Vous avez dit psy… quoi ?!

Ce n’est un secret pour personne. La majorité des Marocains ne font pas la différence entre la psychologie et la psychiatrie. Les deux disciplines se livrent, d’ailleurs, une guéguerre depuis longtemps. Et pour ne rien arranger, voilà que le coaching s’invite dans le paysage, comme si les choses n’étaient pas déjà assez ambigües.
«J’ai trop de travail ces dernières semaines et mon moral commence à en prendre un sacré coup. Alors, j’ai pensé me faire aider par quelqu’un pour que je ne tombe pas dans la dépression et que je reprenne confiance en moi. Mais voilà, je ne sais pas qui consulter : un psychologue, un psychiatre ou un coach ? Il y a tellement de disciplines que je ne sais pas laquelle sera efficace dans mon cas», souligne Meriem.
Difficile de s’y retrouver en effet, quand toutes ces disciplines se prétendent aux mêmes vertus. Alors, il est temps de mettre les choses au clair et d’en finir avec cette confusion. Quelques définitions s’imposent.
La psychologie est l’étude scientifique des comportements. C’est une discipline qui vise la connaissance des activités mentales en fonction des conditions de l’environnement. La psychiatrie, quant à elle, est une spécialité médicale qui traite les maladies mentales. Enfin, le coaching est un accompagnement professionnel personnalisé permettant d’obtenir des résultats concrets et mesurables dans la vie professionnelle et/ou personnelle.

Les trois disciplines

«La différence entre les “psy” réside dans leur cursus et dans leurs applications professionnelles. Un psychiatre est un médecin spécialisé qui prend en charge les maladies mentales ainsi que les troubles du comportement importants. Généralement, il reçoit ses patients une fois par mois pour vérifier les traitements médicamenteux, mais selon son choix, son orientation et sa formation, il peut procéder à des psychothérapies.
Un psychologue, titulaire d’un Master 2 en psychologie (anciennement DESS), est formé à l’écoute du patient, à différentes techniques l’aidant à comprendre et à résoudre les souffrances de ce dernier et ses difficultés personnelles. Quant au coach, il n’y a pas encore de diplômes reconnus et plusieurs formations sont disponibles. Sa démarche sera d’accompagner une personne dans un développement personnel pour s’améliorer et non pour traiter une souffrance», explique Loubna Lemseffer, psychologue. Même point de vue chez Imane Hadouche, coach certifié : «La psychiatrie est une approche à très long terme, qui est axée sur la pathologie. La psychanalyse est une approche à long terme, pour la simple raison qu’elle s’attaque à certains problèmes qu’on ne peut résoudre que si l’on trouve l’origine du problème dans le passé afin de s’en sortir et de créer un meilleur présent et un meilleur avenir. La psychologie peut se résumer comme : peu importe l’explication passée des problèmes, ils sont maintenus au présent par une sorte de cercle vicieux, qu’il faut briser dans le présent. Enfin, le coaching peut aussi se résumer comme : peu importe l’explication du problème dans le passé, peu importe le cercle vicieux au présent, on peut aller directement à l’avenir, là où il n’y a que des solutions et aucun problème encore», souligne-t-elle.

Ambiguïté

«La psychologie est une discipline qui a une réalité un peu particulière, allant jusqu’à la déformation de la qualité de science qui lui est propre et qui a eu de grandes avancées dans le champ des savoirs. Ainsi bien qu’elle ait une existence universitaire de plus de trois décennies, chez nous, elle demeure encore méconnue, non estimée à sa juste valeur et prête à confusion. Par ailleurs, plusieurs facteurs ont joué pour que les Marocains confondent entre les disciplines “psy” et l’ambiguïté perdure. Déjà que la discipline n’est pas assez développée, mais confinée dans des enseignements rigides et maintenant saupoudrée par la référence religieuse. En outre, les mystères de l’esprit et des états mentaux plus qu’ils fascinent plus qu’ils interpellent nos concitoyens dans leur subjectivité et leur intimité, s’ajoute à état de fait, la prépondérance des croyances dans les forces invisibles pouvant interférer avec l’esprit humain», indique Abdelkarim Belhaj, psychosociologue.

Même son de cloche chez Loubna Lemseffer, qui pense aussi que la confusion tient ses origines dans la nouveauté de la discipline au Maroc. «L’ambigüité, qui existe et qui se traduit par une généralisation de ces métiers à celui du psychiatre et donc à des maladies mentales importantes, réside chez les Marocains, car les métiers de psychologues et de coachs n’existent au Maroc que depuis très peu de temps. Il y a également un manque d’information fournie aux personnes et cela même chez certains professionnels de la santé», affirme-t-elle. Toutefois, la psychologue reste tout de même positive. «Heureusement, la connaissance de ces différents métiers et de leurs rôles respectifs commence à germer au sein de la population marocaine et d’importantes avancées ont été observées durant les dix dernières années», assure Lemseffer.

Le psychologue Abderrahim Emran, quant à lui, a une explication différente : «le nouvel attrait des Marocains à la psychologie n’émane nullement d’une prise de conscience mais plutôt de l’influence des médias étrangers.» Pour Imane Hadouche, l’ambigüité entre le coaching et la psychologie a la même source également, mais pas seulement. «C’est probablement parce que le coaching est une approche nouvelle pour le Maroc, du moins au niveau du coaching individuel, puisque les entreprises l’ont découvert depuis les débuts des années 2000. Mais aussi, le coaching reste une approche psychologique, même si, en dehors des problématiques et dysfonctionnements.. On consulte un coach quand on a un objectif ou des problématiques qui peuvent être résolues sans trop fouiner dans le passé. A titre d’exemple, un suicidaire ne peut être coaché, il a besoin de thérapie. Un dirigeant qui a du mal à s’affirmer, peut se faire coacher», souligne-t-elle.

Coaching

D’ailleurs, ce nouveau métier ne semble pas avoir l’estime des psychologues qui le considèrent comme un «intrus» qui veut prendre la place de la psychologie. «Le coach est une pseudo-profession qui n’a pas d’assise formative et fonctionnelle comme pour le psychologue. Bien plus, elle ouvre sur des horizons incertains et la catégorie de prétentieux et de manipulateurs, voire aussi les usurpateurs, s’agrandira au fur et à mesure que l’apport de la psychologie trouve preneurs, notamment au niveau personnel et professionnel et il ne faut pas oublier que certains médias sont pour beaucoup dans la légitimation de ces pratiques de coach et participent même à nourrir l’ambiguïté dans l’esprit des gens», indique Belhaj. Ce qui nous ramène à préciser qu’en aucun cas, un coach ne peut remplacer un psy, comme un psy ne peut remplacer un coach. «Un coach avant d’entamer sa relation d’accompagnement, organise un entretien qui n’engage à rien (ni le client ni le coach), entre autres, pour analyser la demande. Et s’il estime que le client a besoin de thérapie, il l’oriente vers la thérapie. Cela fait partie du code de déontologie du métier», précise Hadouche. D’ailleurs, on ne peut pas parler de «consultation». «Le mot juste serait “accompagnement”. On ne consulte pas le coach, on se fait accompagner par un coach, parce que pour nous, c’est le client qui sait, et c’est lui qui décide où il veut aller et vers quel objectif. On consulte une personne qui en sait plus que nous, alors que le coach n’est pas là pour dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire», note la coach.

Enfin, afin de ne pas se faire arnaquer chez un «faux» coach, il y a certaines questions que le client doit poser à son coach pour être sûr que celui-ci respecte bien la déontologie du métier. «Le métier est nouveau et nous voyons partout des coachs pour tous les domaines : nutrition, sport, cuisine, mode… tout le monde se dit coach, et cela peut s’avérer dangereux si l’on tombe sous la main d’une personne manipulatrice qui n’est pas qualifiée pour exercer.
Afin d’être sûr de la bonne foi de la personne qui va nous accompagner, il faut lui demander où elle a été certifiée (par quels organisme ou école de coaching) et vérifier ses informations; lui demander son code de déontologie (normalement il est livré au client accroché au contrat); savoir si le coach va en supervision (c’est obligatoire et ça fait partie du code de déontologie); et enfin se renseigner sur les approches psychologiques qui font partie de sa formation», conclut Imane Hadouche.


Pourquoi les Marocains ont-ils peur des «psy» ?

Selon Abdelkarim Belhaj, psychosociologue, il ne s’agit pas de peur, mais plutôt que les Marocains sont dans la plupart des cas angoissés par l’idée qu’ils puissent être découverts ou dénudés dans leur intimité.. Aussi, ils évitent d’être considérés comme des malades mentaux. En d’autres termes, ils ne veulent pas se confronter à eux-mêmes.
On aime le psychologue, tant qu’il nous explique de manière discursive des choses de l’esprit, ou alors qu’il interprète le passé pour comprendre le présent de nos réactions, mais on se refuse toute ingérence directe dans la dynamique de notre subjectivité, par souci de découverte de nos faiblesses. Même s’il y a cette croyance très répandue que le psychologue est capable de connaître, juste à première vue, notre état intérieur ou notre personnalité. Ce qui est impossible, puisque le psychologue doit avoir la compétence d’utiliser des techniques de diagnostic (comme les tests) afin d’évaluer et pouvoir analyser. En fait, c’est une image stéréotypée du psychologue qui s’est propagée et installée dans la société et qui n’est pas prête de changer. Alors qu’apparaissent de nouveaux praticiens d’un genre qui ne manque pas d’étrangeté quant à la volonté de vouloir se substituer aux psychologues.


Repères
  • Psychanalyse
  • Il s’agit d’une technique psychothérapeutique fondée sur l’exploration de l’inconscient à l’aide de l’association libre, ainsi que la verbalisation aussi complète et libre que possible, sur l’écoute des souvenirs, des rêves, des associations d’idées ou d’images qui viennent spontanément à l’analysant et permettent de reconstituer sa genèse psychique.
  • Psychothérapie
  • Elle désigne le traitement ou l’accompagnement par un individu formé à cela, d’une ou plusieurs personnes souffrant de problèmes psychologiques, parfois en complément d’autres types d’interventions à visée thérapeutique (médicaments, neurostimulation, etc.).

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