Pour certains, les périodes de congé prolongées sont synonymes d’angoisse et de stress. Deux spécialistes dissèquent le phénomène.
Insomnies et pensées négatives: l’approche des vacances d’été provoque toujours une folle angoisse chez Lucas, étudiant de 22 ans. «Dès le mois de mai, je commence à faire le compte à rebours. Je dresse des listes multiples des activités à faire et des amis à voir, histoire de me sécuriser en sachant qu’ainsi mes journées seront occupées.» Comme lui, nombreux sont ceux qui, loin de l’idéal du farniente et de la zénitude, considèrent chaque période de congé prolongée comme un gouffre terrifiant.
Un sentiment archaïque
Une réaction bizarre? Non, selon les spécialistes, puisque ce sentiment nous vient tout droit de nos ancêtres néanderthaliens, pour lesquels tout éloignement de la grotte et tout changement de leur quotidien ouvrait sur un monde de dangers. «Ces peurs sont liées à un sentiment d’insécurité, qui surgit lorsqu’on envisage de quitter le connu, souligne la psychothérapeute Rosette Poletti, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le lâcher prise. Elles se manifestent de différentes manières: il peut y avoir la peur de la liberté, de la vie non structurée, mais aussi des peurs qui se rapportent à soi, sa survie, sa santé physique. Il y a aussi celles liées aux contacts avec les autres, à la cohabitation. En fait, les craintes sont en relation avec les difficultés personnelles de chacun.» Ainsi, par exemple, les perfectionnistes bénéficieront rarement de bonnes vacances, puisque la réalité ressemblera rarement à la planification qu’ils en auront faite.
Trouver l’élément déclencheur
«La peur du voyage entre dans la catégorie des troubles anxieux, explique pour sa part Leylâ Gyger, psychologue spécialisée en thérapie cognitivo-comportementale. Il s’agit d’une phobie, c’est-à-dire d’une crainte angoissante et souvent irrationnelle, déclenchée par une situation ne présentant pas de caractère objectivement dangereux.»
Afin de déterminer quel est ce déclencheur, les spécialistes soumettent les personnes désireuses d’améliorer la situation à un questionnement détaillé. «Une fois le problème identifié, le sentiment de peur peut déjà diminuer. Un peu comme les craintes d’enfant: l’ombre non identifiée est nettement plus terrifiante qu’un rideau qui bouge, explique la spécialiste. On remarque néanmoins que le problème n’est souvent pas les vacances en tant que telles, mais la représentation que la personne se fait de la situation, de ses capacités et de son aptitude à pouvoir y faire face.»
C’est qu’au-delà des facteurs tangibles comme les moustiques ou la saleté, l’anxiété de certains est désormais déclenchée par la recherche de la perfection. «Les vacances réussies sont devenues une nouvelle obligation, souligne Rosette Poletti: il faut partir, faire des choses, voir du pays, prendre des photos et vidéos, faire savoir aux autres où l’on se trouve et, si possible, avoir sur place le même confort qu’à la maison.»
Ecouter ses peurs
Résultat? «Les troubles anxieux sont en très nette augmentation, déplore Leylâ Gyger: on voit et entend tous les jours des choses qui pourraient être terrifiantes si elles nous arrivaient, on nous demande d’être performant, tout en faisant face à nos propre limites. On doit être bon en tout, même dans la réussite ses vacances…»
Alors en chœur, les deux spécialistes conseillent de lâcher prise et de profiter du moment présent en pleine conscience. «Si on ne peut fuir ses peurs, autant les écouter. Alors de façon progressive, les sensations deviennent plus supportables et finissent parfois par disparaître»,
remarque Leylâ Gyger.
Autre «remède» de Rosette Poletti: «Décider des choses essentielles (hébergement, moyens de transport, etc.), puis goûter à la vie et se répéter cette phrase du philosophe Ken Keyes: «J’ai tout ce qu’il me faut pour être bien ici et maintenant, sauf si je laisse ma conscience être dominée par un passé mort ou un futur imaginaire.» Après tout, les vacances sont bien un moment «vacant», durant lequel il est bon de faire le vide, dans ses obligations aussi bien que dans sa tête…
Texte © Migros Magazine – Véronique Kipfer