Avez-vous remarqué que beaucoup de mes chers compatriotes, pour se valoriser, tirent l’origine de leur ascendance dans des contrées lointaines qui vont de l’Égypte, l’Éthiopie, du Mali en passant par la Guinée… ? Syndrome d’un passé mal maîtrisé.
Je suis également persuadé que le fait colonial a été un facteur déterminant dans notre impréparation au patriotisme. Notre Senghor national ne chantait-il pas les louanges de la négritude, habillé d’une élégante redingote de l’aristocratie française. Souvenirs ! Souvenirs !
Ce rapport du Sénégalais avec son ADN n’est-il pas la source d’un trouble identitaire dont la manifestation la plus édifiante est notre déficit patriotique. Je sais que je vais me faire taper dessus en risquant une hypothèse légèrement provocatrice mais non frappée d’inconsistance.
Oui, la majorité des Sénégalais est extravertie et micro-communautariste, ils préfèrent leurs identités primaires, tarikha, ethnie, village… à leur nation qui, à la limite, est une construction virtuelle. Ils détruisent les biens publics, jettent leurs propres ordures dans la rue, ils ne respectent aucune règle d’urbanité.
Ils mangent et s’habillent avec ce qu’ils ne produisent pas, et ont les yeux rivés sur l’extérieur. Ils sont autodestructeurs comme s’ils avaient une revanche à prendre. La fibre patriotique du Sénégalais ne vibre que pour très peu de chose, sauf pour le foot et le boubou du vendredi. Quoique le basin vient d’Autriche, la teinture du Mali et le fil de Chine.
Une archéologie de nos identités permet à coup sûr, d’extraire et de désarticuler les liens que nous entretenons avec le groupe, la nation, l’économie… par conséquent, les facteurs explicatifs pertinents des nos comportements.
Parlons d’identités.
La structure d’une identité, qu’elle soit culturelle, psychologique ou religieuse… est davantage fonction d’un réseau de relations dans lequel s’inscrit l’individu ou le groupe, que d’un modèle extérieur. Certains caractères de l’identité culturelle deviennent soit récessifs ou dominants selon les besoins de la cause.
Cette instabilité peut constituer un dynamisme personnel et social selon les circonstances. Or, nous autres Sénégalais nous regardons tellement vers l’extérieur au point que nous ne voyons plus nos pieds.
Pour nos croyances, nos investissements, bref pour notre bonheur nous attendons l’extérieur. Ce comportement nous réduit à quelques traits généraux, rigides et caricaturaux de dépendants et d’assistés. Ce processus s’intègre évidemment dans une dynamique articulée d’une part sur notre structure psychologique et d’autre part sur la structure sociale.
Ainsi, le problème de l’identité en général ne surgit que là où apparaît la différence, elle émerge dans une situation au moins duale, donc elle pose notre rapport à l’autre. Pour comprendre et inscrire le Sénégalais dans la classe des gagneurs nous devons nous préoccuper autant de nos ressemblances et de nos différences et voir dans quelles conditions et avec quelle probabilité apparaissent les différences.
Nos différences stigmatisées et répertoriées risquent de créer une psychologie de la scission : nous d’un côté, le reste du monde de l’autre. Dans ce cas nos différences apparaissent comme une forme d’explication, de justification et servent à légitimer certains comportements ou carences qui nuisent au développement de notre pays.
Je disais donc, que cette hypertrophie de la différence par la substantialisation de certaines valeurs par une catégorie, s’inscrit souvent dans une logique d’acteurs, c’est par exemple le fait religieux qui nous divise au lieu de nous unir.
Donc la différence sert, non pas à attribuer une identité mais à identifier, il ne faut pas confondre différence et diversité. Selon Dufrenne la différence c’est ce qui caractérise l’humain et conduit par la même à l’universalité.
Autre malentendu, c’est la différence entre universalité et universalisme. Ce dernier représente l’effacement des différences qui revient à nier à l’individu le pouvoir d’être le créateur de sa culture et de son comportement.
Le relativisme culturel, en considérant l’homme exclusivement comme le produit de sa culture, suppose que chaque élément du comportement soit considéré en rapport avec la culture dont il fait partie. Il considère la culture comme un système fermé et cohérent.
Cette cohérence est la première faille du relativisme. Posée a priori, elle incline à trouver dans tout comportement une justification causale pertinente. Il omet ainsi les phénomènes pathologiques en voulant tout justifier et considérer comme normal. Ainsi la dynamique de destruction massive de notre espace public, le désordre endémique doivent-ils être considérés comme normaux au nom de l’analyse culturelle ?
Parler de patriotisme économique c’est aussi parler d’intelligence économique donc d’intelligence collective, or il n’y a pas d’intelligence économique sans solidarité d’intérêts.
L’offensive Marocaine a fait l’objet des choux gras de la presse Sénégalaise lors de la visite du Roi Mohamed VI qui accompagne et appuie son secteur privé. De part cette croissance externe de ses entreprises il catalyse leur énergie et garantit la prospérité et la cohésion sociale de son royaume. Et nous ! Et nous ! Et nous.
Je me retiens au risque de passer sous les fourches caudines des néo-théoriciens d’une pensée unique qui fait de plus en plus flores dans notre cher royaume.
Permettez, donc Sir une posture reptilienne pour vous manifester notre fidélité avec une obséquiosité inégalée. Il urge de redéfinir notre stratégie de développement. Sorry ! Selon Dr Xuly, l’éminent spécialiste des maladies aux contours mal définis, nous ne devons plus parler de développement mais d’émergence, la voie royale sur l’autoroute de notre bonheur national. Le premier pilier de l’émergence devrait être le reformatage comportemental du Sénégalais, à défaut je crains qu’elle reste une incantation.
Justement parlant de comportement me vient à l’idée cette célèbre phrase de Jean Bodin : «Il n’y a ni richesse ni force que d’homme». Or, je voudrais dire à M. Bodin que malgré la véracité indiscutable de sa réflexion nous autres Sénégalais nous n’y souscrivons pas du tout, juste pour le plaisir de magnifier notre spécificité, mais tout en sachant que notre position ne résiste à la plus superficielle des analyses.
Nous avons pris l’option délibérée de croire à l’alléchante théorie de la main invisible, qui ajusterait naturellement nos comportements vers un optimum, le point G de notre émergence.
N’est-il pas vrai que l’ultime phase du développement est la jouissance sous toutes ses coutures ? Bref, sans le vouloir aucunement- parce que je dois être patriote, de surcroît, après toute ma théorie alambiquée sur le patriotisme-, être septique me serait impardonnable.
Malheureusement je suis rattrapé par le bon sens, dont certains disent qu’elle est la chose la mieux partagée au monde. Ce fameux bon sens convoque en moi le souvenir lointain de l’inoubliable pièce du dramaturge irlandais Samuel Beckett en attendant Godot, cet homme qui ne viendra jamais, qui a promis qu’il viendrait au rendez-vous sans qu’on sache précisément ce qu’il est censé apporter, mais il représente un espoir de changement.
Pour finir mes chers compatriotes, le développement c’est de la volonté, donc de la psychologie, et quand on veut, on peut. Il n’existe pas de grandes nations, mais de grands peuples.
Baye Ibrahima Diagne
Président commission Bonne Gouvernance du CNP
drxuly1@yahoo.fr