La fatigue-Systme et notre psychologie
25 juillet 2015 Nous prsentons dans ce texte une tentative didentification, de description et de comprhension de ce que nous avons
lhabitude de dsigner en gnral comme la fatigue de la psychologie. Nous avons fait de ce concept lun des phnomnes essentiels
permettant le dveloppement constant du Systme dans le fait de la collaboration active de diverses catgories de sapiens (disons
les sapiens-Systme, quon regroupe en gnral sous les expressions dlites-Systme et de directions politiques-Systme).
Il importe dabord, en prliminaire de cette analyse, que nous rendions grce un lecteur qui, par un trs court message, nous a permis de
conceptualiser une apprciation gnrale qui habite et structure un aspect important de notre rangement intellectuel. Il sagit de
lanalogie Matire-fatigue suggre par le lecteur Eric B., le 14 juillet 2015 (A
propos de la matire), en commentaire du texte sur le massacre de juillet et le temps de la peur du 13 juillet 2015 :
Pour un physicien, elle peut tre baryonique, noire, exotique, etc... Pour un comptable, c'est du pognon, de l'oseille, du flouze, de
la frache... Pour un sapiens, cela devrait tre, d'abord et avant tout, quelque-chose de vivant... Comme la fatigue?...
Nous avons dj signal cette intervention dEric B. dans notre texte du 21 juillet 2015. La
conclusion de ce texte portait effectivement sur la fatigue de la psychologie, qui peut et doit aussi bien tre perue comme une
fatigue-Systme agissant sur la psychologie dans le sens quon devine. (Pour nous, par contre, que la matire, c'est--dire fatigue,
que la matire soit vivante ou pas n'importe pas.) Cette conclusion peut servir dintroduction au texte que nous prsentons ici. On
retiendra ce passage, que lon rappelle ici.
Il sagit de lhypothse de la fatigue psychologique, que nous voquons souvent. Nous voulons dire par l que cest la fatigue
psychologique quengendre le climat gnral de la Grande Crise avec les diverses politiques insenses qui sont dveloppes dans le cadre de
la politique-Systme, avec le dsordre gnral des situations, la confusion vidente des rfrences qui sensuit, la banalisation des
extrmes et des choses exceptionnelles (le plus souvent dans le plus mauvais sens), cette fatigue psychologique qui toucherait de plus en
plus les esprits, les affectant de diverses faons, les privant de l'exercice complet de la logique, les poussant des conclusions et des
jugements qui dbordent du cadre habituel de leurs rfrences. Il sagit pour nous-mmes, justement, dune rfrence fondamentale pour
expliquer le droulement de la Grande Crise, et le comportement des sapiens, particulirement des lites-Systme et des directions
politiques.
Cette fatigue psychologique, qui pourrait tre galement vue comme une sorte de fatigue-Systme (elle sexprime aprs tout
galement par lextension foudroyante des dpressions, des troubles bipolaires, des nvroses, des burn-out, etc., partout dans notre
environnement social et professionnel), pourrait fournir lexplication de la dmarche intellectuelle, totalement subvertie, dun homme
dhabitude dopinion plus mesure, sinon hostile au type de propos quil tient, arrivant la conclusion, partir dun incident comme celui
de Chattanooga, quil est ncessaire de crer une sorte densemble dont le principe rejoint celui du systme concentrationnaire en gnral
dont on connat les conditions et les normes dapplication... Bien entendu, on comprendra aisment que cette fatigue-Systme affectant la
psychologie npargne gure non plus les esprits qui se jugent eux-mmes antiSystme selon leur propre rfrence, qui poursuivent
inlassablement le complot qui nous donnera lexplication finale ou lhgmonie qui nous procurera la solution finale.
Effectivement, lanalogie propose de faire de la fatigue la Matire dont linfluence est fondamentalement dstructurante, dissolvante,
etc., jusqu lentropisation, et en cela vhicule vident de linfluence du Mal, nous permet dapporter une simplification de nos
conceptions sous la forme de cette analogie, qui est une forme dialectique effectivement simplifie, qui trouve immdiatement sa place dans
notre dmarche fondamentale. La dmarche nous permet de dvelopper plus notre aise, dune faon plus expressive, notre conception
gnrale. Bien entendu et comme on la vu dans lextrait cit, cette fatigue na dintrt pour nous, et lanalogie de ralit pour nous,
que si elle est psychologique au point que, pour nous, elle ne peut tre que psychologique.
Lon sait avec quelle constance nous ne cessons dexposer ce thme de la fatigue psychologique comme une des causes fondamentales, sinon
la cause fondamentale de lvolution et du comportement du sapiens-Systme, particulirement les lites-Systme et
les dirigeants-Systme, et par consquent cause fonctionnelle fondamentale de la politique catastrophique qui est
dveloppe, de la terreur-Systme produite par le systme de la communication sous leur impulsion, etc., bref de tout ce qui caractrise
laction humaine soumise au Systme dans la crise prsente. Cette fatigue-Systme touchant la psychologie affecte chez le sujet la
perception gnrale et dautres fonctions plus rares mais bien plus importantes, comme lintuition haute lorsquon admet quelle peut tre
de forme transcendante. Les dgts sur lquilibre de fonctionnement de lintelligence, sur les capacits de raisonnement, de dveloppement
de la logique valuant les effets de lapplication dune thorie, dune ide, etc., sur la ralit, ces dgts sont considrables. Il ne
sagit pas de sujets stupides ou de sujets sous influence, etc., mais de sujets qui dveloppent, avec leurs moyens intellectuels et
cognitifs, des ides apprhends faussement pour diverses raisons dues la fatigue psychologiques, et favorisent par consquent leurs
effets catastrophiques, tout cela en croyant faire au mieux de leurs capacits et sans raliser une seconde leur part considrable de
responsabilit dans ces dveloppements. A cet gard, on doit avancer que leur bonne foi et leur honntet sont compltes, cause de la
fatigue psychologique ; cela ne signifie pas que certains dentre eux ne se doutent pas de quelque chose, cest--dire de cette faon
dont ils agissent en se trompant eux-mmes, parce que la fatigue psychologique nest pas un facteur absolu et que leur asservissement au
Systme, de lordre de linconscient, nest pas non plus un facteur absolu ; on doit ajouter que cette sorte de doute, dont on
distingue parfois la manifestation, tend augmenter, mesure que les conditions catastrophiques de la crise augment.
On notera que nous prenons soin dutiliser dune part le mot matire sans majuscule lorsquil sagit de lhypothse gnrale que le Mal se
situe dans ce monde de la matire, sans aucune prcision, ni mme tentative didentification, y compris en rfrence telle ou telle
doctrine de la chose, de ce que lon doit entendre, dans ce cas, par ce mot. Par contre, lorsque nous utilisons Matire avec une
majuscule, nous nous dtachons compltement des dbats habituels autour du concept, avec des branches diverses, matrialisme, etc., pour
fixer lide que ce que nous nommons Matire contient bien, notamment, ce fait dune attaque de la psychologie, et cela selon notre
hypothse quil sagit dans le chef de cette Matire de la production de certaines forces voluant dans le monde matrialiste, et cela
encore sans la moindre mise en cause ncessaire de ce monde en tant que tel, hors de lhypothse de la rduction de ce monde son tat
initial, ces forces sans la possibilit quelles soient seulement dfinie par les rfrences venues de ce monde matrialiste o elles
voluent. La Matire est alors effectivement une figuration, certainement symbolique mais aussi selon une concrtude quil importe de
dterminer, notamment de ce phnomne de fatigue de la psychologie auquel nous nous rfrons constamment. Cette diffrenciation de la
notion extrmement vague de matire doit apparatre vidente pour nous par lclairage dun exemple a contrario, un cas o la
matire, par un processus donn, se transmue en quelque chose qui dpasse dcisivement et infiniment ce quon a lhabitude de voir en
elle : une cathdrale gothique, telle ou telle sculpture de Rodin, exemples directs de prsence et dutilisation de la matire [la
pierre] au sens classique, sont des crations qui atteignent sans aucun doute au sacr, qui acquirent une essence transcendantale, qui
dpassent videmment le monde matrialiste, tout cela, sans pour autant le renier et labandonner puisque les cathdrales et les
sculptures de Rodin existent bel et bien comme matire.
Lidentification de la fatigue psychologique comme tant, non pas le produit de lintervention de la matire sans autre prcision, mais
comme tant le concept lui-mme, ou une partie du concept lui-mme de ce que nous nommons Matire (avec majuscule), dont le rle principal
est celui de loprationnalisation du Mal, complte dune faon heureuse ce qui est implicite et dune trs grande force dans notre
rangement mtahistorique. La Troisime Partie du Deuxime Tome de La Grce de lHistoire sur le XVIIIme sicle (Les Lumires
laune du persiflage), dont nous donnons un long extrait la fin de cet article, exploite ce thme fondamental de la fatigue psychologique
rencontre par les lites, notamment franaises, tout au long du XVIIIme sicle, cest--dire lintrusion permanente de la Matire dans
la psychologie, dtournant cette psychologie de sa tche fondamentale dclairage et dinformation de lesprit ; le rsultat tant une
extrme vulnrabilit de lintelligence, la conduisant par les jugements faussaires et les dcisions mesure quelle dtermine ce que
nous dsignons comme ltape fondamentale du dchanement de la
Matire. Ainsi fut installe dans son oprationnalit politique la phase dinversion de la civilisation au tournant des XVIIIme et
XIXme sicles, sous la forme de la contre-civilisation, conduisant jusqu lexplosion actuelle de la Grande Crise que nous connaissons.
Tout ce qui a suivi de la part de ceux qui devinrent des sapiens-Systme (le dchanement de la Matire ayant accouch du Systme) fut la production ou
laccompagnement et le renforcement des vnements oprationnalisant en leur donnant leur apparence de lgitimit au sein de la socit
politique dirigeante, ces vnements comme effets constants et les consquences se dveloppant lune lautre depuis lvnement du
dchanement de la Matire.
Bien entendu, nous faisons lhypothse que nous avons dj implicitement dveloppe plus haut, que nous connaissons actuellement une
rplique finale dune puissance et dune rapidit inoues, marquant la contraction du temps et lacclration de lHistoire galement
dcisives, du processus que nous avons dcrit pour le XVIIIme sicle. Cela signifie une pression constante sous la forme dune attaque sans
le moindre rpit, galement dune puissance inoue, des psychologies de nos lites-Systme et directions-Systme. Le phnomne produit une
fatigue vertigineuse de ces psychologies, paralysant cette fois compltement la pense et la rduisant une inversion delle-mme et
subvertissant absolument le jugement, cela galement dans une mesure jamais atteinte dans le pass, ni mme imaginable. Cette fatigue est
dune telle ampleur et dune telle spcificit quon peut avec les meilleures raisons du monde la baptiser fatigue-Systme selon
lexpression que nous avons dj utilise ; et dune telle ampleur et dune telle spcificit quelle produit dune faon absolument
systmatique un amollissement permanent et une dstructuration constante de la pense, traduites leur tour, selon la forme des caractres
que touche cette fatigue-Systme, soit par des situations de complte dissolution du comportement et du jugement, soit par des situations
dhystrie incontrlable. (De mme, comme signal plus haut, les manifestations de doute des sapiens-Systme sur son propre
comportement se font plus nombreuses ; A tous gard, il semble que nous approchions dchances fondamentales.)
Les armes utilises pour susciter cette fatigue-Systme se concentrent videmment dans le systme de la communication, qui connat un
dveloppement extraordinaire et une puissance sans prcdent. On peut dire que les penses et les jugements, et les caractres eux-mmes,
sont compltement prisonniers de la puissance exerce par le systme de la communication, produisant le phnomne dj signal de penses et
de jugement compltement faussaires mais perus par les sujets comme vrais et justes et ns de leur propre intelligence perue elle-mme
comme autonome, selon un caractre lui-mme compltement prisonnier sans le raliser une seule seconde de cette mme puissance de la
communication. (L-dessus, il importe de prciser aussitt ce qui constitue notre antienne ce propos, savoir que lon
nignore bien entendu pas une seconde ce fait capital que ce systme de la communication connat une situation de Janus qui permet
dentretenir lespoir puissant dinfluencer le dveloppement catastrophique du Systme de sa phase ultime de surpuissance dans sa phase
dautodestruction. Cette posture de Janus est effectivement objective, cest--dire assurant la mme puissance qui se manifeste sous des
formes diffrentes selon les orientations, autant pour la fonction-antiSystme que pour la fonction-Systme. Ce point de la
communication-Janus constitue le nud gordien de la crise parce quil permet effectivement la rsistance antiSystme de retourner, dans
certaines circonstances, toute sa puissance contre le Systme.)
Voici donc lextrait de La Grce, Tome II, Troisime Partie, que nous avons annonc. La version originelle de cette partie a dj
t publie le 28
novembre 2011 dans la rubrique La Grce de lHistoire, mais elle a t modifie dans une mesure telle quin peut quasiment
parler dun texte nouveau, y compris avec des modifications de fond fondamentales.
Extrait de La Grce, Tome II, Troisime
Partie
Nous navons parl que de contraintes, auxquelles sajoutent les effets des premires techniques et technologies de la communication qui
se dveloppent, qui, elles aussi, sengouffrent dans la perspective moderniste Imaginez, dans ces conditions, dans toutes ces conditions
minutieusement peses et ajoutes les unes aux autres, la fatigue de la psychologie, des psychologies individuelles et, dune faon
gnrale, de la psychologie collective quon a identifie plus haut ; mesurez ltat de fatigue o les psychologies se retrouvent toutes,
dans un tel parcours de pressions et de contraintes, pour assurer et valider comme tant la nouvelle Vrit du monde ce retournement complet
de la perception qui va alimenter les esprits et, bientt, inspirer les plus hautes intelligences. Il sagit dun processus qui, force
dtre vident, devient presque naturel, et tout aussi naturellement dissimul par le prcieux secours de labsence de conscience de la
chose. (Il est singulirement difficile, lorsquon se trouve plac, par la situation sociale, dans le cours de changements et de progrs
dont on ne peut faire autrement quen user, et souvent son propre avantage, de russir en distinguer la perversion pour en dnoncer
lesprit. Il nest pas ais, lorsque votre psychologie subit effectivement les effets dune telle fatigue, dobserver cette vidence que la
vrit ne peut tre nouvelle ni celle du monde nouveau, quelle est et que cela suffit, quon pourrait tout au plus la nommer vrit
du monde, quelle tait dj avant quon affirmt que son contraire tait devenu la nouvelle Vrit du monde, quil y a par consquent
dans cette affirmation tous les indices de la subversion comme acte du Mal, puis de linversion qui sensuit.)
Ce soulign du mot en gras (fatigue), cet artifice de la typographie pour rendre toute la force de la contrainte,
entranant la pense, qui sest dploye cette occasion, car voil que lon tient le nud de laventure !
* * *
... Fatigue, en effet, le mot est dit. Dans ce parcours du retournement incroyable des perceptions de cette poque terrible, o
sentrechoquent Renaissance, Rforme, pourriture papale porte son sommet par le Borgia pape ! de Nietzsche, licence et
libration des murs, haute culture et sublimation du grand art, anarchie intellectuelle et pessimisme, magie et humanisme, guerre des
religions et classements la fois logiques et faussaires des acteurs, confusion des valeurs et contrainte des jugements, tous les ferments
de la modernit la fois rve et relle, tout cela couronn par la dstructuration du Christianisme et le Grand Sicle de lIntolrance,
dans ce tourbillon et cause de ce tourbillon se trouvent la graine et le ferment dune terrible fatigue de la psychologie. Elle
seule, et nullement le complot, ni le parti pris, ni les ides, ni les jugements fausss et confus sans quon ait la
moindre ide de celui qui se rapproche dune ralit satisfaisante et moins encore de la vrit elle-mme, elle seule, la fatigue, explique
lvolution des esprits par une sorte denchevtrement cadenc, mcanique, de la psychologie durant les deux sicles qui suivent. Elle
seule, la fatigue, explique que les plus hautes intelligences, les plus superbes talents, tenant pour acquises ces perceptions permises et
forces par le dsordre dvnements emplis de ces contradictions quon a observes, vont se trouver dans un tat dextrme vulnrabilit
lorsquinterviendra cette force historique immense qui prend naissance au cours du XVIIIme sicle et saffirme dcisivement au tournant des
XVIIIme et XIXme sicles Cette force, attire par cette fatigue psychologique et la vulnrabilit qui sensuit, ou bien profitant
delles, comme si elle existait, cette force, aux aguets, tapie dans les profondeurs de la matire, bien avant que
loccasion ne se manifeste ? Question dj pose, comme un avertissement fondamental, que nous retrouverons plus loin, sans aucun doute,
qui tient la clef fondamentale de notre apprciation gnrale...
Ce que jentends dcrire ici, je le rpte avec la plus grande force possible, nest pas une volution spcifique de la pense occidentale
(la modernit, les Lumires, etc.), mme si cest de cela quil pourrait sembler sagir premire vue ; mais lvolution de la pense
occidentale, dabord parce que la fatigue de la psychologie, construisant, installant et absorbant ces retournements incroyables de la
perception, donne la pense, avec cette psychologie, un outil us, perverti, qui na plus rien de la prcision et de la rigueur demploi
qui font sa force. La psychologie fatigue, puise, de lOccident entrave la logique et la rigueur de la pense, amollit cette pense,
favorise le sentimentalisme, la sensiblerie du raisonnement. (La maladie viendra ensuite, consquence de la fatigue, lorsque la force
historique immense se sera installe en triomphatrice, aprs le tournant du XVIIIme au XIXme sicle ; ce sera la nvrose moderniste, qui
fera renatre dans ses extrmes catastrophiques la maniaco-dpression caractristique de la psychologie humaine en crise terminale.) La
pense reste haute, la plume est superbe, le talent immense, comme on les trouve dans les grands esprits de la priode, mais tout cela est
frapp de la vulnrabilit quimplique la fatigue de la psychologie ; cest la ruse ultime du Mal que de navoir pas abaiss les esprits
avant de les subvertir, mais de les avoir subvertis pour mieux quils sabaissent eux-mmes... Fatigue et vulnrabilit
sont des tats quon peut rparer ou tenir distance, donc de peu dimportance pour le caractre et pour le jugement ; lorsquelles
affectent la psychologie, on ne les distingue pas, ou bien on les tient comme choses ngligeables si lon sen avise un instant. En
consquence de tout cela, avec contradictions et paradoxes dans le sens qui importe, nous tenons au contraire quil sagit de facteurs
essentiels, qui installent la scne terrible du drame qui va se nouer la fin du XVIIIme sicle.
Loutil de la pense, la psychologie quon a vue puise, intervient dans lorientation de la pense avant que la
conscience et sa raison nabordent le labeur de concevoir, dordonner et de formuler cette pense. Loutil est distordu par la fatigue, il a
perdu subrepticement sa fonction doutil au service de lesprit pour devenir quelque chose qui oriente, qui influence lesprit par sa
faiblesse et sa fourberie involontaires, linfluence, larme des faibles et des fourbes. Son influence est toute entire marque par
limprgnation laquelle il cde dune conception molliente et sentimentale des choses. Littralement, cest--dire mcaniquement, loutil
est gauchi. Dans le cours de ce mme processus dpuisement de la psychologie rsultant des bouillonnements des XVme,
XVIme, XVIIme sicles, que sais-je, avec les interprtions auxquelles on tait conduit, dapparence sduisante mais galement puisante
par les paradoxes et les contradictions, il se dveloppa quelque chose que nous pourrions dsigner comme une sorte de pense conforme ;
mais il sagit dune conformation vile et basse, cdant au plus tentateur ; et, dans cette sorte, le rsultat est, avant que le processus
de la pense vritable nintervienne, une pense conformiste inscrite dans un schma dun conformisme trs puissant, trs prgnant, puisque
form lui-mme partir de tous les accidents historiques quon a dcrits. En quelque sorte, lessence (le conformisme) a prcd la
substance (la pense) ; et cette pense conforme, videmment, dans le sens de la confusion, de la mollesse, de la faiblesse mme, de la
vulnrabilit la tentation des subversions videntes mais fort joliment maquilles.
Reste ce fait que lesprit pris dans son sens le plus vaste qui le place au-dessus de la raison, lorsque lintuition haute linvestit de
toute sa puissance glorieuse, sen trouve affaibli et rendu strile, infcond, par sa propre fermeture cette intuition qui drange sa
conformation, voire son conformisme. Lintelligence dun tel esprit ainsi abaiss na plus le rle quon lui assigne et la grandeur
ventuelle de cette intelligence peut devenir une tromperie, si le produit de cette intelligence elle-mme est une tromperie influence par
la psychologie transforme en un outil us et gauchi qui en fait une inspiratrice intrigante. Les intelligences les plus hautes peuvent le
rester effectivement mais elles peuvent en mme temps porter la marque de la fatigue de la psychologie comme nous lavons dcrite, et tre
fausses mesure, cest--dire hautement. Une terrible mcanique de perversion de la pense se met en place, o le sophisme va sinstaller,
appuy sur le diktat de la vertu morale et la tentation du confort de lirresponsabilit intellectuelle qui se manifeste dans
lacceptation de ce diktat.
Il est ncessaire daffirmer hautement que, dans la description de cette hypothse la fois psychologique et historique, nous induisons
laffirmation dune indpendance considrable et dune diffrence galement trs grande des deux processus, entre le processus de la
psychologie et le processus du dveloppement de la pense sous la conduite de la raison. La psychologie considre comme un outil, et comme
un outil autonome, pouvant ingrer des influences qui lui sont propres (ou des influences extrieures qui lui sont devenues propres) et qui
auront un effet sur la pense, subit une fatigue qui nest pas un simple dysfonctionnement biologique mais qui a une influence
intellectuelle. La psychologie est fatigue, comme on la vu, comme lon dit un conducteur vous fatiguez votre voiture parce quil la
fait fonctionner en premire ou en seconde vitesse trs haut rgime alors quil devrait enclencher la troisime ou la quatrime vitesse ;
il sagit de la fatigue dun usage contretemps, pris contre-pied Mais lessentiel dans cette erreur quon dcrit volontairement au
plus bas, comme mcanique, est quelle sexprime finalement par des contresens et des faux-sens qui vont influencer la pense. Le
contretemps et le contre-pied mcaniques sexpriment, lors du passage de la psychologie la pense, par des contresens et des faux-sens qui
affectent lintelligence du monde, ce point fondamental du passage entre le domaine de la perception inconsciente de la situation du monde
conduite par un processus psychologique puis et celui de la formation de la pense. Le rsultat est en effet cette situation terrible o
la plus haute intelligence, la pense et le talent les plus levs ne sont plus du tout une garantie assure dun jugement mesur de la
situation du monde, ni une garantie de justesse et de sagesse alors que lesprit croit au contraire que ces vertus videntes sont toujours
prsentes et actives.
Le lecteur garde toujours lesprit que nous ne sommes nullement dans le domaine de la critique de la pense, de lopinion que cette
pense exprime, du jugement quexprime cette opinion. Nous nous plaons en de de ce processus intellectuel au sens le plus large,
chronologiquement avant que ce processus nait lieu. Nous tentons de dcrire comment la pense occidentale a progress (nous aurions
prfr le terme volu mais lon comprendra la logique du choix puisquil sagit dvoluer vers la pense progressiste caractristique
de la modernit) pour parvenir une situation o la catastrophe a t rendue possible, o elle sest effectivement dclenche et rpandue
comme une trane de poudre conduisant lapparition catastrophique dune peste pouvantable enfin reconnaissable comme telle. Au point de
fusion de cette apparition catastrophique de la peste se trouve la conjonction de trois vnements qui eux-mmes renvoient, comme en un
cercle vicieux qui serait le pige dune histoire cet instant totalement subvertie, cette mme progression de la pense occidentale,
la catastrophe, avec nos trois Rvolutions, entre 1776 et 1825, pour prendre au plus large, entre la Dclaration dIndpendance des USA et
la fameuse phrase qui pouvanta Stendhal ( Les Lumires, cest dsormais lindustrie ), Rvolution amricaniste, Rvolution
Franaise et rvolution du choix de la thermodynamique.
Lvolution des affaires du monde et de la civilisation qui prtend mener ce monde pressait dans le sens o lon pouvait voir et
interprter ce spectacle gnral comme une progression, bien cela, progression et non volution. Les progrs des sciences, la
grandeur des arts et des lettres, lblouissement des Lumires et dune incomparable civilisation, toute entire inspire par le brio
franais, laissent penser lhistorien qui se contente des apparences que lvolution des ides suivait videmment cette sublime
progression de la civilisation. Mais la fatigue psychologique tait luvre et poussait des termes politiques nouveaux, suggrs par la
pense conforme de et par cette mme fatigue psychologique. La libert grandissante des esprits engendre en gnral, lorsque ces esprits
sont privs de la structure solide dune psychologie saine, un besoin presque sensuel de libert toujours plus grand marqu par
laveuglement des perspectives et linattention pour les effets, qui se traduit par la lassitude mprisante de lordre et le besoin
exaspr, presque nvrotique, de sacrilge. (Nous donnons ce mot son sens le plus large, au-del du sens religieux, et certainement plus
proche du sens mtaphysique : un sacrilge contre le rangement naturel et harmonieux du monde.) Observer cela dans le cours du XVIIIme
sicle, cest annoncer ce qui serait le caractre de confrontation extrme et sauvage de la deuxime civilisation occidentale, avec sa
rupture dquilibre au profit de lidal de puissance exprim par lhybris (la dmesure), brusquement dress contre lidal de
perfection. Ainsi le XVIIIme sicle enfante-t-il ce qui, son terme, sera la trahison de lui-mme selon ce quil aurait
d lui-mme vouloir tre. La pente est ouverte au sacrifice du sens au profit de la libert dchane comme une licence de lesprit
de saffranchir de toute rgle et de toute mesure, cette libert si exalte, si ivre delle-mme quelle serait bientt laccoucheuse du
besoin de puissance. La fatigue psychologique, qui conduit en ralit ce processus, ou plutt ce draillement du processus de la
civilisation, renforce encore ce draillement jusqu envahir lesprit du vertige de la puissance qui va natre comme naturellement de cette
spirale catastrophique.
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