Après Bernard

Elle est amoureuse, Hélène Fresnel. Et on la trouve bien comme ça. Elle nous reçoit dans son appartement du IXe arrondissement. Avec sa coupe courte, la nuque blonde, le visage mutin, la silhouette gracile. Elle nous installe côté cuisine et sert le café dans des mugs Charlie Hebdo. «Ça ne vous dérange pas ?» elle demande. Va pour la tasse de Bernard. Il ne lui reste plus que ça, à Hélène Fresnel, de la douceur. Que ça en devient frappant.

A l’écouter parler dans son petit haut de coton blanc, on comprend vite qu’une balle dans la tempe n’a pas suffi à arrêter les idées de son homme. Quant à la mort, elle est bien peu de chose à côté des sentiments de ceux qui restent et attendent dans le vide. La dernière compagne de l’Oncle Bernard, tué il y a un an dans l’attentat de Charlie Hebdo, vient de signer un film sur son «Professeur», son «Bernardo» comme elle l’appelait. Documentaire qu’elle a coréalisé avec son amie de vingt ans, Hélène Risser, journaliste à Public Sénat. Le but premier devait être «thérapeutique» comme d’autres écrivent un livre, selon Hélène Risser. L’autre Hélène n’en sait rien encore, si elle va «pouvoir dire au revoir à Bernard maintenant que tout est fini. Je voulais juste parler de lui, satisfaire une curiosité amoureuse, explorer des périodes de sa vie que je n’ai pas connues. Surtout, j’ai voulu lui rendre justice», confie la «Blondette», du petit nom que lui donnait Bernard Maris.


«Eh ! Blondette, qui suis-je socialement ? Economiste ? Je n’aime pas. Ecrivain ? Je voudrais», il l’interrogeait un jour. Le portrait est équilibré. Bernard Maris y est tout en paradoxes. «Ça ne faisait pas de lui quelqu’un de difficile à aimer», précise Hélène qui connaît bien son sujet.

Elle est journaliste à Psychologie magazine depuis sept ans. Elle y traite tous les sujets. N’a aucune responsabilité hiérarchique, qu’elle «n’aime pas». Elle y goûte une stabilité qui s’est fait attendre. Elle s’est formée au journalisme au Celsa, puis a enchaîné des études en psychologie. Après quoi, elle a longtemps pigé. Essentiellement pour la Croix, l’Etudiant, Charlie Hebdo. Elle obtient bien quelques CDD au service Etranger de la Croix, mais ils ne sont pas renouvelés. Hélène Fresnel ne croit en rien. Et il a bien fallu qu’elle s’en confesse dans le bureau de Bruno Frappat au moment de ne pas signer l’ultime contrat.

C’est une pige pour Charlie Hebdo, un entretien avec Jacques-Alain Miller, le gendre de Lacan, qui a valu à la journaliste, alors tout juste quadra, de rencontrer celui qui signe Oncle Bernard dans Charlie, en 2007. «Bernard s’intéressait à la psychologie. Le rendez-vous a été fixé dans un resto. Je l’ai vu arriver avec une écharpe rouge aux côtés de Val. Pour moi, c’était les deux boss de Charlie, j’étais toute rougissante.» Hélène et Bernard se sont revus «de loin en loin».

A l’époque, Hélène Fresnel partage la vie d’un producteur de dessins animés, le père de ses deux enfants : Elsie, 16 ans et Victor, 11 ans. Une vie de famille dans laquelle elle s’investit beaucoup, d’après Hélène Risser : «Sa famille, ça reste pour elle ce qu’elle doit réussir en priorité.» De son côté, Bernard Maris est épris de son épouse éditrice, Sylvie Genevoix, la fille du romancier Maurice Genevoix. «Bernard était comme un petit garçon devant elle», témoigne leur amie, Patricia Martin, journaliste à France Inter.

Cinq ans d’amitié à bonne distance donc. Sylvie Genevoix décède en septembre 2012. Et le couple d’Hélène Fresnel, qui battait de l’aile, se sépare après vingt-trois ans de vie commune. Les cafés et les textos amicaux se raréfient. «Bernard était pris dans son chagrin. Ça isole, un chagrin, ça ralentit.» Décembre 2012, Hélène reçoit un coup de fil sur son vélo du côté de Bastille. C’est Bernard : «Tu veux venir boire un thé ?» Elle file chez lui, dans le XVIe, «dans son quartier de mémères à chiens» qu’elle n’aime pas. Elle arrive avec des choux à la crème. Ils descendent une bouteille de champagne à la santé de Houellebecq. Et puis… «et puis, j’ai cru qu’on avait dérapé. On était si tristes tous les deux».

La culpabilité dépassée «surtout du côté de Bernard qui espérait observer une période de décence pour Sylvie», les deux deviennent inséparables, chacun chez soi. Le couple se voit quotidiennement. C’est Bernard qui vient chez Hélène. Ils travaillent ensemble, s’entraident, débattent, se relisent. «Il m’a assouplie, m’a libérée dans mon écriture, enfermée que j’étais dans mon carcan de bonne élève. Il m’a appris à donner mon avis, à ne plus avoir peur de la liberté et de la solitude.» Le week-end, ils se retrouvent à Trouville où ils aménagent un appartement qui devient leur «lieu commun» et celui des enfants dont Raphaël, 19 ans, le petit dernier de Bernard Maris.

Elle pleure, Hélène Fresnel, tout en s’excusant. On lui pardonne d’avance ses «émotions qui fluctuent». Mais on n’en mène pas large d’avoir embarqué avec elle dans le grand huit du deuil. «Il est dans ma chambre, Bernard, et dans mes nuits. Je sens sa présence bienveillante.» Elle nous montre dans la chambre ce qu’elle conserve de lui : une photo, son badge Radio France, son parfum, Habit rouge, qu’elle porte maintenant. «Des amis ont peur que cette étagère vire en autel comme dans la Chambre verte, le film de Truffaut.» Mais Hélène Risser rassure : «Avec elle, on peut encore parler d’autre chose.» N’empêche, on apprend que Bernard est aussi dans un olivier qu’il lui a offert. «Il est sur la terrasse de ma maison de vacances à Sainte-Maxime. Il va bien.» C’est sa mère, pharmacienne, et son père, chirurgien à la retraite, qui en prennent «grand soin».

Hélène Fresnel continue de consulter la psychologue qui l’a prise en charge le 7 janvier. Cherche du réconfort dans les livres, chez Freud, Barnes, Vinciane Despret. Et continue de vivre «comme il aurait souhaité que je vive». Elle s’est inscrite au permis de conduire. «Il insistait pour que je le passe pour ses vieux jours. On avait vingt ans d’écart.» Quant aux travaux dans la salle de bains, chez elle, ils sont finis. Avec psychologie, philosophie, littérature, sport et yoga, Hélène Fresnel a les clés pour aller mieux. Mais, «plus efficace encore», elle peut compter sur le soutien de sa famille, dont ses trois sœurs, et de ses amis : Riss, Antonio Fischetti, Richard Malka, auxquels elle voue une amitié «tripale». Elle n’intervient pas dans les polémiques financières de Charlie. Défend toutefois Riss, qu’elle «aime tendrement», de vouloir «capter tout le fric». Elle n’est pas inquiète pour l’équipe «qui, de toute façon, n’a pas besoin de ça pour se foutre sur la gueule». Ni pour le journal qui, lui aussi, «n’en finit pas de ressusciter».

19 avril 1968 Naissance à Hirson (Aisne).

2008 Entrée à Psychologie magazine.

22 décembre 2012  Début de sa relation avec Bernard Maris.

7 janvier 2015 Décès de Bernard Maris.

4 janvier 2016 Diffusion d’A la recherche de Bernard Maris sur Public Sénat à 22 h 30 et France 3 à 22 h 50.



Céline WALTER

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