Derrière l’hystérie que provoque la saga Twilight, il y a aussi l’analyse plus en profondeur que l’on peut faire de l’oeuvre de Stephenie Meyer. Quelles sont les problématiques et les thèmes abordés ?
Mes antilopes, mon abnégation envers vous n’a aucune faille : pour écrire ce papier-là, j’ai regardé Twilight. Alors même que je faisais un peu trop la belle à répondre à ceux qui en parlaient « Moi ? Je ne l’ai jamais vu » (comme si je méritais une médaille) (sans déc, j’ai vu Titanic 4 fois au cinéma et j’ai aimé Un, Dos, Tres*), je me suis vautrée devant les différents opus cinématographiques de cette saga.
J’en ai probablement pensé un peu la même chose que vous : les films m’ont parfois ennuyée, parfois rendue curieuse, parfois agacée (pourquoi tous ces acteurs ont-ils l’air constipé ?). Figurez-vous que la sociologue Divina Frau-Meigs s’est également penchée sur le phénomène Twilight et en livre une analyse très juste et sans concession. Promettez-moi de ne pas partir avant la fin : il y aura là des critiques, mais il n’y aura pas que ça, justement.
Twilight est-il un film anti-féministe ?
La chercheuse débute ses écrits sous un angle particulier : les films Twilight sont-ils anti-féministes ? Pourraient-ils contribuer à enfermer leur public dans un schéma de domination masculine ?
Tant dans sa forme littéraire que cinématographique, la saga Twilight se centre sur une romance hétérosexuelle et offre donc à voir des modèles féminins se situant par rapport à des modèles masculins (clairement, je ne suis pas certaine que les films « passent » le Bechdel test). Pour D. Frau-Meigs, l’histoire s’appuierait sur le fameux « girl power », c’est-à-dire sur « une mise en valeur sexualisée du corps des filles », qui permettrait à celles-ci de réussir personnellement et professionnellement. L’indépendance des héroïnes féminines, que ce soit par leur éducation et par une éventuelle vie professionnelle) n’est jamais mise en avant : Bella n’aspire qu’à tout arrêter après ses années de lycées (et tout arrêter, dans son cas, ce n’est rien de le dire). Finalement, le « girl power » voudrait nous faire penser qu’en nous sexualisant, nous pourrions acquérir une certaine forme de pouvoir… En réalité, ce mantra n’est qu’un leurre : le « girl power » nous fait enferme dans le jeu exact de la domination masculine et « dépolitise les enjeux cruciaux pour les femmes et les filles, notamment ceux liés au contrôle du corps et à la violence masculine »… La notion de « pouvoir des filles » ne constitue pas une voie d’émancipation comme pourrait l’être la notion « d’empowerment » (développer l’estime de soi, l’initiative,…).
Le fil rouge de Twilight suit à la lettre le système patriarcal et hétéro-normé : Bella suit quasi-systématiquement les injonctions d’Edward ou de son père (Edward aura toujours en tête d’obtenir l’approbation de papa Swan, et impose à Bella de rester vierge jusqu’au mariage – ce qu’elle accepte), les tourtereaux seront toujours fidèles (j’insiste : toujours, hein, comme pour l’éternité par exemple), Edward ne peut pas contrôler ses pulsions envers Bella, et accessoirement, il est tout de même un vieux croûton nous rejouant le Lolita de Nabokov. Si Edward exprime ses attentes à Bella, cette dernière est modérément en possession de ses moyens discursifs (et préfère soupirer intempestivement)… Lorsqu’elle aborde ses propres désirs, ce sera presque toujours en abordant en parallèle son désir de mort. Sur le thème de la reproduction, Bella adopte une position anti-avortement – quitte à se laisser mourir. Plus globalement, les garçons sont plutôt des prédateurs, et les filles plutôt passives, occupées à être en compétition et rivales les unes des autres.
Tous ces éléments retranscrivent la domination masculine qui sous-tend l’histoire et finalement, dans l’esprit de Divina Frau-Meigs, les films pourraient bien ériger en priorité n°1 nos relations avec les garçons, bien avant nos relations d’amitié, bien avant l’attention que nous portons à nous-mêmes.
Vous voyez le problème : tout ce système de comportements et de valeurs (où les garçons commandent, où les filles se déchirent pour obtenir l’attention des garçons, où les filles sont « protégées » par leurs compagnons) maintient des rapports de domination et enclenche un contrôle pervers des filles par les filles (autrement dit, les filles seraient parfois les ennemies de leur propres émancipation : une femme écrit une saga qui retranscrit les rapports de domination actuels, cette saga est plébiscitée par un public majoritairement féminin qui risque de ne pas saisir le problème et de transmettre à son tour ces rapports de domination… La boucle est bouclée).
Adolescence et surnaturel de proximité
Bien sûr, la saga vampirisante peut être envisagée sous d’autres aspects… Pour ma part, j’ai été surprise par la manière avec laquelle les films abordent par moments l’adolescence – et plus particulièrement les premiers émois sexuels. Bella qui ne cause pas, Bella renfrognée, Bella qui soupire, Bella qui passe directement du niveau « je ne connais pas ce type et il paraît que sa famille est aux limites de l’inceste » au niveau « je l’aime POUR TOUJOURS, un seul être vous manque, et v’là que c’est tout Forks qui est dépeuplé » (bon, quand un mec de 16 ans baraqué comme Lorenzo Lamas – Taylor Lautner quoi – débarque, Forks se repeuple et Bella reprend quelques couleurs)(l’amour adolescent est éphémère).
Selon la chercheuse, Twilight utilise un « surnaturel de proximité » (dans le sens où les vampires, les loups-garous et les humains évoluent ensemble dans l’espace public – même lorsque Bella passe du côté des vampires, elle garde contact avec les humains) qui permettrait à la saga de « tester sans prendre de risque », d’aborder des thématiques adolescentes par le « semi-réel » (les sentiments et émotions sont réels, mais le contexte ne l’est pas).
Je ne vais pas vous surprendre, le sujet phare de Twilight, c’est l’amour : Edward en fait des caisses en se découvrant amoureux, passe de longues minutes à exprimer des angoisses (« Je ne sais pas si je peux me contrôler ») que tout adolescent lambda pourrait ressentir…
Selon l’analyse de Divina Frau-Meigs, la saga serait aussi centrée sur la peau, le corps et ses transformations (se changer en loup-garou, devenir un vampire…) et la perception de soi. Nous sommes par exemple les témoins de l’évolution de Bella : dans les prémices de la saga, elle exprime un manque de confiance en elle et en son physique, alors même que les autres mentionnent explicitement sa beauté ; par la suite, elle « passera du vilain petit canard au joli cygne » et atteindra une nouvelle maturité, où elle deviendra une « enveloppe maternelle et maternante » (protectrice).
La complexité de la puberté y est également abordée sous d’autres prismes : difficulté des adolescents à se construire au travers de « coupures » (divorce des parents, déménagement, nouvel environnement ; les vampires représenteront d’ailleurs l’exact opposé de la notion de divorce, puisque les membres de la famille seront choisis sans liens de sang… mais en étant liés par le rapport au sang), acquisition de l’indépendance vis-à-vis des figures parentales, isolement, appréhension de l’idée de mort, choix sexuels…
Finalement, Divina Frau-Meigs conclue ainsi son analyse en soulignant que l’enthousiasme des jeunes filles à propos de Twilight ne doit pas être méprisé : si les opus de Twilight peuvent représenter un danger (ou du moins un piège) pour l’émancipation des jeunes filles (abstinence, anti-avortement et girl power), reste que certaines problématiques adolescentes y seraient abordées avec justesse.
* et 4 fois, c’est écrit avant la sortie imminente de la version 3D (j’ai un peu honte de moi)… Et encore, je ne vous parle pas de mon appétence pour les émissions de trash tv, hein.
** Disons plus généralement : entre un nourrisson et son parent, hein (la psychanalyse a parfois quelques relents sexistes).
Pour aller plus loin
- Sources : 1er article de D. Frau-Meigs et 2ème article de D. Frau-Meigs… Allez-y, elle en parle drôlement mieux que moi (et elle parle drôlement bien de plein de choses, en plus) !