Clipperton, un atoll français du Pacifique (4) L’île de la Passion …

La pêche

Bien que minuscule superficie émergée, Clipperton offre à la France une souveraineté sur une zone économique exclusive (ZEE) de 435.612 km2 dans une des régions les plus poissonneuses du globe. Clipperton est le 5e territoire français d’outre mer par sa superficie, après la Polynésie française (4 804 000 km2), la Nouvelle-Calédonie (1 364 000 km2), les îles Kerguelen (575 000 km²), l’archipel de Crozet (560 000 km²), et se place au 1er rang pour la surface maritime rapportée à la surface terrestre (55.000 fois, contre 0,5 pour la France métropolitaine).

Clipperton est en effet situé sur l’un des principaux axes de migrations de thonidés. La zone Centre-Est 77 de la FAO, au cœur de laquelle se trouve Clipperton, a produit 1,5 million tonnes de poissons en 2005 ! Selon divers évaluations, les tonnages d’albacore illégalement pêchés évalués à 20.000 tonnes par an dans les années 80, pourraient désormais dépasser les 50.000 tonnes, voire le double, selon certaines estimations. Cela correspond à des recettes fiscales potentielles à 40$ la tonne, qui pourrait atteindre le million de dollars, voire largement plus si la récupération des taxes de pêche était bien organisée et si une action à la fois pédagogique et répressive sur les flottes étrangères opérant dans les parages était mise en œuvre par la Marine Nationale au nom de l’Etat français. A titre d’exemple, les anciens accords de pêche franco-coréens en Polynésie française, étaient facturés de 0,42 € par kilogramme de poisson pêché avant leur renégociation en cours.[i]

Une étude très bien documentée, bien qu’assez ancienne, a été réalisée par un géographe de l’Orstom, Alain Auger en 1991 : La pêche dans la zone économique de Clipperton, publié dans la Revue Maritime. En 1987 les tonnages des trois principales espèces de thons tropicaux étaient déjà évalués à 15700 tonnes, elles ont largement augmentés aujourd’hui. [ii] (Voir note)

Aussi intéressant et plus d’actualité est le rapport 376 du Sénat publié le 8 juin 2005, le sénateur André Boyer en étant le rapporteur. Ce document reprend l’évolution de la législation. A l'issue de l'exposé du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi suivant.[iii] (Voir note)

L’évaluation des volumes de pêche, extrapolés en fonction du nombre de navires en situation irrégulière comptabilisés par la marine nationale lors de ses passages ainsi que les quelques navires arraisonnés permettent d’envisager des recettes fiscales potentielles non négligeables une fois installé un système de quotas. Une surveillance des navires et la possibilité d’arraisonnement des contrevenants par la Gendarmerie (cette particularité du droit français explique pourquoi les contingents militaires sont souvent accompagnés d’un gendarme, seul habilité en cas d’arraisonnement à établir un procès verbal. Cela d’ailleurs a déjà été instauré sur les îles Eparses dans le Canal de Mozambique).

En dehors de la réglementation de la pêche et de l’exploitation des ressources halieutiques, l’implantation humaine permanente permettrait le contrôle des abordages clandestins et des atterrissages sur la piste de l’atoll probablement liés au trafic de drogue avec l’Amérique Latine, nouveau « trésor des pirates ».

Les ressources en poissons sont importantes. Les variétés locales exploitables sont nombreuses, la zone est surtout l’une des plus grandes concentrations de thon albacore du Pacifique : plus de 50.000 tonnes de prises annuelles par des thoniers étrangers en majorité sud-américains et asiatiques. Le Mexique vient de ratifier le 29 mars 2007 un accord de pêche de 10 ans renouvelable avec la France. Cet accord est une nouvelle reconnaissance de fait de la souveraineté française sur Clipperton.

La réouverture du lagon permettrait un accès protégé à un bâtiment français ainsi que le débarquement plus aisé de touristes.[iv]

Cependant, si la volonté du gouvernement français est essentielle pour développer une industrie française et/ou communautaire européenne, elle n’est pas suffisante pour motiver les professionnels français du secteur. Il n’est pas évident que les actuels pêcheurs français aient un réel désir de s’aventurer loin de leurs bases habituelles qu’ils soient métropolitains ou polynésiens. Le temps de ces fameux Terre-neuvas et « pêcheurs d’Islande », ceux qui mourraient en mer selon la chanson célèbre, est définitivement révolu. La recherche de confort et de subventions n’incite pas véritablement à l’aventure en haute mer loin de chez soi. Cependant, si les thoniers français et espagnols sont capables d’aller pêcher dans l’Océan Indien, ils pourraient très bien s’adapter au Pacifique après quelques améliorations des infrastructures. Mais le lobby écolo est une contrainte qui fait peur et si l’albacore n’a rien à voir avec le thon rouge à sushi (Thunnus thynnus), car il n’est pas menacé de disparition, gouvernement et industriels de la mer hésitent à se mettre à dos cette puissante coterie en ouvrant de nouvelles zones de pêche. Paradoxe toutefois, l’absence d’une pêche autorisée sous contrôle d’une autorité de tutelle augmente les effets nocifs d’une exploitation illégale sans limites pratiquée par des armateurs « voyous » ne déclarant ni leurs tonnages ni leurs méthodes de pêches.

Selon le syndicat des armateurs thoniers français interrogé à ce sujet, il faudrait réunir un certain nombre de conditions avant d’envisager une activité :

- « un aérodrome permettant des liaisons aériennes avec la France métropolitaine (via les départements français d'outre-mer de La Guadeloupe et de La Martinique) ou avec la Polynésie française »

- « un mouillage abrité et aménagé dans le lagon »

- « des installations techniques pour l'avitaillement et la révision des navires. La présence d'un navire-atelier (ou un dock flottant fut-il de dimensions modestes)

- « l'assurance de pouvoir pêcher toute l'année, afin de rentabiliser la présence des thoniers » ;

Quant à la pêche par des armements étrangers dans la zone de Clipperton, elle occasionne un impressionnant manque à gagner pour les finances publiques.

C’est la raison pour laquelle, le Sénat, encore lui par le biais d’une question posée par Christian Cointat, sénateur UMP des Français établis hors de France (Question écrite n° 09607 publiée dans le JO Sénat du 16/07/2009, page 1789) demande au gouvernement ce qu’il compte faire pour à la fois protéger l’environnement de l’atoll et affirmer la souveraineté française. Une réponse du Secrétariat d'État à l'outre-mer sera d’ailleurs publiée dans le Journal Officiel du Sénat du 08/10/2009, page 2370.

Cette réponse reprend les grands thèmes présentés entre autres par Christian Jost, sur l’opportunité de mettre en valeur la ZEE et d’appliquer des accords de pêche avec les flottes étrangères, en particulier avec le Mexique, alliant intérêt économique de la nation et protection de la biodiversité.[v] (Voir note)

Les nodules polymétalliques

Présents dans les grands fonds des eaux territoriales, leur exploitation est une intéressante perspective d’avenir. Actuellement, la rentabilité de leur exploitation est liée à l’amélioration des techniques d’extraction, mais dépend avant tout du coût de cette extraction par rapport au cours des matières premières sur les marchés mondiaux. Il est certain que le développement de nouvelles technologies nécessitant des métaux rares ainsi que l’industrialisation du Tiers-Monde peuvent rendre attrayante cette nouvelle source d’approvisionnement. La présence de ces minéraux dans les eaux territoriales françaises peut aussi prévenir des ruptures de stock en cas de conflit avec des pays producteurs de matières stratégiques.

Ces nodules qui ressemblent à des galettes informes ou à des bouses de vaches figées et durcies (voir photo) sont constitués en moyenne de 29,4% de manganèse, 6% de fer, 2,9% d’aluminium, 1,3% de nickel, 1,2% de cuivre, 0,6% de titane, 0,25% de cobalt, ainsi que de 32,16% de sodium, magnésium, silice, zinc, oxygène et hydrogène (Source Ifremer).

Le côté sombre de l’extraction minière qui renvoie à la mythologie gréco-latine et à légende de Vulcain, premier pollueur mythique avec ses forges de l’Etna aux émanations méphitiques ne peut qu’entrainer de l’inquiétude chez les défenseurs de l’environnement. Or l’extraction de ces métaux demande une technologie certes poussée mais qui n’a rien à voir avec celle des hydrocarbures off shore et leur risque bien réel de pollution des côtes.

Autres options de développement envisageables à Clipperton

En devenant un territoire français défiscalisé, Clipperton pourrait autoriser la domiciliation de sociétés off-shore bien plus et bien mieux encadrées que dans les paradis fiscaux qui malgré certaines déclarations politiques péremptoires et hâtives ne sont pas prêt de disparaitre. Cette hypothèse permettrait une diversification des offres bancaires françaises sans pour autant tomber dans la délinquance financière car contrôlée par l’Etat.

Dans le même ordre d’idée, la création d’un pavillon de Clipperton, équivalent à celui des Kerguelen, sous contrôle français mais permettant une législation plus souple quant aux équipages et au droit social, donc plus rentable pour les armateurs, serait une excellente concurrence aux pavillons de complaisance qui acceptent l’enregistrement de navires poubelles, ou l’exploitation éhontée de marins du Tiers-Monde sans aucun respect de sécurité ou de législation sociale.

Le droit de la mer et de la pêche est très complexe, mais aussi bien structuré afin d’éviter des abus. Il est préférable de règlementer la pêche, à la fois dans l’intérêt économique de la France, mais aussi dans celui de la protection des espèces marines. La situation actuelle où quasiment aucun contrôle de la puissance de tutelle n’est effectué autorise a contrario tous les abus possibles de la part d’affréteurs sans scrupules.

Santé physique et mentale

Des individus isolés, seuls ou en petite communauté éprouvent des difficultés à vivre dans des conditions extrêmes, loin de la civilisation. L’enfermement en plein air avec les mêmes individus suscite à la longue l’hostilité et les affrontements. On retrouve, toutes proportions gardées le même type de rapports humains que sur le continent avec les inimitiés et les confrontations dues au pouvoir et à la hiérarchie préexistante. Le lien avec la prison, Guantanamo et le milieu carcéral vient immédiatement à l’esprit quand on évoque la promiscuité forcée sur un petit territoire insulaire ou enclavé.

La pathologie des îles

Les maladies sur les îles sont souvent les mêmes que sur le continent à la même latitude, en dehors de quelques fièvres dues à un virus particulier transmis par un vecteur spécifique qui n’existe que sur l’île, comme un moustique ou un arthropode. Jadis, la crainte de l’épidémie faisait appliquer une quarantaine stricte aux navires, car du fait de l’insularité, les maladies contagieuses pouvaient décimer toute une population. On utilisa aussi les îles comme lieu de relégation de malades réputés contagieux comme les lépreux. On a encore le souvenir de l’île du Diable au large de la Guyane et de la léproserie de Molokai dans l’archipel d’Hawaï.

Certaines pratiques alimentaires, spécifiques à une île peuvent aussi déclencher une pathologie, comme la consommation de cervelle humaine qui entraîna en Nouvelle-Guinée, le Kuru, encéphalite dégénérative « ancêtre » ou « cousine » de la maladie Creutzfeld-Jacob et de celle de la vache folle. Ailleurs, comme à Nauru et à un degré moindre dans d’autres îles du Pacifique, c’est l’abandon des pratiques alimentaires et du mode de vie ancestral, remplacés par les fast-foods, l’automobile et le manque d’activité physique qui fit exploser le diabète. L’insularité pose aussi la question de la consanguinité quand il n’y a pas de nouveaux arrivants et que les quelques familles qui y habitent quelques fois depuis des siècles s’unissent entre elles pendant plusieurs générations. Il peut alors se développer des tares génétiques ou de maladies comme le diabète.

Heureusement disparues de nos jours, les carences alimentaires et surtout en apport vitaminique B1 et C ne peuvent plus se reproduire. Mais on se souviendra du scorbut qui frappa les Mexicains à Clipperton faute de fruits et légumes et du béribéri qui décima les ouvriers bretons et surtout malgaches à Saint-Paul lors de l’épopée de la langouste.

Les pathologies antérieures des occupants peuvent aussi s’aggraver du fait du manque de suivi médical ou des difficultés de rapatriement en cas de complication. Mais nous ne sommes plus au temps de la marine à voile et les possibilités d’évacuation se sont nettement améliorées de nos jours. Seule la chirurgie d’urgence et la réanimation peuvent encore poser problème sur de petits territoires médicalement sous équipés, mais guère plus que dans de nombreux pays continentaux du Tiers-Monde. Et puis, les milliardaires et leurs invités ne sont pas vraiment exposés, car les îles privées disposent désormais presque toutes d’une piste d’atterrissage, ou d’un héliport. Par contre les problèmes psychologiques persistent, même si plus personne ne devient fou après avoir été abandonné des années sur une île.

Pathologie psychiatrique et troubles du comportement 

Si l’isolement des premiers naufragés débouchait souvent sur de forts troubles psychologiques allant jusqu’à la folie et au meurtre, les expériences plus récentes sont nettement moins tragiques. Cette crainte est devenue quasiment obsolète de par la disparition de l’incertitude et de la peur de rester pour de bon coincé sur son île et d’y finir sa vie, abandonné des hommes et de Dieu. De plus, de nos jours, les scientifiques, explorateurs et autres bourlingueurs se préparent physiquement et psychologiquement et bénéficient d’une surveillance accrue, d’une forte logistique et, le mot est dit, d’un soutien psychologique quasi compulsif.

L’exemple de Georges de Caunes débarqué seul sur un atoll du Pacifique, déjà lointain, 1963, est encore à la limite du naufrage à l’ancienne, même s’il ne dura que quelques mois. Cependant, du pauvre Ben Gunn héros du roman « L’île au Trésor », retrouvé à moitié fou, aux coups de gueules scénarisés de Moundir et des candidats des programmes de téléréalité sur des îles, on ne peut que remarquer que l’isolement et la promiscuité ne sont pas bons pour l’homme et exacerbent ses névroses.

Dans le roman, Kafka sur le rivage, titre prémonitoire, un des personnages de Muramaki dit : « l’existence de chaque humain est vouée à une solitude, mais… nous sommes reliés les uns aux autres par des archétypes immémoriaux… ». Cela correspond encore plus au ressenti du naufragé qui ne peut penser et concevoir l’avenir, son avenir, sans y intégrer l’acquis conscient et inconscient. Les archétypes ramènent à l’inconscient collectif de Karl Gustav Jung qui dicte souvent les actes et les conduites de l’individu, sans même qu’il le perçoive de façon évidente.

Le cas de Clipperton

En dehors de l’épisode mexicain, la durée des expéditions sur Clipperton ayant été relativement courte, l’impact sanitaire et mental est malgré tout difficile à appréhender. Et puis, l’appartenance à l’armée de la majorité des membres de ces voyages les a préparés aux vicissitudes d’un long déplacement et à la frugalité des conditions de vie ainsi qu’à une certaine discipline.

Selon les témoignages recueillis par Jean-Yves Gaudart, les militaires des missions Bougainville ne se sont jamais plaints de problème de santé à l’exception d’une piqure de scorpion, en fin de mission, sur une baleinière évacuant le contingent, d’un brulé par accident et de quelques troubles gastro-intestinaux. Malgré tout, les militaires sur place étant de jeunes hommes aguerris et bien entrainés, ils ont réussi à éviter des accidents majeurs toujours possibles lors de la pratique d’activités sportives et physiques souvent risquées (plongée au milieu des requins, ski nautique et autres acrobaties en zodiac qui auraient pu très mal tourner). Les militaires français envoyés à Clipperton ont presque tous subi une sélection comprenant des questionnaires, des tests écrits et des entretiens avec un médecin et un « psy ». Si certains furent désignés d’office, voire assignés à une mission de sécurité-défense, nombreux furent les volontaires ayant passé une sélection avant d’être admis. Il faut aussi noter que certains marins furent soumis à l’élaboration de profils psychologiques habituellement requise pour les sous-mariniers nucléaires.

Le médecin sur place a d’ailleurs réalisé une grille psychologique sur le modèle de celui du Service Local de Psychologie Appliquée de Lorient (SLPA) dans le but d’améliorer la sélection des hommes appelés à vivre en milieu confiné ou isolé. Le SLPA de Lorient réalise les examens de sélection et d’orientation psychologiques des candidats à l’engagement dans la marine dont les fusiliers marins. Il est entre autre chargé du suivi des militaires et joue un rôle essentiel de conseiller du commandement pour adapter la discipline et éviter les frictions dans un environnement non familier aux militaires.

Seul le cas des Mexicains au début du XXème siècle reste significatif sur le point de l’isolement au long cours, le récit des révoltés du Bounty ayant été quant à lui été édulcoré par le dernier témoin mâle pour éviter l’opprobre et d’éventuelles représailles, même si ce qui a été rapporté reste malgré tout très violent.

Perspectives d’avenir

Pour mettre pleinement Clipperton en valeur, la France devrait y installer une base avec une population permanente, régulièrement renouvelée, qui pourrait affirmer la souveraineté française et autoriser de percevoir plus facilement les droits de pêche internationale. Mais de nos jours, question d’époque, d’éthique et de choix de société, la France ne peut risquer de renouveler l’expérience des Mexicains du siècle dernier. Toute implantation humaine permanente devra se faire en respectant des consignes strictes de sécurité et d’approvisionnement. Il n’est cependant pas certains que des militaires, ou même l’état-major, acceptent les mêmes conditions de séjour que celles des missions Bougainville, il y a plus de quarante ans.

Des projets de développement, de recherche scientifique pluridisciplinaire, d’exploitation des ressources halieutiques et des nodules polymétalliques sont à l’étude, mais aucun jusque présent n’a encore jamais abouti à une mise en valeur durable de l’atoll. Les difficultés de mise en place d’un habitat permanent sont nombreuses mais non insurmontables. Les bénéfices envisageables et la rentabilité de l’exploitation de l’atoll ne sont pas une utopie. Il suffirait d’une volonté politique et d’un investissement non faramineux, facilement récupérable par le biais des droits sur le volume des prises. Après aménagements, Clipperton pourrait devenir un mouillage sûr et une base pour les navires de pêche ainsi qu’un observatoire scientifique.

L’intérêt du gouvernement français, et des ministères concernés pour Clipperton est à géométrie variable. Mais il faut tout de même remarquer, qu’Yves Jégo, alors en poste à l’Outre-mer a été le premier ministre à citer Clipperton dans un discours officiel, le jour de présentation de ses vœux le 13 janvier 2009, dans une salle du Musée de la Marine à Paris. Insistant sur l’importance économique de Clipperton, le ministre a laissé entendre que la France avait tout intérêt à mettre cette partie du territoire national en valeur, en insistant sur le fait que l’ « on ne peut laisser la ZEE de Clipperton pillée par les pêcheurs Mexicains ; (et tant d’autres flottes étrangères) cette île ne peut être mise sous cloche dans un seul souci écologique et ce territoire devrait être valorisé ».

Hélas, sacrifié sur l’autel de la politique, le ministre n’a pas résisté aux conflits nés dans d’autres îles de l’Outre-mer français et n’a pas été reconduit à son poste lors du renouvellement partiel du gouvernement en 2009. La situation de l’atoll et son potentiel économique a ensuite été repris par, Michèle Alliot-Marie, alors garde de Sceaux, Ministre de l’Outre-mer et des collectivités territoriales a également évoqué Clipperton, le 9 juin 2009, en précisant à son tour : « Devons-nous laisser les navires mexicains pêcher librement les thons de la zone économique exclusive de Clipperton ? », lors de son intervention au Grenelle de la mer, les mois suivant les déclarations d’Yves Jégo lors de sa cérémonie de vœux.

Autre option de rentabilisation, le tourisme de luxe a été proposé par Jean-Louis Etienne comme accompagnement des expéditions scientifiques afin de les rentabiliser ou couvrir quelques frais par les sommes dépensées par des voyageurs aisés désirant un circuit sortant de l’ordinaire. L’expérience a été renouvelée récemment lors d’une mission militaire du Marion-Dufresne dans les îles Eparses en juillet 2009. Il faut toutefois rester prudent avec ce genre d’initiative, source potentielle de pollution et de dénaturation du site, non du fait des touristes qui seront conseillés, surveillés et encadrés, mais de la construction des infrastructures destinées à les accueillir. Disons cependant qu’il ne peut se produire de conséquences fâcheuses du tourisme sur les autochtones, vu qu’il n’y en a pas.

Un projet totalement futuriste, qui rentre à plein dans l’utopie de conquête si chère aux premiers explorateurs, est celui d’un ascenseur spatial pour monter des charges sur orbite avec un câble a aussi été évoqué. Clipperton est un des deux seuls sites retenus comme compatible pour ce type de projet, le second se situant au large du Sri Lanka. Si cette intention tient plus de la science-fiction que de la réalité scientifique à ce jour, le développement des nanotechnologies pourrait rendre cette utopie réalisable d’ici quelques décennies. Une artiste, Gloria Friedmann, s’en est même inspirée sur en une œuvre futuriste et envisage d’en faire une sculpture, qui sera probablement réalisée avant que le projet d’ascenseur ne prenne forme !

Un habitat protégé des cyclones en forme de bulle submersible a aussi été envisagé pour permettre un séjour prolongé sur Clipperton, sorte de station spatiale confinée sur l’océan. Il existe un projet australien de tourisme de luxe, reprenant l’idée de ce type d’habitat mettant ses occupants à l’abri des intempéries et des cyclones assez fréquents dans cette région de l’océan et autorisant des conditions de séjour acceptables pour des non sportifs ou des guerriers surentrainés.

Par contre, l’implantation de la culture des bananiers proposée par un exploitant fruitier de la Martinique a vite été abandonnée car irréalisable du fait de la force des vents et de la faible rentabilité du projet face au coût évalué de l’opération. Du fait de sa position stratégique, Clipperton peut aussi servir de base de surveillance, de contrôle et suivi des vols spatiaux de récupération de capsule ARD (Atmospheric Reentry Demonstrator) et des fusées Ariane V.

Un article publié sur scienceshumaines.com, « Faut-il reconquérir Clipperton ? » par Christophe Rymarski, prend comme référence les travaux de Christian Jost, analyse la possibilité de réoccuper l’atoll et d’exploiter les ressources marines et minières.

Disons enfin que le canular de 1972 a fort peu de chance de faire de nouveaux adeptes. Un nouveau MIC, Mouvement pour l’Indépendance de Clipperton, ne peut reposer sur aucune revendication indépendantiste sérieuse. Sauf si les autorités françaises acceptent sans broncher l’installation d’un groupe de pirates ou de trafiquants apatrides prêts à faire à nouveau flotter le pavillon noir à tête de mort sur un territoire insulaire. La France, même sans s’aligner servilement sur les positions américaines, ne pourrait accepter la création ex nihilo d’un nouvel « état-voyou » sans réagir fermement.


[i] Sur la pêche au thon

La France puissance souveraine dans cette région du monde a donc pu adhérer en tant que membre à part entière à la C.I.T.T. "commission interaméricaine du thon tropical "I.A.T.T.C." en anglais, dont le siège est à Jolla, près de San Diego en Californie. Cette commission, prolongement d’un accord de pêche entre les Etats-Unis et le Costa Rica en 1949, regroupe, désormais outre la France (signataire en 1975) et les Etats-Unis, certains pays d’Amérique Centrale, (Panama, Nicaragua) et même le Venezuela qui n’est pas riverain du Pacifique, le Japon, le Vanuatu, ainsi que l’Espagne à cause des accords franco-ibériques à l’intérieur de l’Union Européenne. La France a d’ailleurs adhéré à une nouvelle convention de la C.I.T.T. en 2003 conclue à Antigua. En dehors des aspects spécifiques aux droits de la pêche, la commission participe aussi à des travaux scientifiques, en grande partie financés par les Etats-Unis.

[ii] Zone de pêche française :

Le thon albacore (Thunnus albacares) ou thon jaune, est le plus pêché, car le plus apprécié, il est utilisé uniquement pour la conserverie. Deux autres variétés, le listao, (Katsuwonus pelamis) et le patudo (Parathunnus obesus) sont aussi prises en moindre quantité. Ces trois variétés ont représenté environ 68% des captures mondiales de thon sur la période 1984-1993. La loi du 16 juillet 1976, confirmée par décret le 3 février 1978 sur les eaux territoriales et la création d’une zone économique exclusive n’a été que peu appliquée. Le complément de ce texte ministériel en date du 19 septembre 1978 fixait pourtant les conditions dans lesquelles les navires étrangers pouvaient pêcher en cette zone. La zone française de Clipperton, du fait de l’isolement de l’atoll n’empiète sur aucune autre zone de pêche d’une nation voisine ; le potentiel économique est donc énorme. Jusqu’à présent, la manne des thonidés profite exclusivement à des sociétés de pêches étasuniennes, qui sous-traitent la conserverie au Panama ou aux Samoa Américaines pour des raisons fiscales et de droit du travail. Les pays riverains d’Amérique latine ainsi que certains pays asiatiques sont aussi impliqués dans cette pêche.

[iii] Texte proposé par le Gouvernement sur la pêche au thon dans le Pacifique :

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention relative au renforcement de la Commission interaméricaine du Thon Tropical établie par la Convention de 1949 entre les Etats-Unis d'Amérique et la République du Costa Rica (ensemble quatre annexes), signées à Washington le 14 novembre 2003, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention relative au renforcement de la Commission Interaméricaine du Thon Tropical établie par la Convention de 1949 entre les Etats-Unis d'Amérique et la République du Costa Rica (ensemble quatre annexes)

On notera que dans l’annexe 1, Clipperton est mentionné :

« La politique commune de la pêche ne s'applique pas aux territoires d'outre-mer français. La France a donc adhéré à la Commission interaméricaine du thon tropical au titre de ses territoires d'outre-mer. Ses engagements au titre de la future commission concernent essentiellement les zones économiques exclusives de Polynésie française et de Clipperton. »

[iv] Réouverture du lagon

La première ancienne passe naturelle devrait être rouverte et permettraient l’accès au lagon. Il faudrait creuser à une profondeur de 9 mètres, élargir sur 35 mètres pour permettre à des navires de 6 mètres de tirant d’eau d’atteindre les eaux profondes de la fosse occidentale.

La deuxième passe, au sud-est, qui est sur le point de s’ouvrir naturellement serait un chenal peu profond améliorant le renouvellement des eaux du lagon. La navigation de petites embarcations y serait possible. Cette deuxième passe à l’est isolerait totalement le secteur oriental de l’atoll. Ce secteur devenu réserve intégrale sans rien modifier deviendrait un observatoire scientifique sanctuarisé. Le secteur ouest a déjà vocation d’occupation humaine de par sa configuration et la présence de la piste d’aviation et autorisant l’implantation d’infrastructures abritées. Un ponton et des installations d’accès aux navires et autorisant le transbordement devront être construits pour faciliter les activités liées à la pêche. (Projet présenté par Christian Jost au ministère de l’Outre-mer.)

[v] Extraits de la réponse gouvernementale au sénateur Cointat :

« La France (a) conclu depuis le 29 mars 2007 un accord pour une durée de dix ans renouvelable avec le Mexique qui autorise les navires sous pavillon mexicain à bénéficier de licences de pêche dans la ZEE de Clipperton, y compris dans les 12 milles incluant les eaux territoriales…

Les dites licences de pêche sont délivrées par le haut-commissaire de la République en Polynésie française. Le secrétariat d'État à l'outre-mer ne peut que regretter le fait que cet accord ait été signé pour une durée aussi longue et n'impose aucune contrepartie, ni quota et limites de maille aux navires mexicains…

Craignant une augmentation du nombre de navires sollicitant des licences et une surexploitation des eaux de la zone économique exclusive, une réunion interservices a été organisée par le cabinet de M. Estrosi…

Cette rencontre a fait ressortir un accord général de principe sur la nécessité de mieux contrôler l'exploitation des ressources halieutiques en ZEE. Mais aucun consensus n'a pu être trouvé sur des voies d'action…

La préservation et gestion durable de la biodiversité de Clipperton constitue un sujet certain de préoccupation. La recherche d'améliorations à la situation présente comme celles consistant à interdire la pêche dans la limite des douze milles dans le respect des règles internationales et nonobstant l'accord franco-mexicain, ou bien encore à renforcer les missions de la marine nationale, à définir avec les organismes de recherche un véritable programme scientifique pouvant justifier l'installation d'une base de vie permanente sur l'île, doit être poursuivie. »

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