Nul besoin de poster ses idées sur internet pour être moderne. La preuve, Gustave Le Bon dont l’ouvrage, Psychologie des foules, daté de 1895 nous a suggéré ce titre. Et où Freud trouve un appui puissant pour écrire son Psychologie des foules et analyse du moi, qui fait immédiatement apercevoir le prolongement qu’il en donne. Nous laisserons Freud un moment pour nous intéresser à ce qu’écrit Gustave Le Bon et y mentionner un autre prolongement, inattendu, celui-là, dans l’ouvrage de Paul Jorion : Le capitalisme à l’agonie, au titre si idéaliste. Les foules donc. Foules présentes, foules passées de notre histoire individuelles, avec lesquelles nous ne confondrons pas la famille dans laquelle se construit l’individualité subjective. Foules présentes surtout, dans lesquelles d’immerge, et quelque fois se dissout, de manière incessante notre individualité. Cela irait-il jusqu’à notre subjectivité ? En tout il suffit de bien peu pour qu’une collectivité devienne une foule organisée : que les sentiments et les idées de chacune de ses unités soient orientés dans une même direction. Ces unités n’ont pas besoin d’être en grand nombre. Dès lors la foule acquiert des qualités, des propriétés autres que celles de l’individu isolé. Et pour acquérir ces caractères spéciaux, des excitants sont nécessaires qui évaporent, au moins temporairement, les caractéristiques personnelles. Pour aborder le monde du travail par exemple, mieux vaut aujourd’hui s’instruire de Gustave Le Bon, du moins pour aborder la question de la santé au travail, où prévaut aujourd’hui le versant psychique et mental. Organisations syndicales, organisations de travail désuètes sur la voie de l’obsolescence, organisations managées à l’extrême d’aujourd’hui, nouvelles foules internautiques venant s’ajouter au foules télévisuelles, audiophoniques, téléphoniques etc. N’oublions pas les armées, les églises. Bref, aujourd’hui nous participons à plusieurs foules en même temps ou successivement, ou alternativement. Des caractères leur sont communs et d’autres différentiants. Toutes n’impliquent pas, loin de là, la présence simultanée des personnes. Jacques Lacan qui, à l’occasion affleurait ces questions rappelait que : « Contrairement à ce qu’on imagine dans l’identification collective c’est par fil individuel que les sujet sont informés ; cette information n’est commune que parce qu’à la source, elle est identique » ( « Situation de la psychanalyse en 1956 », Ecrits p.478). La technologie d’aujourd’hui elle-même est à même d’in-former -au sens de conformer- des personnes pour les organiser en foule. C’est l’instrument lui-même qui ici conforme, moule. Ces foules ont toutes un point commun, auquel il faut subordonner même le discours les plus sophistiqués qui lui servent aussi bien de réceptacle : la médiocrité, avec cette faculté de l’accumuler au détriment de l’intelligence. Elles se chargent de caractéristiques similaires : la certitude de l’impunité pour chacun de ses éléments, l’impulsivité, une excessive suggestibilité, une crédulité exagérée, une exaltation extrême, une irrésistible impétuosité, une puissance de contagion quant aux sentiments, l’impulsivité et l’irritabilité. Les foules ne connaissent que les vérités absolues, définitives. Etre cultivé en l’occurrence n’y change rien. Elles ne connaissent pas plus l’invraisemblable lequel relève de la réflexion et du raisonnement. Une idée évoquée devient le noyau d’une sorte de cristallisation, et de fixation aussi, envahissant le champ de l’entendement et paralysant toute faculté critique. Nous sommes bien ici dans le registre hypnotique. La personne devient impressionnable au-delà de toute mesure : par les mots, les images…Ceux qui composent une foule sont conduits à des actes lésant leurs intérêts les plus évidents, tout comme leur santé. Elle les conduit à se sacrifier, voir les passages à l’acte suicidaires et le burn-out dans le milieu du travail. Nous avons ici suivi et maintes fois cité à la lettre Gustave Le bon. Mais cela ne disqualifie pas pour autant Karl Marx. Paul Jorion nous rappelle dans son livre que : « les 10% les plus riches reçoivent un quart des revenus d’activités déclarées (p.325). Le dernier chapitre sur la propriété privée met en relief selon nous un autre type de foule, organisée autour des l’attraction des objets, des biens, de quelque sorte qu’ils soient. Gustave Le Bon y fait illusion lorsqu’il aborde la question du prestige qui peut être véhiculé aussi bien par une personne que par un objet ou une chose. Citons encore cette phrase sublime de ce dernier où du fait du prestige : « le socialiste le plus farouche est émotionné par la vue d’un prince ». Paul Jorion, dans le chapitre pré-cité, s’attache donc à nous rappeler « La capacité plus ou moins forte que nous avons les uns et les autres de nous laisser « captiver »- ou capturer- par des objets qui nous entourent » (p296), tout inanimés soient-ils. Il prend appui pour cela sur Levy Bruhl et le sentiment de « participation » qu’un être peut ressentir à proximité d’un objet appartenant à une personne disparue, et dont la présence lui reste perceptible (p293). D’une certaine manière. Il prend ainsi à revers le fétichisme de Marx, en lui donnant une autre extension, celle justement d’une foule organisée autour de cet objet. IL n’est plus question ici de prestige de l’objet, mais d’un transfert de libido qui s’y attache pour des raisons les plus diverses liés à sa consommation et au confort qu’il peut procurer. A propos du prestige dont Le Bon fait une fonction importante, et dont l’équivalent contemporain est le « charisme », qui constitue pour l’idéologie managériale un paramètre essentiel du manager en entreprise. Le point de départ : 1372 : illusion attribuée à des sortilèges. Puis s’y adjoignent les significations suivantes (ref : Trésor de la langue française).
- Illusion produite par magie ou par un sortilège; artifice diabolique, Toute illusion en général
- Enchantement, charme, attrait exercé sur l'esprit et les sens par des manifestations de l'activité intellectuelle ou artistique
- [En parlant d'une pers.] Fait d'imposer le respect, d'inspirer l'admiration, de séduire, de faire forte impression
- [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Attrait, charme pouvant impressionner, séduire.
Alors à la suite de tout ce développement, on serait tenté d’affiner la sorte de maxime que nous avions posée dans un précédent billet : A force d’agir malgré ce que l’on pense et selon la foule du moment, on finit par penser comme on agit »
Mais est-elle tout le temps vrai ? Un témoignage y contrevient, celui diffusé par une webradio du mouvement psychanalytique, Radio-a, et donc publique. Il s’agit d’un homme qui est recruté pendant Algérie à son corps défendant, malgré ses opinions, catholiques, syndicales, et politiques. Les autorités militaires se font fort de mater cette forte tête, par la flatterie en quelque sorte, en le nommant caporal et en lui confiant la responsabilité d’une petite troupe. Ce qu’il accepte à contrecoeur. Voilà qu’un jour, au mess, courre la nouvelle qu’un important chef de la guérilla fellagha vient d’être arrêté, qui doit être exécuté. Toute réflexion s’étant alors évaporée, notre homme se propose pour cette besogne, qu’il mène à bien. Il ne se départ pas pour autant de ses idées, ni une fois la guerre finie. Voilà qu’un jour, quelques trente années plus tard, alors qu’il est père et de nombreuses fois grand-père, au cinéma voyant le film de Bernard tavernier « La guerre sans nom », tout d’un coup lui revient en mémoire cet acte, et avec lui, une immense culpabilité et une grande honte, au point qu’il doit absolument en parler à un ami ne pouvant garder pour lui seul ce souvenir. Puis, pour surmonter et peut être traverser cette épreuve, il écrit une pièce de théâtre dont il est le seul comédien et qu’il joue dans la France entière. Une tournée sans fin, à ce qu’il semble.