Atlantico : "A mesure que la richesse des personnes augmente, on constate qu'elles ont tendance à faire de moins en moins preuve de compassion et d'empathie. A l'inverse, elles se préoccupent beaucoup plus de leur bon droit, de leurs mérites et de leur propres intérêts", a déclaré Paul Piff, chercheur en psychologie sociale à l'université de Berkeley, lors de l'édition 2013 de la conférence Tedx. Le fait de s'enrichir rend-il effectivement plus narcissique et individualiste ? Que constate-t-on vraiment ?
Therry Gallois : S’enrichir apporte davantage de pouvoir et/ou de puissance. L’argent permet aussi de renvoyer aux autres une image de soi-même qui est valorisée : on affiche sa valeur au travers des possessions. Et plus on s'enrichit, plus on a peur de « retomber ». On nourrit une angoisse plus ou moins consciente de la ruine, qui va avoir pour conséquence l’individualisation et l’oubli des personnes autour de soi. Lorsque la richesse est forte et rapide, surtout, le mouvement ascensionnel est tel que la peur de redescendre est encore plus intense.
Des éléments de personnalité s’ajoutent à cela, qui peuvent atténuer ou amplifier le phénomène. Si la valeur de solidarité n’est pas ancrée dans l’éducation de la personne, la dérive égocentrique est bien plus marquée.
Paul Piff a mené plusieurs expériences qui lui ont permis de constater des changements d'attitude chez les individus dès que leur situation s'améliore d'une manière ou d'une autre : arrogance, esprit de compétition, baisse du niveau de solidarité... Comment expliquer que ces réflexes participent d’une volonté de se protéger ?
La peur de la ruine est plus ou moins consciente. Les sujets qui partent de niveaux bas ou moyens et qui construisent une richesse par quelque moyen que ce soit sont les premiers concernés. Le réflexe est de protéger la situation nouvelle à tout prix.
Cela signifie-t-il que l'empathie, la solidarité et l'humilité dont une personne à faibles revenus pourrait faire preuve ne sont qu'une façade ? Sommes-nous tous des égoïstes en puissance qui n'attendent que la hausse de leur niveau de vie pour se révéler ?
Ne soyons pas aussi extrêmes. Notre personnalité joue, ainsi que l’éducation de chacun. Le monde dans lequel nous avons été élevés nous influence énormément. On peut chercher à s’enrichir beaucoup sans pour autant oublier les autres.
Notons que les mentalités américaine et française sont très différentes par rapport à l’argent et la réussite. Chez nous, l’argent a un effet de culpabilisation évident. Chez les anglo-saxon au contraire la réussite et l’argent sont valorisés, puisqu’ils sont censés favoriser le partage : les dons sont beaucoup plus courant là-bas. Il serait d’ailleurs intéressant de mener des études comparatives plus poussées.
Quelle est la responsabilité de l'entourage ? Ce dernier, par ses attentes, peut-il pousser celui qui a réussi à se retrancher du monde ?
La notion de justice est très présente notre monde occidental. Lorsqu’on voit des fortunes construites rapidement, grâce à un héritage ou à l’euro-million par exemple, la bienveillance laisse vite place à l’envie : pourquoi lui et pas moi ? Cela est très présent dans nos mentalités, ce qui peut déclencher une position de retrait chez le possédant, soit parce qu’il se protège, soit parce qu’il se sent rejeté. Certains gagnants du loto ont été jusqu’à dilapider leur richesse pour revenir à leur situation d’avant. L’argent génère toujours attirance et répulsion, nous n’avons pas beaucoup évolué sur ce point.
De tels comportements narcissiques sont-ils plus courants aujourd'hui qu'avant ? Pourquoi ?
Notre rapport à l’argent est en train d’évoluer, car nous en parlons beaucoup plus qu’avant. La notion de réussite est de plus en plus mise en avant, et est même vécue par certains jeunes comme un objectif. Le revirement s’est effectué dans les années 1980.
Cela veut-il également dire qu'une plus grande exigence morale et éthique pèse sur les riches pour éviter qu'ils ne cèdent au narcissisme et au mépris de classe ? Comment se prémunir contre cette dérive ?
Si on prend l’exemple de quelqu’un comme Bill Gates, on peut supposer que son évolution s’est faite par étapes. Il a dû passer par un moment de protection à l’égard du monde, puis son sentiment de sécurité lié à sa fortune qui est considérable, mêlé à sa culture du don à l’américaine, l’a poussé à se poser des questions et à revenir à une position d’empathie. Intérieurement, il a beaucoup « voyagé », il est au-delà de toutes les peurs inhérentes à la richesse.