Professeur et psychologue à l’Université du Québec en Outaouais, Stéphane Bouchard tente de nous détailler le chemin parcouru par la réalité virtuelle dans le domaine de la psychologie. Un domaine qui semble sur le point de connaître de profonds changements avec la venue prochaine de l’Oculus Rift.
L’Atelier : Comment la réalité virtuelle peut-elle aider le travail du psychologue ?
Stéphane Bouchard : Elle peut aider à plusieurs égards. Du point de vue de la psychothérapie, l’idée c’est que le virtuel nous permet de faire appel à un contexte qui va susciter des émotions. Ces émotions-là peuvent être utilisées par le psychologue à toutes sortes de fins, pour apprivoiser les peurs dans les troubles anxieux par exemple. Il peut aussi s’agir d’apprendre à gérer le désir de consommer chez les gens qui ont des addictions ou susciter l’inconfort chez les patients qui doivent travailler sur leur image corporelle (les anorexiques notamment). Ensuite, dans le cas de la neuropsychologie, il y a une partie évaluation dans laquelle le virtuel peut permettre de mettre en place une situation plus réaliste, qui donne une meilleure idée de la réalité du patient.
L’efficacité de ces thérapies basées sur la réalité virtuelle est-elle la même que pour les thérapies ordinaires ?
Pour les troubles anxieux, on a le même taux d’efficacité que pour les thérapies cognitives comportementales traditionnelles. Parfois plus. Pour certaines phobies spécifiques, on peut aller jusqu’à 80 % de taux de succès avec des gains sur le long terme (5 à 6 ans post-thérapie). Dans quelques rares études, on constate une efficacité supérieure mais cela demeure très rare.
En revanche sur le plan de l’efficience – du ratio coût/bénéfice – la réalité virtuelle est bien plus avantageuse. Principalement parce que je n’ai pas besoin d’aller à l’aéroport avec mon patient qui a une phobie des vols par exemple.
Cela étant, jusqu’à il y a quelques années, nous faisions en réalité virtuelle la même chose que ce que nous faisions in vivo. Donc il ne faut pas s’attendre à ce que cela soit plus efficace. Mais depuis quelques années, on commence à exploiter le potentiel de la réalité virtuelle pour aller au-delà.
Pour ce qui est du coût, ces thérapies sont-elles désormais accessibles ?
Presque. Cela commence depuis une dizaine d’années. Auparavant, le coût du matériel (ordinateur, casque, etc.) était prohibitif ; il est devenu relativement élevé. Le coût des logiciels était également prohibitif. Désormais, on peut acheter un casque pour moins de 1 000 euros. C’est dispendieux mais l’investissement reste possible. Quant aux logiciels, ils sont de moins en moins chers, on en trouve à 5 000 euros.
Mais il y a véritable vent de changement qui va venir dans les prochains mois. L’avenir, ce sont les produits comme l’Oculus Rift. Des casques qui visent le marché de masse pour 2016. On peut s’attendre à ce que l’an prochain on ait un équipement de réalité virtuelle pour 300 ou 400 euros.
Face à cette accessibilité grandissante, quelles seront les enjeux pour la réalité virtuelle et la psychologie ?
L’enjeu, c’est d’élargir l’éventail d’applications tout en ayant des supports scientifiques pour le faire. Je m’explique. Actuellement, on peut traiter un grand nombre de troubles (anxieux, alimentaires, ou de dépendances). Mais on peut ouvrir toujours plus le champ d’application. Le défi c’est de définir ce qu’on peut faire et ne pas faire.
Car jusqu’à aujourd’hui, on avait principalement affaire à des scientifiques. Dès 2016, cela va être un peu n’importe qui. L’enjeu consistera donc à s’assurer que n’importe qui ne tente pas de soigner n’importe quoi. C’est un problème qui n’existe pas aujourd’hui mais qu’on risque d’avoir à traiter dans un an ou deux. Cela pourrait être bien d’avoir une instance de régulation, même si on ne veut pas se retrouver comme en pharmaceutique à payer des millions pour faire approuver un produit. En fait, je pense que le problème n’a même pas encore été bien défini. L’encadrement des professionnels pourrait être suffisant.
Mais le principal défi sera les psychologues eux-mêmes. Les données montrent ainsi bien que la thérapie cognitive comportementale demeure le traitement de choix pour les troubles anxieux. Or en France, ce n’est pas appliqué. Ces thérapies restent des exceptions. On a donc des évidences qui ne sont pas suivies par les professionnels. En plus de cela, on ajoute l’informatique, qui n’est pas le domaine de prédilection des psychologues. Utiliser et maîtriser l’informatique va donc aussi être un défi.