PSYCHOLOGIE - Saturnin souffre d'aphasie (mutisme). En 1850, c'est assez simple: c'est un fou. Et les fous, ils vont à l'asile. Sauf que Saturnin arrive à une période clé de l'histoire de la psychiatrie, un moment où l'on ne sait plus très bien comment s'y prendre pour traiter les pathologies mentales. Faut-il les enfermer, les exclure de la société, ou faut-il tenter de les comprendre, voire, qui sait, de les soigner?
Ce sont les questions que pose la fiction de Sarah Lévy, La clinique du Docteur Blanche, diffusée ce vendredi 12 sur Arte. Saturnin, dans ce film, se retrouve au milieu de deux écoles, deux manières de concevoir la folie: celle d'Emile Blanche et de son père d'une part, dont l'établissement privé est fondé sur le modèle d'une pension de famille. Celle du Professeur Leuret d'autre part, professeur d'Emile mais surtout aliéniste et adepte des méthodes brutales. Emile défie le Professeur Leuret de soigner Saturnin, mais dans la clinique de son père.
Au fur et à mesure, on se rend compte que la frontière entre ces deux méthodes s'estompent, mais une autre aussi, "plus fondamentale encore, qui guide l'évolution du récit autant que la mise en scène; celle qui sépare en deux mondes distincts le peuple des fous et celui des sains d'esprit", écrit la réalisatrice dans un communiqué.
"Il n'y a pas de culture sans folie", disait Michel Foucault, auteur du très célèbre livre Histoire de la folie (1961). C'est une certitude. Mais de savoir ce qu'elle est au fond, et comment la traiter, c'est une autre question. Retour sur quelques étapes clés de l'évolution de notre rapport à la folie depuis le Moyen-Âge.
Bande-annonce de La clinique du Docteur Blanche
La Clinique du Docteur Blanche, sur Arte le 12... par Telerama_BA
La Renaissance donne la parole à ces fous qui faisaient peur
Alors qu'au début du Moyen-Âge, le fou est bien accepté dans la société, dans la deuxième moitié de cette période, la folie commence à apeurer. Dès le XIe siècle, l'Histoire est marquée par les chasses aux sorcières, accusées de faire de la magie noire, et qui finissent bien souvent sur un bûcher.
Mais vient la Renaissance, qui redonne la parole aux fous. La fin du 16e et début du 17e siècles marquent un tournant. "Jusqu'au début du 17e, expliquait Michel Foucault, le fou a une existence extraordinairement libre (...) Il y avait des fêtes de fous (...) Le fou avait une place dans la littérature."
Dans cette vidéo, le philosophe souligne qu'à ce moment, les fous étaient entourés par leur famille. On les laissait vivre, on prenait soin d'eux. Mais très vite, on s'est rendu compte que le fou prenait de la place, tout simplement. Il dépense beaucoup mais ne gagne rien, en bref, il est "encombrant". A cette époque où le mercantilisme est roi, cela ne colle plus.
La folie marquée par le "Grand renfermement"
Rapidement, tous les fous se retrouvent enfermés. Mais pas seulement, comme le démontre Foucault avec sa thèse du "Grand renfermement", marqué par la création en 1656 de l'Hôpital général à Paris. Car dans un même sac sont également rangés (enfermés dans des centres) les pauvres, les libertins, les homosexuels, les blasphémateurs... En d'autres termes, tous les asociaux, les marginaux.
La psychiatrie naît et la folie devient maladie mentale
Après la Révolution Française, cet enfermement n'est plus possible. D'une part, cela coûte de l'argent. D'autre part, l'aliéniste français Philippe Pinel signe un acte symbolique en libérant tous les fous de l'Hôpital Bicêtre. Le revers de la médaille, c'est que les fous se retrouvent enfermés dans de tous nouveaux lieux d'internement: les asiles. C'est dans ces conditions que naît la psychiatrie, et que les folies deviennent des maladies mentales, classées selon leurs signes cliniques.
Michel Foucault critique fortement cette évolution car pour lui, c'est une autre forme d'enfermement, de contrôle social. Comme lui, le philosophe Guillaume Le Blanc, auteur de Canguilhem et la vie humaine, a la critique acerbe, comme il le montrait en 2011 dans L'Humanité:
"Ensuite le geste de Pinel, libérant les fous de leurs chaînes mais pour mieux les asservir à l’ordre psychiatrique de l’asile, censé protéger, par le même confinement, la société des fous et les fous de la société. Alors pourra se donner quelque chose comme une médicalisation de la folie et avec elle l’avènement d’un pouvoir psychiatrique qui, peu à peu, va essaimer hors des murs de l’asile et se diffuser dans toute la société, au nom d’un impératif vigoureux de défense sociale. Alors, on aurait une folie rompue à la médicalisation du pouvoir psychiatrique avec ses deux bras, repérage de l’anormal, généralisation des techniques d’intervention sur les 'anormaux'. Et de fait, l’histoire de la folie est toujours une sale histoire de la folie, faite de camisoles, physiques, chimiques, de traitements électriques de tout poil, d’une violence des corps."
Symbole de cette psychiatrie violente et étouffante, qui veut à tout prix avoir le contrôle sur la folie, le film Vol au-dessus d'un nid de coucou (1975), de Miloš Forman et avec Jack Nicholson dans le rôle d'une personne saine d'esprit qui veut éviter la prison en se déclarant malade. La pire idée de sa vie.
Aujourd'hui, cette volonté d'enfermer la folie a, au sens propre du terme, disparu. Mais pour Guillaume Le Blanc, la folie fait toujours peur, d'une autre manière: on tente de l'objectiver, de l'opposer à ce qui nous semble "normal". On veut croire que les neurosciences pourront tout résoudre. Mais est-ce possible? Les débats récents autour du fameux Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM, qui répertorie les maladies mentales, laissent songeurs. TOC, phobie sociale, dépression après 15 jours de deuil, cela vous dit quelque chose? Autant de termes qu'on peut trouver dans le DSM. Au fond, serions-nous tous un peu fous? Comme le dit Terry Gilliam, l'ex Monty Python réalisateur de Brazil et de L'Armée des 12 Singes, "la folie, c'est la loi de la majorité".
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