On ne s’habille pas de la même façon au début et à la fin d’une thérapie. C’est le constat de Catherine Bronnimann, psychothérapeute, ancienne designer de mode et de costumes de scène, auteure d’un livre qui s’aventure dans le territoire où ses deux univers professionnels se chevauchent: La Robe de psyché. Essai de lien entre psychanalyse et vêtement
. Cette zone de confluence est curieusement peu fréquentée par les chercheurs. Il y aurait pourtant de quoi.
«Je suis toujours captivée par les changements vestimentaires qui ont lieu durant le cursus thérapeutique», écrit l’auteure. Exemple: Dorabella (prénom d’emprunt, évidemment, rassemblant les bribes de plusieurs histoires, comme ont coutume de le faire les psychologues dans leurs «vignettes cliniques» pour respecter l’anonymat des patients). «Au début, elle était sanglée à ne pas pouvoir respirer, avec des talons très hauts, bloquée dans plusieurs domaines, jusqu’à celui de la sexualité. Petit à petit, au fil de la thérapie, une aisance dans le vêtement s’est installée», raconte Catherine Bronnimann dans son cabinet à Plainpalais. Selon la typologie duale qu’elle établit, la toilette de Dorabella quitte ainsi l’univers moulant de la «femme à tendance Alaïa» et entre dans celui, flottant, qu’incarne le designer Issey Miyake. «C’est dans l’espace entre le vêtement et le corps que se joue la personnalité», déclare ce dernier.
L’habit comme fond de pensée
Le cas de Dorabella illustre un phénomène double, à la fois banal et saisissant. D’une part, le vêtement exprime: «Il nous permet de manifester nos émotions», écrit Catherine Bronnimann. Conséquence: «On change de look non pas parce que c’est la mode, mais parce que cela correspond à la vérité de l’être – et ceci n’a pas de fin.» D’autre part, le vêtement agit à son tour sur notre psyché: «Il contribue à installer un mode de pensée.» Double par essence (une face tournée vers nous, l’autre vers le monde), le vêtement est sans doute le seul objet matériel qui soit à la fois si intime et si social.
On pourrait croire que la complexité du rôle joué par nos toilettes est un phénomène récent, lié à l’éclatement des styles qui fait, en gros, que tout est à la mode tout le temps depuis une trentaine d’années. En fait, tout cela est beaucoup plus ancien: «Shakespeare dans Hamlet dit: «Le costume révèle souvent l’homme», note l’auteure. Le vêtement a par ailleurs une fonction psychique avant d’avoir un but physique. «Dans un sens littéral, protection signifie «couvrir devant». La Bible voit dans la protection un des premiers gestes fondateurs de la civilisation humaine. La Genèse dit: «Ils ont vu qu’ils étaient nus et ils se sont couverts.» Cette phrase montre qu’il ne s’agit pas seulement de se protéger du climat, mais aussi et surtout du regard de l’autre. Comment? En se parant d’une feuille de vigne. La protection est donc essentiellement parure. […] La parure est donc, selon les spécialistes de l’anthropologie du costume, la cause première de l’adoption du vêtement.»
Ayant ainsi arpenté la frontière psycho-vestimentaire, avec un penchant marqué pour la psychologie jungienne des profondeurs, Catherine Bronnimann laisse le territoire aussi en friche qu’elle l’a trouvé. Elle laisse, aussi, quelques panneaux indiquant des pistes, et lance un appel, afin qu’on vienne explorer ce monde et le peupler.