L’affiche du prochain James Bond est empreinte d’un délicieux classicisme : héros en smoking, nœud papillon, pistolet à la dextre. L’annonce du 23e opus des aventures de l’agent britannique est liturgiquement fidèle à la glorification de l’arme à feu, présente sur toutes les affiches depuis le début, à d’infimes exceptions. Cela est-il socialement anodin ?
En février, l’affiche du film "Underworld" a été retirée par la Régie des Transports de Marseille au simple motif qu’elle affichait des armes lourdes. Selon des résultats publiés par une chercheuse de l’université Knox aux États-Unis, la manipulation d’une arme à feu élèverait le taux de testostérone dans le sang, ce qui faciliterait l’expression de comportements agressifs [1]. Mais le simple fait de voir le Walther PPK de Daniel Craig sur une affiche d’abribus suffirait-il à nous rendre dangereusement irritables ?
Raquette ou revolver
Selon plusieurs chercheurs, l’agression humaine est favorisée par la simple présence d’objets qui, par leur signification, amorcent psychologiquement, consciemment ou non, des cognitions hostiles. Dans une expérience menée par Leonard Berkowitz, de l’université de New York, des volontaires étaient mis en colère par un compère du chercheur, qui les provoquait par des chocs électriques désagréables. Ils avaient par la suite l’occasion de l’agresser par le même moyen.
Les participants se trouvaient dans l’une des trois conditions expérimentales. Dans la première condition, un seul objet était présent sur la table : l’appareil permettant l’administration de chocs électriques. Dans une deuxième condition de l’étude, une raquette de badminton était posée sur la table en plus de l’appareil à électrochocs. Dans la dernière condition, un revolver de calibre 38 remplaçait la raquette. Les résultats ont montré que lorsque l’individu avait été provoqué, la simple présence d’une arme augmentait significativement l’intensité des électrochocs envoyés pour se venger.
Méchants coups de klaxon
Plus récemment, une étude de Christopher Barlett [2], de l’université de l’Iowa, a montré que des personnes qui jouaient à un jeu vidéo violent avec un pistolet en plastique étaient plus agressives par la suite que celles qui jouaient avec une manette au même jeu.
Dans une autre étude, un compère conduisait un fourgon et restait immobile à un feu de signalisation qui passait au vert. On mesurait le temps que l’automobiliste situé juste derrière le véhicule mettait avant de klaxonner (signe d’irritation), et ce en fonction d’indices liées à la violence : un fusil militaire qui était rangé très visiblement à l’arrière du véhicule et un autocollant sur lequel était écrit soit le mot "vengeance" soit le mot "ami". Dans une dernière condition, il n’y avait aucun autocollant ni fusil.
Les résultats ont montré que la probabilité de klaxonner augmentait avec le nombre d’indices agressifs (fusil ou autocollant "vengeance"). La conception associationiste qui sous-tend l’explication de l’effet d’arme présuppose que tout stimulus, même sémantiquement neutre, serait susceptible de déclencher une agression s’il lui était associé d’une manière ou d’une autre par l’individu selon un mécanisme appelé le conditionnement évaluatif.
Par exemple, des sujets conditionnés pour avoir une attitude négative ou neutre envers un prénom (Georges) puis provoqués sont plus enclins à exprimer de l’hostilité envers un partenaire avec lequel ils interagissent et qui porte ce prénom. La couleur de la peinture d’une pièce préalablement associée à une agression suffit également à l’amorce d’une agression subséquente, comme l’a démontré il y a quelques années Jacques Philippe Leyens, de l’université de Louvain. Les stimuli acquièrent ainsi leur valence en fonction d’expériences individuelles spécifiques.
Effets inconscients
Percevoir une arme sans la voir consciemment est suffisant pour que l’effet d’arme apparaisse automatiquement. Dans une étude réalisée avec Baptiste Subra, de l’université de Paris-Descartes, nous avons observé que des personnes exposées durant 17 millisecondes (de manière dite subliminale) à une arme présentée sur un écran d’ordinateur puis frustrées (victimes d’un dysfonctionnement de l’ordinateur qu’ils utilisaient, ce qui les obligeait à recommencer une tâche fastidieuse) avaient un comportement plus hostile avec un expérimentateur par la suite, par rapport à une situation contrôle où ils voyaient des objets neutres [3].
Personne ne sait si l’arme de Daniel Craig augmentera vraiment l’hostilité de ceux qui passeront près de l’affiche annonçant les nouvelles péripéties de l’espion de Sa Majesté ou si le plaisir impatient d’envisager la projection de ce nouvel opus annoncé comme un grand James Bond nous mettra au contraire d’humeur sociophile. À vrai dire je préfère penser à autre chose et repasser encore quelques trailers de Sam Mendes avant la sortie de vendredi. Sans désarmer.
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[1] Klinesmith,J., Kasser, T. McAndrew, F. (2006). Guns, Testosterone, and Aggression: An Experimental Test of a Mediational Hypothesis Psychological Science, 17, 568-571
[2] Barlett, C. P., Harris, R. J., Bruey, C. (2008). The effect of the amount of blood in a violent video game on aggression, hostility, and arousal. Journal of Experimental Social Psychology, 44, 539-546.
[3] Subra, B., Muller, D., Bègue, L., Bushman, B.J., Delmas, F. (2010). Automatic Effects of Alcohol and Aggressive Cues on Aggressive Thoughts and Behaviors. Personality and Social Psychology Bulletin, 36, 1052-1057.