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«Les questions des lecteurs du "Matin" ont changé»
Rosette Poletti
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Aujourd’hui, cela fait très exactement 25 ans que vous collaborez à notre journal. Vous en êtes une figure incontournable, vous êtes toujours très populaire et les gens vous sollicitent beaucoup. Comment expliquez-vous ce succès et cette longévité?
C’est parce que je suis en prise avec les préoccupations des gens. Comme je pars de leurs lettres, d’une question qu’ils me posent ou d’un conseil qu’ils demandent, mes textes répondent toujours à un besoin, et sont en adéquation avec les préoccupations du moment. Je ne peux pas tomber faux.
Avez-vous tout de suite trouvé votre public?
Oh oui, bien au-delà de ce que nous attendions. En 1987, je ne sais plus trop pourquoi, je me passionnais pour la chromothérapie. Mon premier article concernait donc les couleurs – j’expliquais les valeurs et les particularités de chacune, et je proposais à la fin de l’article aux lecteurs intéressés de contacter la rédaction pour obtenir un feuillet plus détaillé que j’avais préparé. Je m’attendais à deux ou trois demandes, on en a reçu 600! C’était drôle, d’ailleurs, parce que le journal n’était pas du tout outillé question logistique pour gérer une telle avalanche.
Est-ce que vous avez perçu une évolution dans les questions et le type de problèmes que les gens souhaitent aborder?
Très clairement. Au début, la thématique récurrente, c’était les médecines parallèles, alternatives – l’acupuncture, l’ostéopathie, l’homéothérapie. On me demandait de quoi il s’agissait, ce que j’en pensais. Aujourd’hui, c’est complètement entré dans les mœurs aux côtés de la médecine traditionnelle et ça ne fait plus tellement débat. On me posait aussi des questions sur telle maladie, ses symptômes, son évolution, ses traitements. Maintenant, plus du tout.
Pourquoi?
La raison principale, c’est Internet: on y trouve toutes les réponses de type encyclopédique, les connaissances. La nature des questions que je reçois s’est donc radicalement modifiée. Maintenant, le thème récurrent, ce sont les événements de vie. Non plus qu’est-ce que ce cancer, mais comment vivre avec, en parler à la famille ou pas, gérer la maladie avec le conjoint, les collègues. Et aussi les divorces, les deuils, les relations difficiles avec les enfants, les moments de transitions comme par exemple le départ à la retraite. La recherche du sens est aussi nouvelle.
Qu’est-ce que vous voulez dire?
Longtemps, l’Eglise a répondu à la question du sens de la vie et de sa finalité. Maintenant, chacun doit trouver une raison d’exister qui lui corresponde, et je note dans les questions des lecteurs à la fois le besoin de repères et la difficulté à en trouver. L’idée que l’on devrait forcément être heureux, puisqu’on est libre, est aussi très présente, et tout aussi difficile à gérer. On ne peut pas vivre dans le bonheur perpétuel, c’est une illusion qui peut rendre très malheureux.
On glisse vite vers la spiritualité, ou vers des questions de foi. Comment gérez-vous ces questions? Quelles limites vous imposez-vous dans vos conseils dans ce domaine?
C’est vrai également que les quêtes spirituelles sont plus présentes chez les lecteurs. Il ne m’appartient évidemment pas de juger de la supériorité d’une religion ou d’un mouvement de pensée sur un autre. Je ne prends jamais position, d’autant moins que tous les chemins sont enrichissants, même si on finit par les quitter. La seule limite, c’est la secte. Suivre un gourou qui s’en prend à votre argent, vous coupe de vos amis ou de votre famille, c’est dangereux, et là, je le dis très clairement.
Comme vous le soulignez, les thèmes abordés sont très récurrents. Les séparations, les décès ou les mauvaises relations avec la belle-mère, vous n’en avez pas un peu marre? Ou le sentiment de vous répéter?
Evidemment, c’est très restreint. Mais c’est ce que les gens vivent, c’est ce qui les préoccupe. Donc j’y réponds. Mais comme je lis beaucoup, surtout en anglais, ce qui se publie dans ces domaines de la psychologie et du développement personnel, j’essaie d’aborder le problème chaque fois sous un autre angle, et je suis surprise de constater qu’en fait j’aurais encore bien d’autres choses à dire, d’autres pistes à suggérer.
Les gens qui vous écrivent accusent toujours leurs enfants d’être des ingrats, leur conjoint un égoïste et leurs parents des monstres qui les ont blessés sans savoir le reconnaître. Bref, tout le monde il est méchant et personne ne m’aime à ma juste valeur. Cette attitude très victimaire et ce manque de remise en question ne vous frappent pas?
Si bien sûr! C’est très agaçant! Les gens ont de la peine à assumer une part de responsabilité dans ce qu’ils vivent. Ils sont toujours d’innocentes victimes sacrifiées. Alors que si nous sommes déterminés à 10% par la génétique et 50% par l’éducation reçue, cela nous laisse encore 40% de liberté pour agir et choisir. Mais quand ils me sollicitent, les gens n’ont pas besoin de m’entendre leur dire que pour faire marcher un couple, il faut être deux, et que quand ça se passe mal, c’est aussi de leur fait. Ils en sont à un stade où ils ont besoin que leur souffrance, qui est bien réelle, soit validée, reconnue. C’est toujours par là que je commence, et je prends la place de le faire bien. Dans un deuxième temps, j’essaie systématiquement d’ouvrir la porte à une remise en question, à tracer une voie vers le changement.
A force de côtoyer tous ces drames, vous n’êtes pas démoralisée?
Non, je sais me protéger, notamment en m’entourant d’amis et de ma famille, de gens qui vont très bien et me donnent beaucoup sans être en demande. J’essaie aussi de garder à l’esprit deux choses. D’abord, la partie de la population qui s’adresse à moi est la petite frange qui va mal, mais à côté, il y a énormément de gens qui vont bien. Ensuite, il faut rester modeste, ça aide à garder le moral: je n’ai pas la mission de sauver les gens. J’essaie de leur montrer des voies, mais c’est à eux de faire le chemin.
Dans les conseils que vous donnez, il y a des grands classiques, par exemple le fameux «lâcher-prise». Concrètement, ça veut dire quelque chose?
Oui, bien sûr, et c’est justement très lié à ce que vous venez de dire: lors d’un événement de vie, les gens ont fortement tendance à ressasser. Ils se repassent en boucle ce qui a été mal fait, aurait dû être fait comme ci, n’aurait pas dû être fait comme ça, bref ils restent englués dans une situation et un système de pensées qui manifestement ne leur convient pas, et ils ont énormément de peine à laisser partir ce passé pour se projeter dans le futur, dans ce qui pourrait être. Lâcher-prise, c’est ça: reconnaître la souffrance qui naît du deuil, d’une séparation, accepter que l’on ne puisse plus changer ce qui a été fait et se projeter dans ce que l’on voudrait voir advenir. Il ne s’agit pas d’être fataliste ou dans le déni, mais d’accepter la réalité puis de tourner la page.
Un autre de vos musts, c’est «savoir dire non»…
Oui, c’est vrai, mais ça, c’est un conseil qui s’adresse aux lecteurs qui ont vieilli avec moi, surtout aux femmes. Elles ont été élevées dans l’idée que leur personnalité et leurs aspirations ne comptaient pas, que leur réalisation passait par un sacrifice de leurs besoins et envies sur l’autel de leur mari et de leurs enfants. Ce qui est très dangereux: il ne faut jamais s’oublier, se perdre de vue. Je leur conseille donc d’essayer de renouer avec elles-mêmes et de dire non quand elles font quelque chose pour faire plaisir ou rendre service plutôt que parce qu’elles en ont vraiment envie. Mais alors avec la nouvelle génération, pas besoin de leur apprendre à dire non! Ils font ça très bien tout seul!
C’est-à-dire?
J’appelle l’autre jour un de mes petits neveux pour qu’il m’aide à résoudre un problème informatique, lui demandant de venir à la maison. Il me répond: «Ah non aujourd’hui je n’ai pas envie, mais demain d’accord, je passe.» Sur le moment, ça surprend, mais je trouve ça très sain, au fond, comme attitude.
Vous avez fait une partie de vos études aux Etats-Unis et vous avez une approche très pragmatique et pratique des problèmes psychologiques. Aux gens qui n’arrivent pas à lâcher prise, vous recommandez par exemple d’écrire une lettre à leur mère ou leur conjoint, avec la liste de leurs griefs, puis de la brûler.
N’est-ce pas un peu simpliste?
Si vous êtes empêtré dans une situation, que vous ressassez et que vous n’arrivez pas à dépasser le ressentiment, brûler une lettre ne va pas d’un coup de baguette magique vous permettre de passer à autre chose. Mais sincèrement, ce genre de petits gestes, ça aide vraiment. Surtout si vous les répétez. Pareil si vous broyez du noir: écrire à la fin de chaque journée ce que vous avez vécu de positif, recenser les moments de bonheur ou plus simplement de plaisir, permet de prendre conscience que tout ne va pas si mal et de se sentir mieux. C’est une façon concrète de passer des étapes – je conseille d’ailleurs aussi d’inventer de nouveaux rituels.
Pourquoi?
Parce qu’on en a besoin pour clore une étape, et clore un épisode est primordial pour en commencer un nouveau. Notre époque manque de rituels qui formalisent le passage d’un état à un autre. De l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi lors de divorces par exemple. Je suis très favorable aux faire-part de divorces. L’idéal étant de l’écrire et de l’envoyer à deux, si les relations sont assez bonnes pour le faire bien. On annonce que l’on se sépare, chacun indique sa nouvelle adresse, et on l’envoie à toutes les personnes qui étaient présentes au mariage – j’en ai reçu de très beaux. C’est important de dire les choses clairement pour pouvoir les surmonter, plutôt que de rester suspendu dans un entre-deux.
Les psychiatres, par exemple, ou les psychothérapeutes, ne vous reprochent pas cette approche quand même très basique?
Non, en tout cas ils ne se manifestent pas. Et c’est sans doute parce que je suis bien consciente de mon rôle et ne me place jamais dans une position de médecin. J’écoute ce que les gens ont à dire et je leur donne des pistes pour se prendre en main. Je suis orientée très pratique, c’est vrai, mais les gens qui peuvent lire Jung ou Freud dans le texte n’ont pas besoin de moi. J’écris pour être comprise, et souvent les spécialistes ne ciblent pas, ou mal, le grand public. Ils surestiment la dimension théorique. J’ai écrit pour les Editions Jouvence et j’ai beaucoup appris à leur contact sur la façon dont il faut s’adresser au plus grand nombre: jamais de mots qu’un adolescent de 14 ans ne comprendrait pas, toujours des textes courts. Une explication théorique sur la dépression selon la psychanalyse classique ne va pas aider la mère de famille qui m’écrit parce qu’elle est au fond du trou. C’est aussi parce qu’il me permet cet accès au plus grand nombre que je collabore au «Matin Dimanche» et pas à d’autres titres.
Tenir cette chronique, qu’est-ce que cela vous amène?
C’est extrêmement gratifiant, parce que j’ai beaucoup d’échos. Je rencontre beaucoup de gens via les cafés-deuil, mais «Le Matin Dimanche», c’est une tout autre dimension. Même si je n’ai pas la prétention de sauver les gens, ça fait plaisir de voir des habitants de Porrentruy à Chermignon qui me reconnaissent, me disent qu’ils me lisent ou que je les ai aidés.
Aidés comment?
Je me souviens d’un contrôleur, justement dans un train qui me ramenait de Porrentruy. Il a attendu que le wagon se vide pour venir me dire que sans moi, il ne serait plus aux CFF. Il venait de recevoir une lettre de son employeur qui lui adressait un ultimatum: il devait régler son problème d’alcoolisme ou il serait licencié. Ce dimanche-là, j’avais écrit des conseils sur ce thème, en parlant notamment des Alcooliques Anonymes. Ça lui a donné la force d’y aller, et il a réussi à arrêter de boire.
Avant vous, cette chronique de conseils existait déjà dans notre journal. Elle a été tenue par Colette d’Hollosy durant cinquante et un ans. Donc finalement, là, vous n’en êtes qu’à la moitié?
Colette d’Hollosy, oui! C’est vrai! Mais je n’ai pas l’ambition de refaire 25 ans, quand même. Encore deux ou trois ans, je serai déjà très heureuse.
(Le Matin)
Créé: 03.06.2012, 09h07
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