Le binge watching, cette tendance gloutonne à s’empiffrer de séries, pourrait avoir de puissantes vertus empathiques et développer de manière significative l’intelligence émotionnelle des téléspectateurs. A condition, bien évidemment, de se tourner vers les programmes adéquats. C’est la curieuse conclusion d’une étude publiée la semaine dernière dans la revue Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, relayée par le New York Magazine.
“Mad Men” VS “Shark Week”
Intitulée Fiction et cognition sociale : les effets du visionnage de séries dramatiques primées sur la théorie de l’esprit, l’étude a demandé à un échantillon de 100 personnes de regarder une série dramatique primée aux Emmy Awards – Mad Men ou A la Maison Blanche – ou un programme non-fictionnel diffusé sur la télévision américaine – Shark Week (une émission hebdomadaire sur des attaques de requins) ou How the Universe Works (une mini-série documentaire sur l’univers). Au terme du visionnage, l’ensemble des participants s’est soumis à un test psychologique souvent utilisé pour mesurer l’intelligence émotionnelle, consistant à définir l’émotion à l’oeuvre dans 36 paires d’yeux représentées sur des photograpghies. Il est apparu, à l’issue de l’expérience, que les participants ayant regardé l’une des deux séries dramatiques développaient une capacité empathique accrue par rapport aux sujets ayant regardé l’un ou l’autre des programmes non-fictionnels.
Afin de parfaire leur étude, les psychologues ont ensuite réitéré l’expérience en changeant les programmes (The Good Wife et Lost pour les séries dramatiques, et Nova et Through the Wormhole pour les programmes non-fictionnels) et en introduisant un troisième groupe – dit “groupe de contrôle” –, constitué de personnes n’ayant regardé aucun des quatre programmes. Rebelote : les personnes ayant regardé Lost ou The Good Wife ont fait preuve d’une capacité empathique supérieure aux participants des deux autres groupes.
Une expérience valide ?
Si les résultats sont probants, difficile d’évaluer la validité de l’expérience, ne serait-ce que dans le choix des programmes laissés aux participants, quelque peu biaisé. D’un côté nous avons des séries dramatiques d’excellente facture, largement plébiscitées, et dont l’un des principaux enjeux est de développer le plus justement possible les émotions de leurs personnages. De l’autre, des programmes non-fictionnels s’intéressant à des requins ou au système solaire. Peut-être qu’en mettant dans la balance un programme non-fictionnel s’intéressant à de l’humain, le résultat différerait…
Impossible néanmoins de ne pas évoquer, non sans une poussière dans l’oeil, le splendide final de Mad Men (attentions spoilers) dans lequel Don Draper, après sept saisons de perditions – conjugales, alcooliques et identitaires – trouve dans les bras d’un inconnu, lui aussi dévoyé mais à bien des égards son antipode, un réconfort providentiel, laissant à sa place de symbole le motif de la défenestration évoqué dans le générique, pour lui préférer un envol zénithien, incarné par le sourire inespéré qui clôture définitivement la série. Preuve tangible que les séries peuvent faire de nous, sinon de meilleures personnes, du moins des téléspectateurs plus empathiques.
Quelle que soit l’implication réelle des séries sur notre intelligence émotionnelle, cette étude constitue une excellente excuse pour binger tout le week-end. Si l’on vous reproche votre comportement paresseux, voir asocial, répondez simplement que vous consolidez vos capacités empathiques.
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