«Ces enfants sont comme vous»: la maladresse de Nicolas Sarkozy …

Il ne faut pas mentir aux enfants pour leur expliquer le drame, mais donner des détails morbides et les inquiéter risque fort de les angoisser.

«Ça s’est passé à Toulouse, dans une école
confessionnelle, avec des enfants de famille juive, mais ça aurait pu se passer
ici. Il y aurait pu avoir le même assassin. Ces enfants sont exactement comme
vous. La victime n’y est pour rien (…) L’assassin s’est acharné sur une petite
fille. Il faut réfléchir à ça.»

C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy s’est adressé ce mardi
matin à des élèves du collège-lycée François Couperin, à Paris.

Le ton est abrupt, et l’imprécise menace d’un second
massacre s’abat soudain sur les élèves qui écoutent le président de la République.
Il vient de leur dire, très concrètement, qu’ils auraient pu être
assassinés,  et leur demande d’y
réfléchir, en précisant que le tueur s’est acharné sur une petite fille.

Dans la forme comme dans le fond, la déclaration
présidentielle est brutale. Et les réactions sont vives. Cécile Duflot pointe
d’ailleurs du doigt ces propos qui la choquent, et interpelle Nicolas Sarkozy
sur son compte Twitter, affirmant qu’on
ne doit pas parler ainsi à des enfants
.

Mais concrètement, comment parler aux enfants de ce drame? Angélique
Kosinski Cimelière, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents, estime
que s’il est effectivement nécessaire de protéger les enfants, on ne doit pas
pour autant tout leur cacher. Alors parler, oui, mais pas n’importe comment: il
convient avant tout de ne pas négliger les précautions verbales, et de soigner
les formulations.

Par exemple, dans le cadre de la
minute de silence décrétée pour tous les établissements scolaires français
,
il est fort probable que les enseignants ont su mettre leur savoir-faire au
service d’explications rassurantes, et ont trouvé les mots pour expliquer aux
enfants, sans les effrayer, les raisons de cet hommage aux victimes.

Et il ne faut jamais oublier qu’un enfant prend les mots
tels qu’ils lui sont dits: en l’occurrence, affirmer brutalement à des
gamins «cela aurait pu se passer ici (…) ces enfants sont exactement comme vous»
ne constitue ni une vue de l’esprit ni une métaphore pour les enfants qui
reçoivent ces phrases, mais bien l’affirmation de la possibilité d’un massacre
sur leur lieu de vie quotidien.

De façon générale, quand on parle à un enfant, poser les
choses sans les expliquer est potentiellement 
anxiogène. Dans ce cas précis, le ton abrupt et le choix des mots peuvent
déclencher dans l’imagination de ces enfants des fantasmes sur lesquels aucune
limite n’aura été posée.

Et la précision donnée par Nicolas Sarkozy concernant
l’acharnement du tueur sur une petite fille était aussi inutile que nuisible: cette
phrase n’avait aucun intérêt, ni sur le plan de la pédagogie ni dans le cadre
de l’hommage rendu aux victimes. Elle constitue simplement une porte ouverte à
des visions sanglantes et imprécises, illustrant la cruauté gratuite du tueur
et tout juste bonnes à effrayer les enfants.

Si, parmi les enfants, certains ont peur d’aller en cours,
les prochains jours, il convient alors, face à ce genre de drame, de proposer
aux enfants un véritable débriefing. Et pour cela, les parents doivent se
mettre en disponibilité, être réceptifs aux ressentis des enfants. Et oui, on
peut prendre les devants aborder le sujet même face à un enfant qui ne donne
pas l’impression d’avoir envie d’en parler: «Tu sais qu’à Toulouse, il s’est
passé quelque chose?»

Ce qui compte avant tout, c’est de demander à l’enfant ce
qu’il ressent, ce qu’il en pense, afin qu’il puisse exprimer ses peurs, sur
lesquelles le parent pourra poser des limites. L’enfant est en droit de se
faire sa propre idée sur les événements, et de partager la représentation
mentale qu’il s’en est forgée. Et c’est là que le parent joue un rôle de
garde-fou, en expliquant mais sans tomber dans le piège de la surinformation.

Et pour ce qui est de la question cruciale: «Mais ça peut
arriver dans mon école? Quelqu’un peut entrer dans la cour et me tuer?»
, toute
réponse catégorique sera forcément extrême et génèrera de l’anxiété. Dire «Non,
ce n’est pas possible»
est un mensonge, et l’enfant en sera parfaitement
conscient, mais dire «oui, c’est vrai, ça peut arriver» est irresponsable.

Dans l’idéal, une demi-mesure prudente est conseillée: on
peut par exemple dire que oui, en théorie, cela pourrait arriver mais qu’après
ce qui vient d’arriver à Toulouse, des systèmes de sécurité seront mis en place
pour éviter que cela ne se reproduise. L’essentiel est ne pas insécuriser les
enfants, tout en répondant franchement à leurs questions.

La peur est naturelle et doit pouvoir s’exprimer. Mais elle
doit également trouver des réponses qui permettront de la gérer, et c’est pour
cela que le choix des mots est capital: informer, en transparence, sans générer
d’angoisses inutiles ou traumatisantes.

Alors quand Nicolas Sarkozy dit à des enfants qu’ils
auraient pu être à la place des victimes de la tuerie de Toulouse, on peut se
demander dans quelle mesure il a fait preuve de maladresse, à moins qu’il n’ait
rompu, de façon implicite, la
trêve électorale
décidée suite au drame.

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