Certains de vos clients vous choisissent parce que vous êtes chrétienne et que cela se sait. Vous arrive-t-il de les aider à appliquer dans leur vie professionnelle les principes de vie chrétienne ?
Je vais répondre à votre question, mais pas de la manière que vous semblez prévoir, parce que les principes de la vie chrétienne ne sont pas un point de départ dans le travail qui se fait ici. Mon rôle de « coach », au sens premier d’entraîneur, est d’aider ceux qui font appel à moi à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Tous cherchent à prendre un tournant professionnel ou personnel. Ils arrivent en situation de relative vulnérabilité, qu’il s’agisse d’un trader de 30 ans affolé par le contraste entre le plein de son compte et le vide de sa vie, d’une brillante diplômée du même âge réalisant qu’elle a perdu le contact avec ses désirs profonds, d’une mère de famille de 40 ans cherchant un premier emploi salarié ou d’un cadre quinquagénaire coupé de son équipe.
Ces personnes sont en difficulté, en souffrance ou inquiètes. Mon rôle est de les aider à se remettre debout. La première étape du processus est de faire un bilan de ce qu’il y a de bon, de vivant en chacun : ses désirs profonds, son ambition légitime, ses talents, la bonté que chacun porte en soi.
Avant de se poser la question des principes de sa vie, il faut donc commencer par remettre le moteur en marche, c’est cela ?
Oui, en quelque sorte. C’est tout un travail, que chaque personne va faire elle-même, dans un temps donné, avec des travaux pratiques s’il le faut. Ce n’est pas si simple de reconnaître ses talents : ce que nous savons faire nous semble facile ; nous ne le voyons donc pas, jusqu’à ce que quelqu’un s’en étonne devant nous. Il s’agira par exemple de discerner dans la vie quotidienne de la mère de famille tous les talents qu’elle exerce, ce qu’elle sait organiser, son aptitude à dédramatiser certaines situations.
Ces talents sont notre bien, mais nos ambitions, nos vrais désirs aussi. Ils sont comme des appels intérieurs, fondateurs de notre vocation. Il y a, là aussi, à les discerner correctement, à se défaire de ses illusions, à repérer ses propres talents, à renoncer aussi. On est appelé à ce qu’on est capable de faire, pas à ce qui est inaccessible : pour certains, il s’agira de réajuster son positionnement.
Cette étape de mise à plat et d’appropriation de ses « biens », d’acceptation de la « merveille que je suis », comme le dit le psaume 138, est le socle, l’indispensable ressourcement qui nous donne la force de nous mettre en route. Un chêne de 20 ans est tout autant chêne que celui qui n’a que 5 ans. Il a juste à se reconnaître chêne.
Est-ce qu’on ne rejoint pas là justement un des principes de la vie chrétienne : l’humilité ?
Oui, et vous voyez qu’elle n’est alors pas un principe dont nous partons, mais un but auquel nous arrivons – l’objectivité, le réalisme sur soi – autant qu’un moyen d’y arriver. Étymologiquement, humilité vient d’humus, la terre en latin. Il s’agit de voir de quelle « terre » nous sommes faits : de reconnaître nos qualités, mais aussi nos limites, de travailler cette terre pour qu’elle porte du fruit.
Pensons à la parabole du grain qui meurt. Avant de sortir de terre, le grain passe par une période d’obscurité parfois longue, où il peut même sembler se dégrader. Je vois dans mon cabinet des souffrances, des désajustements professionnels, avec parfois des échecs mal digérés qui paralysent, ou des ambitions impossibles qui distraient de l’essentiel. Le grain en terre se transforme nécessairement avant d’arriver à la lumière. Il y a des temps difficiles, ce sont des passages ; j’accompagne ces passages.
Quelle aventure ! Est-elle vraiment seulement professionnelle, ou bien est-elle aussi psychologique, voire spirituelle ?
Il importe de bien distinguer les domaines. Je suis coach, mon accompagnement est professionnel. Si j’intervenais aussi comme thérapeute ou accompagnatrice spirituelle, il y aurait un vrai danger de toute-puissance. Néanmoins, la personne qui vient ici, elle, peut se questionner dans ces trois domaines. Si on s’autorise une incursion, il s’agit de le signifier clairement pour éviter toute confusion des genres en mentionnant bien qu’on s’écarte – momentanément – de l’axe que nous avons choisi.
Comment vivre chrétiennement l’épreuve, la difficulté, le conflit…
Mon rôle n’est pas de donner une réponse : elle appartient à chacun. La phase de relecture de son histoire redonne un nouvel élan pour un vrai changement ou un meilleur ajustement. Prenons l’exemple d’un conflit. Une personne a fait le bilan de ses talents, de son ambition et est « coincée » au bureau par un supérieur avec qui rien ne passe. Mettons à plat la situation. Au pire, elle la résume par « je le hais », plus fréquemment par « il n’écoute rien » ou « je ne peux rien faire avec lui ». Mais s’ajoutent déjà les « je sais ce que je vaux », « je sais ce que je veux », lui permettant d’être pleinement actrice de sa vie.
Ce que j’apporte comme coach, c’est de permettre un changement d’axe et une évolution du point de vue en « comment vais-je pouvoir dire ce que je veux, pour être entendu ». Pour revenir à votre première question, si elle est chrétienne, la personne pourra ajouter « sans le blesser, sans l’humilier ». Et c’est efficace, croyez-moi. Il ne s’agit pas de devenir l’ami de son supérieur.
En prenant conscience de ce qu’on a à apporter, on peut oser une collaboration constructive. Ainsi remis en mouvement, on est plus vivant. Et, si cela ne marche pas d’emblée, cela portera son fruit au bon moment, quand les conditions seront réunies ou que l’autre aussi sera prêt. C’est un travail de lucidité qui s’opère et qui contribue à amoindrir la souffrance au travail. S’il convenait quand même pour elle de changer de voie, elle aura récupéré les forces vives nécessaires pour le faire.
Vous utilisez ce terme de « vivant », pourtant la personne n’était pas morte.
Si : une part d’elle-même n’est-elle pas « morte » quand elle est découragée, désorientée, arrêtée ? La personne se remet « en marche », au sens où l’entend Élie Chouraqui qui traduit ainsi le « Heureux » des Béatitudes. C’est bien la même chose. J’assiste ici à des résurrections : arrivent des gens courbés sous le poids des soucis, du stress ou des incompréhensions. Au fil de semaines, ils se redressent. Ils redeviennent capables d’apporter leur part à la création, « capables de Dieu », et « êtres de relations ». Et ils vont rayonner au bureau, ou dans leur vie tout simplement Parce qu’ils sauront prendre du recul, se recentrer, écouter. C’est ma conviction : un chrétien – un chrétien debout, un chrétien en marche –, ça change quelque chose dans une entreprise !
Vous citez ici des chrétiens, mais vous recevez aussi des non-chrétiens. Est-ce la même démarche ?
Oui. Si certains ont le désir de vivre ce temps avec un regard de foi, d’autres – sans ce regard – ont la même quête de sens. Ils veulent faire l’état des lieux de leurs talents, ils veulent construire un projet d’activité réaliste et réalisable, dépasser ce qui devient obstacle, oser être pour oser faire. Pour tous, c’est un ajustement à soi et à son environnement ; pour un chrétien, c’est aussi un ajustement à Dieu. Tous sont porteurs de progrès et d’épanouissement, dans la fabuleuse audace d’être soi.