L’APEG fête ses 15 ans et conserve le même objectif – L’Orient

Fondée par un groupe de cliniciens, l’Association pour la protection de l’enfant de la guerre, présidée par Myrna Gannagé – qui s’est vue décerner le prix des droits de l’homme de la République française en 2008 et le prix 2011 de la Fondation CMA CGM attribué chaque année à une association pour son action humanitaire – dresse son bilan pour marquer ses quinze années d’engagement auprès des patients traumatisés par les guerres, les sévices sexuels et la maltraitance... Cela en présence du père du concept de « la résilience » Boris Cyrulnic, venu pour l’occasion.
Au cours d’un colloque tenu à l’hôtel Monroe en présence de l’ambassadeur de France, Denis Pietton, du directeur général du ministère de la Santé, Walid Ammar, du psychiatre, neurologue et éthologue, de renommée mondiale, Boris Cyrulnik, du professeur de psychologie et de psychopathologie à l’USJ, Mounir Chamoun, de la représentante de la Fondation CMA CGM, Sara Salem, et d’un certain nombre de cliniciens et de responsables d’institutions sociales, les responsables de l’Association pour la protection de l’enfant de la guerre (APEG) ont exposé le bilan de quinze années d’efforts pour atténuer la souffrance psychique des patients et évoqué les multiples problèmes rencontrés dans la pratique. « À l’APEG, nous tentons chaque jour de forcer le destin, c’est-à-dire d’empêcher la stigmatisation des patients et de leur famille ; de batailler pour que leurs droits ne soient pas spoliés dans les institutions, à savoir les écoles, les orphelinats, les prisons, les hôpitaux psychiatriques ; de nous révolter avec les adolescentes victimes de maltraitance, présentant des troubles du comportement, emprisonnées faute d’institutions pouvant les accueillir ; de nous battre chaque jour auprès des organismes publics pour que ces adolescents puissent retrouver leur liberté. Forcer le destin, c’est œuvrer aussi à la mise en place d’une législation qui protégerait les professionnels toujours menacés quand ils travaillent dans le secteur de la maltraitance », a souligné Myrna Gannagé, présidente de l’APEG.


Fondée en 1996 par une équipe pluridisciplinaire composée de trois psychiatres et six psychologues au lendemain de l’opération israélienne « Raisins de la colère », l’APEG a implanté des centres médico-psychologiques à Beyrouth, Tyr, Nabatieh, Marjeyoun, Tripoli et Zahlé, puis à Baalbeck, au lendemain de la guerre de juillet 2006. Elle compte à son actif plus de 42 500 consultations gratuites. Si à l’origine, elle a été créée pour venir en aide aux enfants victimes directes des bombardements, « elle accueille aujourd’hui des personnes de toutes les tranches d’âge, présentant toutes sortes de pathologies », a encore souligné Myrna Gannagé.

Désordres psychiatriques résultant des drames
Le psychiatre Élio Sassine, vice-président de l’association, a présenté le bilan clinique et épidémiologique. En gros, 28,8 % des enfants et adolescents traités présentent des problèmes scolaires ; 18,5 % des troubles anxieux ; 17,6 % des troubles de l’humeur ; 6,6 % des troubles du langage ; 4,9 % du retard mental ; 4,5 % de l’énurésie ou encoprésie ; 4,3 % des troubles psychotiques (schizophrénie, paranoïa et psychose infantile) ;
le reste montre des troubles du comportement, un déficit de l’attention et de l’hyperactivité.
Il relève uniquement 0,4 % de cas de toxicomanie. « Les troubles psychiques liés à la guerre sont les troubles de l’humeur (épisode dépressif) et des traumas aigus dus à l’angoisse de séparation et à un état de stress post-traumatique (PTSD) », a indiqué le Dr Sassine, expliquant que « le PTSD est un état morbide survenu au décours d’un événement exceptionnellement violent, capable de provoquer de la détresse et durant lequel l’intégrité physique et/ou psychologique du patient et/ou de son entourage a été menacé ou atteint (...) Le sujet éprouve alors une peur intense, un sentiment d’impuissance et d’horreur (...) Il revit de façon obsédante l’événement traumatisant (pensées, flash-back, rêves, cauchemars), se replie sur lui-même et souffre d’agitation, d’angoisse, de troubles du sommeil, de difficultés de concentration, de réaction de sursaut exagéré ». Et c’est à Tyr, en raison des bombardements de Cana, que le pourcentage de PTSD est le plus élevé : 8,58 % sur les 20,3 % de cas de troubles anxieux. À Nabatieh, il est de 2,9 % sur les 19,5 % ; et 0,65 % (sur les 13,7 %) à Beyrouth. En résumé, « pour un cas de PTSD à Beyrouth, il y a quatre à Nabatieh et 13 à Tyr ».
Après avoir donné un aperçu de la neurobiologie du PTSD, de la dépression et de la génétique de la résilience, le psychiatre Sassine a signalé que 50,8 % des traitements proposés aux patients sont « non pharmacologiques ». Ainsi, les stratégies d’intervention s’articulent de préférence autour d’un suivi psychologique, d’une psychothérapie, d’une orthophonie, de conseils éducatifs, de la formation de groupes d’expression, des consultations parents/enfants et d’un suivi social.
Quant aux traitements pharmacologiques, ils comprennent plusieurs catégories : les antidépresseurs ISRS dans 16 % de cas ;
les antidépresseurs Tricycliques (15,5 %), les neuroleptiques (9 %), sans compter les autres anxiolytiques et les thymorégulateurs. L’urgence de secourir est si grande que l’association reste aussi déterminée qu’obstinée à assurer le fonctionnement de tous ses centres, et ce malgré « les carences de l’État et le souci permanent de financement ».

De la barbarie de la guerre aux faits divers de la maltraitance
La vignette clinique, présentée par Myrna Gannagé, illustre bien le fonctionnement psychique des patients traumatisés. Lors des bombardements israéliens de Cana, en juillet 2006, Ali, âgé de 4 ans, voit sa sœur Zeinab mourir, son père gravement blesser et les cadavres joncher le terrain. Quinze jours après la tragédie, la psychologue rencontre l’enfant et ses parents. Durant l’entretien, Ali s’exprime facilement. Il affirme bien dormir et ne jamais être triste. Il dessine une maison, des tanks israéliens, des « hommes de la Résistance libanaise » qui tuent l’ennemi. Selon lui, sa sœur est au paradis et il ne souhaite qu’une seule chose « mourir pour la rejoindre le plus rapidement possible », raconte Gannagé, ajoutant que le petit ne présentait aucun symptôme sur le plan clinique. Trois mois après, son enseignante à l’école assure qu’il s’agit d’« un excellent élève » et qu’« elle n’avait pas constaté que la guerre avait des effets négatifs sur le fonctionnement psychique des enfants. Il y a deux ans, Ali et sa mère sont revenus voir la psychologue au centre médico-psychologique à Tyr ». Il se plaignait de douleurs abdominales sans aucune cause organique. Durant la consultation, il était très agité ; il cassait les objets ou déchirait les dessins des enfants accrochés au mur. Il évoquait ses peurs : peur d’être seul, peur qu’on tue ses parents comme on a tué sa sœur. La mère, quant à elle, présentait une angoisse de séparation importante associée à des symptômes dépressifs. « La décharge dans l’action constitue une particularité du fonctionnement de Ali. Elle masque un éprouvé trop violent, source de maux dangereux, et permet d’évacuer hors du psychisme une réalité impensable. Le déni chez cet enfant ne pouvait se maintenir qu’accompagné d’une fuite motrice pour lutter contre la douleur mentale insupportable », relève Gannagé, avant d’ajouter qu’une thérapie mère-enfant leur a permis de verbaliser leurs angoisses et d’entreprendre le deuil de Zeinab.
De la barbarie de la guerre aux faits divers de la violence familiale et des institutions scolaires, l’enfant est confronté à tout genre de cruauté. Et souvent, le thérapeute ne peut se contenter de l’intervention classique. Aussi pour aider ces sujets traumatisés à « se reconstruire », faut-il solliciter les différents acteurs qui les entourent et leur faire prendre conscience de l’importance d’un itinéraire de résilience.
« Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmets, professeurs à l’Université de Mons, fixent les critères qui permettent de distinguer les institutions de résilience : l’autorisation de la créativité, le respect de la temporalité du sujet et le questionnement des procédures que l’institution produit. Il est important que les procédures ne fassent jamais l’objet d’une application routinière comme c’est le cas dans les structures sociales d’aide traditionnelles », indique la spécialiste, faisant observer que le « travail de copensée » s’est révélé fructueux dans le partenariat de l’APEG avec certaines institutions, comme la prison des filles mineures de Dahr el-Bachek où sa collègue Jacqueline Saad a suivi 70 filles, effectuant ainsi « 1 152 consultations dans le centre de détention ».
Les réunions régulières avec le personnel pénitencier ont permis de saisir l’importance pour ces filles d’établir un lien positif avec leur environnement proche et d’être accompagnées dans un développement résilient si celui-ci est possible. « Toutefois, là où le bât blesse, c’est lorsque le lien social n’est plus possible, lorsque, comme le dit André Green, le rôle structurant et organisateur de l’autre se perd. C’est le cas de beaucoup de nos patients (...) Il règne chez ces sujets une impression profonde d’inaccomplissement au sein de la communauté humaine et la conviction de ne plus pouvoir s’y intégrer. La haine à l’égard de la culture envahit le champ psychique », souligne Gannagé, mettant en exergue le problème de la « déliaison sociale ».

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