Au pied de la Pente douce de Roger Lemelin : psychologie et …

Au pied de la Pente douce: le titre du premier roman de Roger Lemelin paru en 1944 est si beau et évocateur que notre choix s'est porté sur lui en grande partie pour cette raison. Comme tout le monde, nous avions vu Les Plouffe, grand film de Gilles Carle tiré du roman de Lemelin, sans jamais le lire. Alors nous avons saisi l'occasion de ce projet pour nous initier à l'oeuvre de l'écrivain de Québec.

Roman long et touffu - en version poche parue chez Stanké en 2009, il fait 350 pages très serré - Au pied de la Pente douce est une plongée dans le quartier populaire de Saint-Sauveur à Québec, qui se trouve au bas de la côte Franklin, la «Pente douce» du titre. L'action se déroule en 1937, l'église est dominante, les «Mulots» affrontent les «Soyeux», les rouges s'opposent aux bleus et les discussions s'échauffent chez le (faux) brocanteur juif du quartier.

Au coeur de ce roman se tiennent deux jeunes hommes tout juste sortis de l'adolescence, Denis Boucher et Jean Colin. Le premier est ambitieux et éduqué, l'autre, éternel malchanceux, est né pour un p'tit pain. Deux revers d'une même médaille qui permettent à l'auteur de décrire, sans jamais poser de jugement, les rapports de classe et l'obscurantisme ambiant.

Amis et ennemis, Denis et Jean tournent autour de la belle Lise, qui vient de sortir du couvent. Ce triangle amoureux, esquissé au début du livre, prend vraiment son ampleur dans la deuxième partie. Ce qui était un portrait souvent tapageur d'une communauté et un regard très acéré sur la société - Roger Lemelin n'y va pas de main morte avec l'Église, particulièrement avec les grenouilles de bénitier -, devient ainsi en se développant une espèce de roman psychologique.

On se croirait parfois chez les Russes, avec dilemmes moraux et angoisse latente des personnages - c'est ce qui tue littéralement Jean Colin à la fin du roman. Et son agonie est saisissante et bouleversante, parmi les plus prenantes de la littérature, toutes origines confondues.

Mais il faut se rendre jusque-là et on ne peut pas dire qu'Au pied de la Pente douce est une lecture facile. Le côté truculent des dialogues et des situations est amusant et révélateur de l'époque, mais les scènes comiques, comme celles du bingo ou de la lutte, sont longuettes pour nous, lecteurs habitués à plus de punch.

Aussi, la profusion de personnages, qui sont nommés parfois par leur prénom, parfois par leur nom de famille ou même par leur surnom, crée un peu de confusion si on en fait une lecture par petits coups, dans les transports en commun par exemple.

Il vaut mieux prendre le temps de se laisser imprégner de cet univers: le rythme lent n'est alors plus une barrière mais vraiment un moyen de voir vivre devant nous tout un monde, qui était le nôtre il n'y a pas si longtemps. Ça vaut encore la peine de s'y attarder.

«Pour les uns, j'avais écrit le premier roman urbain du Québec dans un style bouillonnant de fraîcheur. Pour les autres, je m'affirmais comme le pire ennemi des bien-pensants et des structures cléricales au Québec.»

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