A. Lieury, Le livre de la mémoire, Dunod, 2013.
A. Lieury, Mémoire et réussite scolaire 4e édition, Dunod, 2012.
A. Lieury, Une mémoire d’éléphant, Dunod, 2011.
A. Lieury, Apprendre par cœur ou comprendre ?, Cerveau Psycho N°41, 2010.
L'Essentiel Cerveau et Psycho N°11
aout - octobre 2012
Donner l'envie d'apprendre
Le cerveau humain contient 200 milliards de neurones (cent milliards pour le cerveau proprement dit et cent milliards pour le cervelet). Vous imaginez facilement que cet immense cerveau ne produit pas qu’une seule et unique mémoire. Et puisqu’il existe de multiples mémoires et mécanismes mis en œuvre dans leur fonctionnement, il n’y a pas UNE méthode (ou recette), mais plusieurs, pour les utiliser au mieux. En voici les principales (car il existe en plus une mémoire des visages, une mémoire musicale, etc.) pour bien réviser avant un examen.
La mémoire biologique : la loi des neurones, c’est la répétition !
Tout apprentissage ou souvenir correspond sur le plan du cerveau à des connexions entre neurones, un peu comme les connexions électriques dans votre maison. Or ces connexions ne s’établissent pas par magie, mais se construisent biologiquement par la poussée (comme des racines de plantes) de milliers de ramifications, les dendrites. La loi des neurones, c’est donc la répétition.
Comme les neurones sont de vrais « usines », il leur faut de l’énergie, des éléments de constructions, et ils se fatiguent. Ainsi, les recherches ont montré qu’il était plus efficace d’apprendre dans la durée, avec des pauses, pour ne pas épuiser les neurones : c’est l’apprentissage distribué. Vous devez également privilégier le sommeil et donc supprimer les excitants. Il faut aussi bien s’alimenter avec des protéines, de la viande, du poisson, des œufs, mais aussi avec tous les nutriments essentiels, les lipides, les sucres lents (pâtes, frites, banane…) et avec des vitamines (nourriture variée ou compléments) et des minéraux (chocolat, etc.).
À l’inverse, supprimez tout ce qui est nocif pour le cerveau : l’alcool, qui détruit les neurones et une structure qui enregistre les souvenirs, le tabac, qui réduit la fluidité sanguine cérébrale, les drogues (y compris le cannabis), qui déséquilibrent les échanges chimiques entre les neurones.
En résumé, FINI le bachotage : il faut apprendre toute l’année et réviser, et au contraire se détendre et bien se nourrir les jours avant les épreuves !
La mémoire à court terme : danger… surcharge !
C’est une découverte aussi révolutionnaire que celle des protons et des électrons à l’intérieur de l’atome que d’avoir montré que la mémoire comprend deux principaux systèmes, la mémoire à court terme (ou de Travail) et la mémoire à long terme. Pour faire une analogie avec l’ordinateur, la mémoire à long terme est le disque dur, avec tous les logiciels et les informations (textes, images, calculs…), tandis que la mémoire à court terme est la mémoire vive et l’écran.
La mémoire à court terme a deux caractéristiques de fonctionnement qu’il faut bien connaître pour éviter le « trou noir » au moment de l’examen. Cette mémoire ressemble au fichier de la bibliothèque, mais n’a que sept cases : chaque case contient la référence d’un fichier bien « construit » en mémoire à long terme, un mot, un concept (par exemple triangle isocèle), une image. Une méthode très efficace est donc d’apprendre par petits groupes d’informations. Par exemple, retenez trois catégories de chacune quatre mots : quatre animaux, quatre musiciens, quatre fleurs. Ainsi, grâce aux connaissances de la mémoire à long terme (ici, la mémoire sémantique), il vous suffit de retenir en mémoire à court terme Animal pour récupérer ensuite les quatre noms d’animaux.
Concrètement, face à une leçon (cours ou manuels), il faut tout d’abord simplifier pour éviter la surcharge ; un plan idéal est de trois titres et quatre sous-titres. Vous devez vous refaire un cours (ou un petit manuel) résumé ainsi : c’est le système des fiches. Attention ! Il faut le faire soi-même, et ne pas réviser sur les fiches d’un copain ou d’une copine ; car c’est le travail de va et vient entre mémoire à long terme et mémoire à court terme qui permet l’enregistrement structuré des connaissances. Prendre les fiches du copain, c’est comme si vous adaptiez le plan électrique de la maison de votre voisin sur la vôtre !
La deuxième caractéristique de la mémoire à court terme, c’est qu’elle dure 20 secondes. Elle est comme une ardoise magique qui s’efface pour s’occuper d’autres informations. Mais pas d’inquiétude, si les fiches ont été bien apprises, structurées et répétées, elles sont en mémoire à long terme et reviendront facilement en mémoire à court terme pour rédiger lors de l’examen.
La mémoire lexicale : la bonne recette, c’est le bon vieil « apprentissage par cœur »
La mémoire à long terme correspond pour l’ordinateur au disque dur qui contient les logiciels et les connaissances spécialisés, textes, calculs, images. La grande différence avec l’ordinateur est que la mémoire contient deux « bibliothèques » spécialisées pour les mots (et les textes), la mémoire lexicale pour la carrosserie des mots et la mémoire sémantique pour leur sens. Pour ces deux mémoires, les méthodes sont bien différentes.
La mémoire lexicale est la bibliothèque de la carrosserie des mots ; c’est l’usine de fabrication de la carrosserie, mais pas du moteur. Cette carrosserie est composée de l’orthographe (provenant des mémoires visuelles), de la phonologie (provenant de la mémoire auditive), de la prononciation (provenant de la mémoire vocale) et de l’écriture (provenant de la mémoire motrice graphique). La principale méthode est la RÉPÉTITION, le fameux apprentissage par cœur, qu’il faut réhabiliter. En général (tout dépend de la difficulté phonétique et orthographique), il faut un nombre de répétitions moitié moindre que le nombre de mots à apprendre : 10 répétitions pour 20 mots. Si les mots sont difficiles phonétiquement, on peut les subdiviser en syllabes pour mieux les apprendre (par exemple Xénophon, mycélium). C’est particulièrement le cas en chimie pour les molécules complexes, tel l’acide desoxyribonucléique à décomposer en acide-desoxy-ribo-nucléique (ribo étant la contraction d’un sucre, le ribose)…
La mémoire sémantique : une nouvelle méthode, l’apprentissage « multi-épisodique ».
Au contraire, la mémoire sémantique enregistre des abstractions, des idées, des concepts. Sa structure est hiérarchique comme dans une arborescence ; par exemple, un aigle est classé dans la catégorie des oiseaux, elle-même classée dans la catégorie des vertébrés, puis des animaux. Pour apprendre sémantiquement, faites donc des fiches bien structurées, des plans, des schémas, des arborescences. Pour comprendre, il est également nécessaire de répéter. Mais la répétition sémantique est plus subtile et se fait par la multiplication des épisodes, méthode que j’ai appelée l’« apprentissage multi-épisodique ». La lecture du cours, celle du manuel, les documentaires télévisés, la recherche sur internet sont autant d’épisodes pour enrichir la mémoire sémantique.
La mémoire imagée : de belles images… virtuelles !
Si l’on se fit à l’idée populaire, on aurait une « mémoire photographique ». Tel élève pense « voir » dans sa tête la page de sa leçon, etc. Cette croyance est fausse. Les mémoires sensorielles existent bien, mais elles sont éphémères. La mémoire sensorielle visuelle (nommée « iconique ») ne dure qu’un quart de seconde, la mémoire auditive 2,5 secondes. L’impression de « voir » la page d’un livre vient d’une autre mémoire, la mémoire imagée. Cette mémoire fabrique des images mentales durables, mais reconstruites, virtuelles,d’où les erreurs dans les témoignages oculaires. Donc fixer sur un mur un schéma ou une carte de géographie pour les photographier est une illusion totale. La meilleure méthode est l’apprentissage multi-essais. Par exemple, vous découpez deux feuilles pour faire huit petites pages que vous numérotez de 1 à 8. Vous apprenez en répétant les mots de la carte pendant une minute, puis vous reproduisez sur la feuille de réponse numéro 1 sans regarder le modèle ; puis vous réapprenez pendant une minute la carte pour un essai numéro 2, et ainsi de suite jusqu’à reproduction parfaite. On parle de surapprentissage lorsque le critère de reproduction est plus difficile, par exemple trois essais consécutifs sans erreur. Le surapprentissage est plus sûr pour réussir, évidemment.
La mémoire procédurale : noircir du papier avec des exercices
Enfin, il existe une autre mémoire, la mémoire procédurale qui met en œuvre des mécanismes encore différents. La mémoire procédurale englobe les apprentissages sensori-moteurs (faire du vélo, conduire, jouer d’un instrument de musique…), mais aussi des apprentissages plus abstraits de règles, de procédures, par exemple utiliser le clavier et la souris d’un ordinateur ou une console de jeux. Ainsi, dans ces exemples, vous savez qu’au début, vous cherchez l’icône, la fenêtre du menu déroulant, le bon titre. Puis, après de multiples répétitions, vous cliquez à droite, à gauche, au milieu par automatisme tout en pensant à autre chose.
Je pense qu’une bonne partie des mathématiques est de type procédural abstrait. Ainsi, pour l’algèbre, on doit tâtonner, comprendre, chercher, puis avec la répétition d’exercices similaires, on résout le problème presque automatiquement. Les nombres passant de l’autre côté du signe égal deviennent par automatisme de sens contraire, les démonstrations géométriques, ou certains calculs d’intégrale, deviennent automatiques, à l’instar de la multiplication en CM2. Si cette mémoire procédurale a un fonctionnement bien à elle, c’est qu’elle dépend d’autres structures du cerveau, notamment le cortex pariétal, qui, chez Einstein, était plus développé !
Au total, pas de magie pour bien réviser : la loi des neurones, c’est répéter, donc apprendre dans la durée, ce qui est incompatible avec le bachotage. Enfin, rappelez-vous que chaque mémoire a sa méthode et ses recettes. À mémoires multiples, multiples méthodes…
Type de Mémoire
Mécanismes
Méthodes
Mémoire biologique
- connexions entre neurones
- stockage des données et oubli
- chimie du cerveau
- apprentissage par répétition
- apprentissage distribué
- révision
- bien se nourrir
- sommeil
- ses ennemis : alcool, tabac, drogues
Mémoire à court terme
- capacité limitée (sept « cases »)
- oubli à court terme (en 20 secondes)
- grouper les données en petits groupes (de 3 ou 4 éléments)
- simplifier pour diminuer la surcharge ; résumer
- répéter
- fiches, notes, schémas simples
Mémoire lexicale
Mémoire de la carrosserie des mots
- orthographe
- phonologie
- mots inconnus ou langue étrangère
- système vocal
- apprentissage par cœur (répétition) des lexiques par chapitre
- écrire jusqu’à orthographe parfaite (10 à 20 fois ou plus est normal)
- décomposer phonétiquement le mot pour bien l’intégrer (Tou Tank Hamon)
- prononcer comme un acteur les mots inconnus ou étrangers
Mémoire sémantique
Mémoire du sens et des idées
- structure hiérarchique, en arborescence des concepts
- abstraction des épisodes
- comprendre pour apprendre sémantiquement (changer les mots par des synonymes, se poser des questions…)
- faire des plans, fiches, arborescences
- apprendre par de multiples entrées (cours, manuel, recherche internet…)
Mémoire imagée
La mémoire photographique n’existe pas ; la mémoire imagée est abstraite
- exploration oculaire
- double codage
- inutile de « photographier » la page d’un manuel : ça ne marche pas
- analyser l’image par partie
- apprendre le schéma, en le refaisant plusieurs fois (10 fois s’il le faut…)
- légender (codage verbal) des parties importantes
Mémoire procédurale
Mémoire des procédures
- apprentissages sensori-moteurs (par exemple, sport, instrument de musique)
- apprentissages procéduraux abstraits (par exemple l’algèbre)
En général, il faut répéter la « procédure », parfois des centaines ou des milliers de fois (vélo, athlétisme, jouer d’un instrument de musique…)
- faire et refaire de multiples exercices : exemple, exercices d’algèbre…