connaître. Le plus souvent, des extravertis, donc. Un introverti osera moins prendre la parole. Souvent, les introvertis font leur travail dans leur coin, ils écrivent dans leurs petits carnets ou jouent de la musique chez eux, montent leur petit projet, et n'osent pas toujours en parler. Il est d'autant plus difficile de prendre la parole lorsqu'un extraverti juste à côté commence à balancer plein d'idées sur un ton assuré et convaincant.

D'autant qu'aujourd'hui, pour les mêmes raisons qui font que l'on considère le fait d'être extraverti comme normal, les traits de caractère d'un extraverti sont les plus appréciés et mis en avant. L'ambition est une qualité, il faut savoir se vendre, être exubérant, sympathiser de manière naturelle avec son entourage. L'heure actuelle n'est ni au calme, ni à la modestie, et l'introverti a souvent du mal à trouver sa place dans ce genre d'environnement.

S'agit-il d'humilité, de peur du rejet, de retenue, ou simplement de ne pas souhaiter se mettre au centre de l'attention? Les raisons varient, mais le résultat est le même : l'introverti se met peu en avant, il s'exprime moins, se "vend" moins. Et pourtant, il s'en passe, des choses, dans nos têtes ! Nous avons probablement autant d'idées, d'envies, de projets, de choses à apporter qu'un extraverti, mais vous ne le savez pas (encore).

Animal social

Je me souviens d'une discussion avec un ami, dans une ville où je vivais depuis deux ou trois ans. J'étais une jeune adulte, et je me demandais comment il se faisait que je n'avais que deux ou trois amis dans la ville, depuis le temps ? Et que faire pour en rencontrer d'autres ? Peut-être avez-vous déjà eu cette discussion avec un ami timide.

"Par exemple, tu vas à une soirée, au lieu de rester avec les quelques personnes que tu connais déjà, vas donc discuter avec d'autres invités !

- Oui mais comment ?

- Qu'est-ce que tu veux dire, "comment" ? Tu vas vers un groupe, ton verre à la main, et tu leur dis bonjour !

- Mais après leur avoir dit bonjour, je fais quoi exactement ? Je leur parle de quoi ? Comment je sais qu'ils ont envie de parler avec moi ?"

C'est généralement à ce moment-là que l'ami extraverti perd patience ou abandonne le sujet. Parce que c'est naturel chez lui d'aborder un étranger, trouver quelques mots à lui dire, lancer une conversation, repartir avec un numéro de téléphone et un apéro dans l'agenda. Comment expliquer à un autre ce qui paraît naturel pour soi-même ? Avez-vous déjà essayé d'enseigner le français à un grand débutant ?

Mais ce que les extravertis ne comprennent pas, c'est que toutes ces choses-là ne sont pas naturelles pour nous introvertis. Prendre la parole, aborder quelqu'un, formuler une demande, tout nécessite un temps de réflexion, comment tourner les choses, que faire si la personne réagit d'une manière inattendue ? Alors, la plupart du temps, nous n'osons pas, nous restons dans notre zone de confort. Nous admirons ces gens qui ont une repartie incroyable, lancent une conversation comme de rien et font rire l'assemblée.

Dans un groupe, j'oscille souvent entre un silence indécis et une remarque spontanée, parfois trop, pour me rendre compte trop tard que j'ai peut-être commis un impair. Puis je retombe dans un silence circonspect, le nez vers le sol. Comme ce jour, à la fac, où j'ai lancé spontanément que je n'aimerais pas être encore étudiante à vingt-six ans, juste avant de me rendre compte que l'un des membres de l'assemblée avait très précisément... vingt-six ans.

Alors les gens nous voient comme maladroits, ou asociaux, peut-être même nous croient-ils méchants. En réalité, nous sommes des animaux sociaux au même titre que n'importe qui d'autre, c'est juste qu'il nous faudrait un mode d'emploi.

La preuve en est, grâce à Internet, les introvertis peuvent enfin se retrouver, et réaliser qu'ils sont bien plus nombreux que ce que les croyances populaires nous ont laissé croire pendant notre enfance. Je me souviens d'avoir publié les résultats du test de personnalité MBTI sur mon blog anglais il y a quelques années. J'ai simplement inséré une petite ligne indiquant l'existence du test et révélant que mon profil est INTJ. Quelle surprise, lorsque, commentaire après commentaire, les lecteurs de longue date confirmaient : "Je suis INTJ aussi, dingue !" "Moi aussi, je pensais être la seule !" "Moi, je suis INFJ!" Nous parlons de 1 à 3% de la population féminine (on n'est pas rendu, les gars), mais nous avions naturellement trouvé des affinités à travers la communauté de blogging minimaliste.

Mes quelques proches pourraient le confirmer, lorsque je suis en zone de confort -- en petit groupe, entourée de gens de confiance, au sein de mon travail -- c'est une autre personne qui surgit ; plus à l'aise, souriante, volubile.

Que faire de nous ?

Amis extravertis...

Nous ne sommes pas "bizarres", nous sommes différents de vous, et ce n'est pas très grave ! Aux amis bien intentionnés qui veulent nous aider à se faire plus d'amis :

  • Ne nous invitez pas à une grosse fête pour nous planter au milieu d'inconnus au bout de dix minutes, s'il vous plaît ! Si cela vous tient à cœur, proposez-nous plutôt un apéro ou un resto en petit comité, pas trop d'inconnus d'un coup...
  • Nous avons des choses à dire, des idées à partager, mais nous avons besoin d'un espace d'expression, d'être invités à prendre la parole, parce que la plupart du temps, nous aurons du mal à nous imposer en groupe.
  • Si nous vous disons que nous passons le samedi soir tranquille à la maison, ce n'est ni pour vous faire un appel du pied à nous inviter, ni parce que nous ne vous aimons pas (si nous avons ensuite refusé votre invitation). Nous avons parfois besoin de nous ressourcer, et samedi soir, là, on a envie d'être seul(e).
  • En revanche, si vous voulez manger avec nous, passer une soirée, n'hésitez pas à nous inviter ! Nous aurons beaucoup de mal à nous incruster, ou à oser vous demander de nous-même.
  • Si nous ne vous contactons pas souvent, ne le prenez pas comme une insulte ou un manque d'intérêt ! Souvent, nous ne pensons pas à ces choses-là sur le coup, et, le temps de se souvenir, de trouver comment vous aborder, il s'est passé tellement de temps que l'on n'ose plus faire le premier pas...
  • Nous avons peu d'amis, c'est vrai. Mais ils nous sont chers, nous prenons le temps de les cultiver, à notre manière, et nous faisons preuve de confiance et de loyauté.
  • Si vous avez un introverti dans votre entourage, qui vous paraît silencieux, un peu rasoir, dites-vous qu'il est probablement comme un iceberg : il n'y a pas grand-chose en apparence, mais il se passe probablement plein de choses dans sa tête. Il a probablement plein de centres d'intérêt, d'idées, et il mérite probablement d'être connu.

Amis introvertis...

Et moi-même, aussi. C'est sympa, la zone de confort, mais être introverti ne devrait pas être un joker pour ne faire aucun effort social...

  • Salut ! Vous avez vu, vous n'êtes pas seul. Il y a moi, aussi. Et des millions d'autres. Vous ne nous remarquez pas, c'est tout.
  • Essayez d'inviter vos amis pour une petite soirée, juste pour voir. Au pire, certains refuseront. La soirée aura probablement lieu, et non une apocalypse. Dans le cas contraire, vous passerez la soirée seul(e), ce qui n'est pas plus mal.
  • Pour aborder des inconnus, arriver avec son verre et dire "bonjour", ça marche ! C'est encore mieux si l'inconnu n'a pas de verre et vous en avez deux. Si vous ne savez pas lancer une conversation, avec un peu de chance, vous aurez un extraverti qui s'en chargera. Sinon, posez-lui des questions, les humains adorent parler d'eux-mêmes. Au pire, ce sera un court moment de malaise avant d'aller parler à quelqu'un d'autre.
  • Si vous voulez être invités plus souvent, invitez les gens, proposez ! Les extravertis ne mordent pas (toujours). Puis il y a peut-être d'autres introvertis qui n'osent pas vous inviter non plus.
  • Il existe plusieurs manières de rentrer en contact avec un ami ou une connaissance que l'on n'a pas osé contacter depuis des mois. Si le téléphone paraît difficile, pourquoi pas un petit message Facebook pour commencer ?
  • Si vous avez une idée, ne laissez pas les grandes gueules vous couper la parole. Préférer le silence est une vertu, mais si l'idée apporte vraiment quelque chose au groupe, osez en parler.
  • Acceptez-la, cette soirée ! Au moins une fois de temps en temps. Elle a peut-être l'air moins sympa qu'une soirée PS4-bière à la maison, mais la plupart du temps, une fois sur place, on s'amuse bien, quand même. Au pire, vous pouvez rentrer tôt, en collant le tout sur le dos de la RATP.
  • (Spécial dédicace au moi d'il y a 15 ans) Vous êtes aussi normal(e) que n'importe qui d'autre. Nous sommes tous humains ! Etre introverti n'est pas une tare, c'est juste une autre façon d'être. Nous avons aussi nos qualités, nos petits trésors cachés. Ce n'est peut-être pas ce que notre société préfère aujourd'hui, mais nous avons aussi quelque chose à apporter. Il faut arrêter d'appeler les gens "des humains", en revanche.

Ami internaute, voici donc mes confessions d'une introvertie. Si vous êtes introverti(e), surtout si vous vous sentez inadéquat, j'espère avoir pu vous montrer que ce n'est pas le cas, et que vous avez le droit d'être comme vous êtes. Je sais que cette réalisation fut une extraordinaire libération pour moi. Si vous êtes extraverti(e), j'espère que cet article peut vous aider à comprendre certains de vos proches. Ce n'est pas toujours facile de nous cerner, mais il s'en passe plus dans nos têtes que vous le croyez ! Et puis, nous en parlons sur Internet, si jamais ça vous intéresse vraiment. Comme vous pouvez le constater...

Venez, on se parle d'imaginaires, de questionnements et de petites histoires sur la Nife en l'Air!

Billet original publié sur Medium France

Lire aussi :

• Douze choses que les introvertis aimeraient que vous compreniez

• 11 idées reçues sur les hypersensibles

• Comment draguer une fille quand on est timide

• Pour suivre les dernières actualités sur Le HuffPost C'est la vie, cliquez ici

• Deux fois par semaine, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost C'est la vie

• Retrouvez-nous sur notre page Facebook

Open all references in tabs: [1 - 10]

Leave a Reply