Ces petits mensonges nécessaires

De la petite phrase qui embellit la réalité à l’excuse bidon pour masquer son retard, nous mentons tous. Et tous les jours. Et si c’était pour notre bien?

Un arrêt de bus, un soir de semaine. Las, un homme se laisse tomber sur le banc à côté d’une femme pour attendre sa correspondance. Soudain, il croise le regard de sa voisine et reconnaît une vieille copine d’école. «Salut, comment ça va?», lui lance-t-elle. «Bien, merci, et toi?», répond-il en souriant avant de détourner le regard. Fin de la scène.

Inutile de se voiler la face, le mensonge fait partie du quotidien. Du «j’adore ta nouvelle robe» au «tout va très bien» en passant par les excuses bidon pour justifier son retard, travestir la réalité relève du savoir-vivre.

Nous mentons tous et plusieurs fois par jour,

confirme la psychologue genevoise Isabelle Yakoubian. C’est une question de politesse, on dit que tout va bien même quand on n’a pas le moral, dans le but d’éviter de passer pour un râleur.»

Estampillés mensonges de civilité, ces petits arrangements avec la vérité sont essentiels à la vie en société. Car rien ne sert de blesser sa meilleure amie en lui disant qu’effectivement elle a grossi ou de se mettre à dos son chef en critiquant la couleur de sa cravate. S’ils sont inoffensifs en apparence, ces petits mensonges peuvent toutefois revêtir une autre fonction: la valorisation d’un quotidien pas toujours rose, traduisant un certain mal-être chez leur auteur.

A ce jeu, la tendance est davantage marquée chez les femmes, observe Isabelle Yakoubian:

Celles dont l’univers s’arrête à l’éducation des enfants et qui n’ont d’autre statut social que celui de mère au foyer ont parfois besoin de montrer qu’elles en font davantage ou que pour elles tout est facile.»

De «mes enfants sont formidables» à «ils sont tellement faciles», ces mères n’ont jamais l’air débordées et ne ratent jamais une occasion de le faire savoir.

La vérité, rien que la vérité...

L’art du mensonge a beau être pratiqué par chacun d’entre nous, il n’a pas bonne presse, et cela dès le plus jeune âge. En témoignent les histoires à la Pinocchio et autres Pierre et le loup... Pourtant, il s’inscrit dans le développement de l’enfant et fait partie intégrante de la construction de sa personnalité, poursuit Isabelle Yakoubian. «Les petits vont commencer à raconter des histoires, car leur monde est celui de la pensée magique, là où les mots ont un pouvoir.»

Au-delà des fantasmes d’une vie rêvée, il s’agit aussi de préserver une part de mystère, un jardin secret. Ne pas tout dire peut aussi être utile dans un cadre familial où les attentes sont fortes.

L’enfant comprend rapidement que cela peut servir à ne pas décevoir ses parents,

note la psychologue. Dans ce cas, le mensonge peut révéler la peur de ne plus être aimé.»

Car parfois l’expérience de la sincérité peut s’avérer douloureuse. Christian a renoncé à dire toute la vérité le jour où il n’a pas été cru: «J’avais 10 ans et je m’en souviens encore comme si c’était hier. En sortant de l’épicerie où la voisine qui me gardait m’avait envoyé faire une course, quelques pièces de monnaie sont tombées de ma poche pour atterrir dans une bouche d’égout. A mon retour, quand je lui ai dit ce qui s’était passé, elle ne m’a pas cru et m’a accusé d’avoir empoché l’argent pour m’acheter des bonbons.» Depuis lors, ce quarantenaire évite de livrer des versions qui ne pourraient être entendues.

«Je n’estime pas être un menteur, simplement, j’essaie de ne pas en dire trop si je sens que cela pourrait me valoir plus d’ennuis qu’autre chose.»

Petits menteurs et grands anxieux

Mentir pour éviter les conflits, la formule est connue. Y recourir n’est toutefois pas anodin, souligne Isabelle Yakoubian, le risque étant que lorsqu’on se rend compte que cela a bien marché, on soit tenté de recommencer. Et surtout, souligne-t-elle,
«il y a toujours un moment où le mensonge finit par être mis en échec».

Sans être des menteurs pathologiques, certains éprouvent le besoin d’enjoliver la réalité sans raison apparente. C’est le cas de Nathalie, qui avoue avoir beaucoup de difficulté «à ne pas exagérer». «C’est mon petit côté marseillais», plaisante-t-elle. Les adeptes de ce type de mensonge seraient en réalité de grands anxieux, poussés par la crainte de ne pas être à la hauteur.

Que l’on mente par convention sociale, par désir d’embellir le quotidien ou pour éviter les ennuis, où se situe la ligne qui sépare un menteur pathologique d’un menteur occasionnel? Dans le désir de nuire, affirme Isabelle Yakoubian, les «faux» menteurs étant rapidement envahis par la culpabilité. Pas une raison pour tout déballer, conclut-elle. Car chacun a droit à sa part de mystère.

Texte © Migros Magazine – Viviane Menétrey

 

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