La psychologue Zaza Yurtsever, formée au département européen de psychologie de l’Université Philipps de Marburg, a travaillé 15 ans sur les causes de la prise de poids. Dans un entretien accordé à Zaman, elle défend une approche plus psychologique et moins nutritionniste du problème.
Selon vous, la véritable raison qui se cache derrière les relations déséquilibrées que nous avons avec la nourriture est d’ordre psychologique.
Exactement. Tout d’abord, je ne pense pas que la question essentielle ici soit celle du poids. La vraie question est de savoir comment notre relation à la nourriture est devenue déséquilibrée, en décalage. Vous avez deux extrémités : d’un côté, l’obésité, de l’autre, l’anorexie. Foncièrement, c’est la même chose : dans les deux cas, celui qui en souffre pense à la nourriture 24 heures sur 24. La seule différence est que dans un cas, on mange en permanence, et dans l’autre, on ne mange pas.
Qu’est-ce qui est à l’origine de ce déséquilibre dans notre relation à la nourriture ?
Les gens mangent pour des raisons liées à l’émotion. Les émotions peuvent aller de la colère à la culpabilité, à l’incapacité de faire ce qu’on voudrait, ou encore à des problèmes de relations sociales. Les gens mangent dans le but d’essayer d’équilibrer ces émotions. Un fort désir de devenir plus mince peut être une source de stress, ce qui en soi peut provoquer un déséquilibre dans les habitudes alimentaires.
La joie, par exemple, peut entraîner une grande faim. Comment comprendre alors ce que vous nous dites ?
Ce qu’il y a, c’est que lorsque les choses sont à ce point liées aux émotions, peu importe laquelle en particulier vous a amené à cette situation. Certes, vous pouvez aussi trop manger parce que vous vous sentez bien. Il n’en demeure pas moins que le vrai problème ici est que si vous ressentez physiquement la faim et le besoin de manger, c’est que votre balance émotionnelle est complètement déséquilibrée.
Vous nous dites donc : pour maigrir, n’allez pas chez un diététicien, mais chez un psychologue ! Est-ce que ça signifie que l’aide psychologique est décisive en matière de perte de poids durable ?
Ce dont nous parlons ici, c’est qu’il y a des gens qui utilisent la nourriture pour essayer de gérer des problèmes émotionnels. Et quelqu’un qui vit cela a indubitablement besoin d’être aidé sur le plan psychologique. Mais bien sûr, c’est parfois mal interprété, comme si j’étais en train de dire aux gens qu’ils ne devraient pas recourir aux services d’un diététicien. En Turquie, du moins, c’est interprété dans ce sens, mais ce n’est pas le cas en Allemagne. Là-bas, les gens viennent me voir et me disent : «Pourriez-vous nous former sur la question ?»
Comment les diététiciens de Turquie réagissent à vos affirmations ?
Ils me regardent comme pour me dire que j’interviens dans un domaine qui est le leur et dans lequel les psychologues n’ont rien à faire. Je soutiens que les psychologues doivent résoudre les problèmes de poids. Et je ne dis pas cela pour les seuls problèmes d’obésité. Celui qui voit ses vêtements passer de la taille 38 à la taille 44, celui qui se pèse tous les jours doit se diriger vers un thérapeute. Les régimes permettent de perdre du poids à court terme, mais sur le long terme, leur effet est inverse. Pour que la perte de poids soit durable, une assistance psychologique est nécessaire.
Mais peut-être est-ce simplement un peu difficile ? Je veux dire, qui ne veut pas être mince ?
L’idée que je veux faire passer ici est qu’il existe des déséquilibres dans la relation à la nourriture. Nos gènes sont programmés pour une consommation limitée de nourriture. L’abondance dans laquelle nous vivons au XXIe siècle a été longtemps inconnue et nos codes ADN sont programmés pour percevoir la famine. D’autant que, bien entendu, nous bougeons aujourd’hui beaucoup moins que par le passé. Les conditions sont vraiment réunies pour prendre du poids. Aussi, décréter que «tout le monde doit être ainsi», c’est faire violence à la nature. Si cette manière de voir était juste, les gens seraient devenus plus minces du fait de cette pression. En Turquie, ce problème est encore nouveau.