En 1991, ce titre accrocheur avait marqué les esprits. Il s'inspirait d'une idée toute simple martelée par le psychologue Urie Bronfenbrenner: si un enfant rencontre tous les jours un adulte fou de lui, son développement est assuré.
Vingt ans plus tard, le rapport Un Québec fou de ses enfants n'a pas laissé en héritage qu'un joli titre. Le travail remarquable du groupe présidé par Camil Bouchard a joué un rôle-clé dans l'élaboration de programmes publics exemplaires pour prévenir les problèmes graves chez les enfants. En montrant qu'il est non seulement plus juste, mais aussi plus rentable pour la société de miser sur l'intervention précoce, il a notamment mené à l'implantation du système de garderies à tarif réduit et contribué à faire reculer la pauvreté au Québec.
Même si le système n'est pas parfait, même si bien des choses restent à faire, l'impact de ce rapport est la preuve qu'il y a parfois un avenir loin de la déprimante «tablette» pour de bonnes idées guidées par un souci de bien commun, soutenues par des recherches solides et défendues avec conviction et intelligence.
Les regards croisés sur la réalité québécoise présentés lundi ont permis de bien mesurer le chemin parcouru depuis 20 ans et les objectifs qui restent encore à atteindre. Les programmes familiaux et sociaux québécois rendent jaloux les Ontariens, les Américains et les Français. Dans ce domaine, le Québec est un modèle pour les autres provinces, a dit sans hésiter Charles E. Pascal, conseiller en apprentissage préscolaire auprès du gouvernement ontarien. Deux ans avant Un Québec fou de ses enfants, il a lui-même publié un important rapport du même genre intitulé Children First. «Un rapport formidable», lui a-t-on dit. Mais quel impact a-t-il eu? Aucun...
Comment le Québec se compare-t-il à la France? En matière de soutien à la parentalité, il n'y a pas un seul programme français qui ne s'inspire pas du Québec, a dit le psychologue français Thomas Saïas, de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Le congé de maternité en France n'est que de 16 semaines pour les mères et de 11 jours pour les pères. On est loin du Régime québécois d'assurance parentale. Et encore plus loin du modèle suédois qui prévoit 75 semaines à se partager entre parents, avec un minimum de trois mois chacun...
Comment le Québec se compare-t-il aux États-Unis? «Au Québec, on est fou de ses enfants. Aux États-Unis, on est juste fou», a dit James Garbarino, professeur de psychologie de l'Université Loyola à Chicago. La phrase a été lancée comme une boutade, mais elle n'était pas dénuée de sérieux pour autant. Les États-Unis sont les leaders mondiaux pour ce qui est des descriptions sentimentales de la famille. Ce sont eux qui écrivent le plus de chansons où on parle des enfants comme étant «notre avenir». Mais les faits révèlent des paradoxes choquants. Un exemple de «folie» américaine? Cent quarante-deux des cent quarante-quatre pays membres de l'Organisation des Nations unies ont ratifié la Convention de l'ONU sur les droits des enfants. «Un des pays qui ne l'ont pas ratifiée est la Somalie. Son excuse: le pays n'a pas de gouvernement central. L'autre pays qui ne l'a pas ratifiée, c'est les États-Unis.»
Quand des Américains lui demandent quelle est la solution à tel ou tel problème, le psychologue américain est souvent tenté de leur répondre: «Déménagez au Canada!» Aux Canadiens tentés par le modèle américain, il donne le conseil inverse: «Reculez!»
Reculer pour aller où? Vers les pays nordiques - Islande, Finlande, Norvège, Danemark, Suède - qui ont les meilleurs programmes familiaux du monde, vous dirait sans hésiter la Dre Marie-France Raynault.
La Dre Raynault a commencé sa carrière comme médecin de famille au CLSC Centre-Sud. En 1999, elle a fondé l'Observatoire montréalais des inégalités sociales et de la santé, dont le but était de mieux orienter les programmes publics pour justement réduire les inégalités en santé. Elle est aujourd'hui chef du département de santé publique et de médecine préventive au CHUM. Son sujet préféré? Les programmes sociaux scandinaves. Elle déplore le fait que l'on en parle toujours comme d'une inaccessible étoile. «On se demande toujours s'il faut se comparer aux pays nordiques ou si on ne ferait pas mieux de continuer de se comparer aux États-Unis ou à l'Ontario - ce qu'on fait généralement. Mais les pays nordiques ne sont pas sur la planète Mars!»
Le Québec n'est pas la Suède. Parce que ce n'est pas un pays souverain, parce que l'égalité homme-femme n'y est pas aussi bien implantée, parce que le pouvoir y est moins décentralisé, parce que la valeur que l'on accorde à l'éducation et à la recherche n'est pas la même...
Malgré tout, le Québec peut très bien se comparer à la Suède et s'en inspirer, plaide la Dre Raynault. On pourrait améliorer la formation des éducatrices, par exemple - dans les pays nordiques, elles ont obligatoirement une formation universitaire. On pourrait miser davantage sur le logement social. On pourrait offrir plus de soutien aux parents d'enfants handicapés...
Si beaucoup de progrès ont été faits depuis 20 ans, si le Québec est la plus «nordique» des grandes provinces canadiennes en matière de programmes familiaux, il n'y a rien d'illusoire à vouloir faire mieux en s'inspirant des pays nordiques qui osent «mettre leurs rêves sur la table».