Vladimir Poutine
Florent Parmentier : Vladimir Poutine restera en 2015 l’homme clé de la crise ukrainienne, celui sur lequel pèse le destin du conflit, son éventuel pourrissement, sa dégradation ou sa résolution. On réduit souvent la psychologie de Vladimir Poutine à celle d’un être paranoïaque, manipulateur et brutal. De son passé d’espion du KGB en Allemagne à son rôle de Président prompt à imposer un rapport de force, on peut facilement voir une forme de continuité finalement assez rassurante.
Il faut pourtant se garder de juger ce personnage uniquement sous ce prisme. Tout d’abord parce que sa formation ne s’est pas arrêtée au KGB, elle est aussi passée par Saint-Pétersbourg, période qui lui a permis de faire la connaissance des milieux d’affaires ; ensuite, parce que sa présidence elle-même a par moment laissé entrevoir un rapprochement réel avec les Etats-Unis, après les événements du 11 septembre et avant la guerre en Irak. Personnalité autoritaire, on ne peut toutefois pas oublier que Vladimir Poutine a pu se montrer pragmatique lorsque la situation l’exigeait.
Il y a dans sa personnalité une conviction forte, qui est que la destruction de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle : celui qui ne regrette pas l’Union soviétique n’a pas de cœur, celui qui veut la reconstruire n’a pas de cerveau. Pour lui, c’est à la Russie de se reprendre en main, car il n’y a pas grand-chose à attendre de l’extérieur : l’Union européenne en tant qu’expérience historique, par décadence et par mollesse, pourrait disparaître comme l’URSS ; le monde musulman est potentiellement menaçant pour la stabilité de la Russie ; la Chine est un partenaire dont l’impressionnant dynamisme économique et militaire fera de Moscou un simple lieutenant.
Dans cette perspective, la politique ukrainienne de Poutine doit se lire non comme une volonté de puissance, mais comme un acte défensif, afin de conjurer la peur de voir l’Ukraine partir vers les structures euro-atlantiques. Vladimir Poutine a pu reconquérir la Crimée, ayant ainsi le sentiment de gagner sa place dans l’histoire russe, ou contribuer aux troubles du Donbass, lui permettant de peser sur la politique internationale ; sa politique a néanmoins aliéné une bonne partie de la population ukrainienne, qui le voue aux gémonies. Contrairement aux hommes politiques européens, sa vision s’inscrit dans le temps : aux commandes depuis 1999, il tient fermement les rênes du Kremlin jusqu’à 2024 s’il le souhaite. Son expérience internationale est donc ancienne ; elle l’oriente vers un objectif de long terme, renforcer la Russie grâce à un modèle qui lui est propre. "Mieux vaut être craint qu’être aimé", semble nous dire cet homme au langage direct : accroître son influence sur l’Ukraine tout en résistant à la pression extérieure semble être sa grande question pour 2015.
Barack Obama
Fermeture annoncée de la prison de Guantanamo, rétablissement des relations avec Cuba, intensification de la confrontation contre Vladimir Poutine... Depuis plusieurs mois, Barack Obama prend des positions que d'aucuns qualifieront de courageuses comparativement aux six premières années de son mandat.
Patrick Chamorel : Barack Obama n'est pas vraiment un "homme nouveau", ni peut-être même un président nouveau ; mais il s'est adapté a un contexte politique :
Après la Chambre des Représentants, c'est le Sénat qui est passé a son tour dans le camp républicain en 2014. Bien qu'il n'était pas candidat, Barack Obama a été la cible privilégiée de l'opposition, et a été sanctionné lors de ces élections en forme de referendum. Les Démocrates eux-mêmes avaient été contraints de faire campagne contre un Président impopulaire.
Barack Obama a surpris par son activisme, son audace et même sa vision depuis la sévère défaite électorale qu'il a enregistrée en novembre dernier. Il a su saisir l'opportunité que lui offrait sa liberté retrouvée par rapport à son ex-majorité au Congrès. Pour transformer l'essai au regard de la postérité, il doit encore obtenir un accord nucléaire avec l'Iran, des traités de libre-échange avec l'Asie-Pacifique, et si possible l'Europe, et peser positivement sur un accord climatique a Paris en décembre prochain. En revanche, il lèguera probablement à son successeur une situation incertaine dans la guerre contre Daech... et sur l'avenir des classes moyennes américaines. Ces enjeux seront au centre de la campagne présidentielle qui commence et qui va de plus en plus éclipser le président sortant.
Signature d’un accord sur le changement climatique avec la Chine, normalisation des relations avec Cuba, fermeté avec la Russie.
En fin de second mandat, les présidents américains sont incités a se focaliser encore plus sur la politique étrangère. C'est là qu'ils peuvent laisser les marques les plus durables pour leur postérité. C'est aussi dans ce domaine que l'exécutif dispose des marges de manoeuvre juridiques et constitutionnelles les plus larges par rapport au législatif et au judiciaire, à un moment où l'assise partisane du Président est fortement réduite, suite a leur érosion au cours des échéances électorales successives. Il n'est donc pas étonnant que Barack Obama ait choisi les deux dernières années de son mandat pour prendre des initiatives audacieuses et inattendues telles que le dégel diplomatique avec Cuba (qui restera a jamais à son bilan, à moins que le soufflet ne retombe rapidement), et du réchauffement climatique (accord avec la Chine). Sur ces dossiers, les controverses sont fortes, mais soutiens et critiques se comptent dans les deux partis.
La fermeté de Barack Obama vis-à-vis de la Russie s'explique par des raisons de politique intérieure. Obama a été très critiqué pour avoir été trop "mou" en politique étrangère, notamment dans les dossiers du Moyen-Orient mais aussi dans sa réplique face à Daech... Et les Américains sont, en raison de la Guerre froide, enclins à la méfiance vis-a-vis de la Russie. Cette fermeté s'explique aussi par la pression des pays américanophiles d'Europe de l'Est, membres de l'OTAN , et par le fait que l'Amérique est moins exposée que l'Europe aux conséquences politiques et économiques (exportations vers la Russie, importation d'énergie) d'une détérioration des relations avec la Russie. Il s'agit d'une posture géopolitique que seuls les Etats-Unis peuvent se permettre en tant qu'unique super-puissance. Un des risques principaux pour les Etats-Unis est de bénéficier d'une moindre coopération russe sur des dossiers comme le terrorisme et l'Iran. Un autre risque d'un excès de fermeté avec la Russie est de créer des tensions avec l'Europe de l'Ouest. Les Etats-Unis en ont assez du problème russe, il n'est pas bon d'en ajouter un deuxième, celui de relations plus difficiles avec l'Europe, principale alliée des Etats-Unis dans le dossier russe et les autres.