Affaire Fiona: psychologie des mères infanticides

Le traitement de l'affaire Fiona, actuellement, montre que l'infanticide entraîne l'incompréhension ou la véhémence des observateurs. Les mères coupables d'infanticide sont aujourd'hui diabolisées. Que ce soient les journalistes eux-mêmes ou les propos de personnes qu'ils rapportent, les mots "monstre", "horrible", "ignoble" reviennent très souvent. Pourquoi le jugement social est-il aussi radical sur le sujet?

L'enfant est devenu un être protégé par l'État, et les normes sociales qu'il représente, jusqu'au sein de la famille. La vision de la société sur l'enfant a évolué. Dans les années 1970 est née l'idée d'un nécessaire amour maternel instinctif. Ce courant de pensée s'est accompagné d'une législation de plus en plus protectrice pour l'enfant. L'infanticide devient incompréhensible moralement et pénalement. 

Sur l'affaire Fiona, il y a en plus le sentiment d'avoir été floué par le mensonge au début de l'histoire. 

Vous avez basé votre thèse sur l'étude de 37 affaires du début des années 2000 de femmes tuant leur nouveau-né. On pourrait penser que ce type de cas concerne essentiellement des jeunes femmes ayant leur premier enfant. Observez-vous surtout ce type de profil?

Sur mon échantillon, la moyenne d'âge des mères au moment des faits est de 29,5 ans, avec une prédominance des 30-40 ans. La moitié d'entre elles avaient déjà des enfants avant leur infanticide. Nous ne sommes donc pas du tout uniquement face à des jeunes filles mères pour la première fois.  

Mais mes études ne sont pas exhaustives. J'ai choisi des affaires suffisamment bien documentées dans la presse. Et j'ai circoncis mon périmètre de recherche au meurtre d'un nouveau-né afin de ne pas trop m'éparpiller. 

Il existe un profil psychologique de la mère infanticide établi par d'autres études. Elle serait immature, passive, dans une famille dysfonctionnelle, isolée socialement et affectivement, et elle verrait son enfant comme une extension d'elle-même. Votre étude a tendance à dépasser le cadre de ce profil pour s'intéresser à l'entourage.

Ce profil psychologique n'est pas un déterminant automatique. On retrouve souvent ces critères chez les mères infanticides, mais ces critères ne prédisposent pas au passage à l'acte. Le meurtre que j'étudie est celui de la femme, mais je le contextualise dans une histoire de couple. 

Dans le cadre du couple, vous introduisez le concept du "non-enfant". Pouvez-vous nous expliquer exactement ce qu'il recouvre?

On arrive à l'infanticide quand personne dans l'entourage ne fait de place à l'enfant. Le concept du "non-enfant" naît lorsque l'enfant existe physiquement, mais n'existe ni dans l'esprit de ses parents ni dans celui de ses proches. La possibilité de son existence est niée. D'ailleurs, dans la moitié des cas que j'ai étudiés, le corps n'est pas conservé par la mère, il est souvent jeté dans une poubelle. Comme si la mère ne prenait pas réellement conscience qu'elle avait mis un enfant au monde. 

Comment peut-on nier l'existence d'un être bien vivant sous ses yeux?

Parfois, le concept même de la procréation est étranger au couple. Par exemple, certains couples ne faisaient pas de lien entre des rapports sexuels non protégés et la possibilité d'une grossesse. Il y a un déni du don de l'autre. Ces situations se produisent quand le couple est composé de deux personnes qui vivent l'une à côté de l'autre mais pas réellement ensemble. 

Si l'on extrapole au cas de l'affaire Fiona, c'est-à-dire le cas d'une famille recomposée, on peut se demander dans quelle mesure cet enfant issu d'une précédente union existait pour le nouveau couple. 

L'infanticide survient donc quand l'enfant n'est pas un projet du couple?

Si l'enfant n'est pas un projet commun, si le couple ne fonctionne pas mais n'est que l'addition de deux individualités, alors l'enfant n'a aucune place. Cela peut arriver à la naissance, comme dans ma thèse avec une possibilité de l'engendrement niée inconsciemment, ou après une recomposition familiale comme dans l'affaire Fiona. Devenir parent est différent de faire un enfant. Il y a un statut social à assumer, un cheminement interne à suivre. 

Mais dans les cas que vous avez étudiés, la place de l'enfant n'est pas seulement niée par le couple, elle l'est aussi par l'entourage de la famille.

Oui, j'ai l'exemple dans ma thèse d'une jeune fille, M., qui accouche chez ses parents. Sa mère retrouve une flaque de sang dans sa chambre. M. prétexte qu'elle a ses règles, et sa mère nettoie sans poser de question. La possibilité d'un enfant est soit étrangère à l'entourage, soit impossible à penser, préférant repousser au plus loin cette éventualité.  

Quelle est l'influence du contexte familial justement?

Très importante. Je défends l'idée que ces cas arrivent dans des situations familiales complexes et alourdies par une absence de communication. J'ai réalisé les arbres généalogiques de plusieurs cas. On observe systématiquement que l'enfant porte un lourd héritage avant même de venir au monde. 

Open all references in tabs: [1 - 5]

Leave a Reply