D’origine américaine, Karen Sadlier est docteur en psychologie clinique et directrice du département Enfants du Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologie (CPIV).
Cet institut a été fondé par le Dr. Gérard Lopez : L'Institut de Victimologie - l'équipe du CPIV
Karen Sadlier est auteur de livres et d’articles. Depuis 10 ans, elle forme et supervise des psychologues, des psychiatres et des professionnels du monde socio-éducatif et médico-psychologique au suivi pragmatique et créatif de la souffrance. Karen Sadlier est spécialisée en trauma depuis 1990 (maltraitance, inceste, violence conjugale, guerre, attentat) et a participé à plus d'une quarantaine de projets de recherche ou d'intervention pour des personnes ayant vécu la violence, surtout des enfants. Pendant plusieurs années, elle a été la secrétaire générale de la Société européenne des études de stress et du trauma (ESTSS) ainsi que la directrice de l'Unité enfant du Centre du Psychotrauma de Paris. Karen Sadlier est aussi partenaire d'instances gouvernementales et associatives autour de la question des droits des femmes et des enfants. (source : Karen Sadlier)
Karen Sadlier a par exemple donné une conférence le 11 mai 2010 à Martigues dans le cadre de journées d’étude sur les enfants exposés aux violences conjugales. Voici le compte-rendu de cette conférence (56 pages), téléchargeable sur le site de la Préfecture de la Manche : Enfants exposés aux violences conjugales - Karen SADLIER
Un ouvrage sur le même thème, écrit sous la direction de Karen Sadlier : L'enfant face à la violence dans le couple
Intervention du 13 mars 2012
Le 13 mars 2012, Karen Sadlier est intervenue dans le cadre d’une journée d’échanges organisée par Libres Terres des Femmes sur « les conséquences des violences conjugales sur les enfants. Expériences, outils et projets pour agir. »
Vidéo de présentation de la journée
Une vidéo a été produite avec des extraits de l'intervention de Karen Sadlier.
L’intégralité de cette vidéo est retranscrite ci-dessous.
Karen Sadlier
Intervention du 13 mars 2012
Transcription intégrale
Vidéo : Intervention de Karen Sadlier.
Texte introductif de la vidéo
Extraits de l’intervention de Karen Sadlier, docteur en psychologie clinique, directrice du département enfant de l’Institut de victimologie de Paris qui présente un outil d’intervention auprès des enfants et de soutien à leurs mères.
Intervention de Karen Sadlier
« 80 % des enfants sont témoins oculaires ou auditifs des violences conjugales, même si les parents pensent qu’ils ne le sont pas. Et les 20 % des enfants restants sont témoins de toutes les dynamiques de violence dont les disqualifications, l’isolement, les sensations de terreur dans la maison, comme le sont les autres [enfants].
80 % des incidents, des passages à l’acte, des violences physiques ont démarré autour d’une question concernant l’enfant.
Donc, c’est très intéressant parce que, comme Marie-France l’a présenté ce matin, dans des systèmes de violence, il y a cette idée « ce n’est pas ma faute », « ce n’est pas ma responsabilité », « la violence, c’est la responsabilité de la victime ». Et l’enfant se trouve exactement dans la même situation « ce n’est pas la responsabilité de papa », « c’est MA responsabilité », « c’est moi qui a créé la situation, qui a fait en sorte que papa a frappé maman », donc l’enfant est exactement dans une place miroir à la victime de violence conjugale.
C’est là où on arrive à cette difficulté pour les enfants, dans la violence conjugale. C’est le fameux conflit de loyauté. Parfois, j’ai des collègues qui me disent « ah oui, conflit de loyauté, ces enfants, ils sont écartelés entre leur père et leur mère », « qui est-ce qu’ils vont aimer ? », « il ne faut pas non plus les obliger à choisir ».
Les conflits de loyauté chez les enfants qui sont exposés à la violence conjugale, ce n’est pas « est-ce qu’il faut aimer papa ou maman ? ». On n’est pas dans la question d’amour. On est dans des questions de protection parce qu’on est dans des situations de vie ou de mort. En tous cas, dans la tête de l’enfant, c’est vie ou mort.
Et donc, les conflits de loyauté, c’est « qui est-ce qu’il faut protéger ? », « quelle est la priorité ? ». Alors, vous pouvez dire : la priorité, c’est qu’il se protège lui-même. Pourquoi pas ?
Mais s’il se protège lui-même, ça veut dire que sa mère est gravement blessée. Qu’est-ce que ça va produire chez lui ? De la culpabilité. Donc, cette solution ne va pas être psychologiquement satisfaisante. Et il va être dans la question « est-ce qu’il faut protéger l’auteur [des violences] ? », « est-ce qu’il faut protéger la victime ? », « est-ce qu’il faut protéger la fratrie ? ». « Et moi, je serai derrière », parce que c’est la réalité de cette situation.
Je reviens sur ça aussi, parce qu’à une époque, comme beaucoup de thérapeutes qui travaillent autour du trauma, je pensais « l’événement traumatique ». Pour moi, c’était LA chose. Et donc il fallait comprendre l’avant, l’après, le pendant, quel était le pire moment, etc. Et ça, c’est pas du tout le cas avec la violence conjugale.
La violence conjugale, c’est comme un collier [elle montre un collier de perles]. Le collier, c’est la violence conjugale. Et il est construit de multiples perles des différents incidents de violences physiques, de violences psychologiques, de violences sexuelles, de violences économiques, toutes les violences que Marie-France a bien soulignées.
Mais on est face à un ensemble. Donc si, comme intervenant, je focalise que sur un événement, je vais perdre de vue ce collier et la chronicité de l’exposition de ces enfants.
Donc, une chose par rapport aux enfants qui me semble importante, c’est qu’on est face à des enfants qui sont très sensibles au modèle inadapté de gestion des émotions. Notamment, la peur et la colère. La peur, parce que c’est quelque chose qu’il faut nier, minimiser, « même pas peur », « ce n’est pas grave ». C’est le message qu’ils entendent de l’auteur [des violences] : « Bon, ok, c’est pas grave ! », « le nez saigne, mais il n’est pas cassé, c’est pas grave ! ». Et peut-être même aussi de la victime « Bon, c’est vrai, il m’a frappée, mais ça arrivera plus, c’est pas grave ! », « ce qui compte, c’est qu’aujourd’hui, on est une famille unie, on est heureux ».
Donc ces enfants apprennent à minimiser la peur. Donc, si je suis un enfant qui minimise la peur, qu’est-ce que je fais ? Je peux avoir des mises en danger : « même pas peur ». J’ai un radar de peur qui ne fonctionne plus. La peur est utile parce qu’elle me dit que je suis en danger. On est face aussi à des enfants qui ont du mal avec la colère.
Alors pourquoi identification et gestion des émotions ? Parce qu’on sait que, quand les enfants sont traumatisés - et 60 % des enfants qui sont exposés à la violence conjugale présentent un état de stress post-traumatique - qu’ils vont avoir du mal à identifier leurs émotions.
Et s’ils ont du mal à les identifier, ils ont du mal à les verbaliser. Et s’ils ont du mal à les verbaliser, comment est-ce qu’ils peuvent les exprimer ? Dans des troubles du comportement !
Et donc ils vont au CMP. Ils ont des troubles du comportement qui sont diagnostiqués comme des troubles du comportement. Mais peut-être sans diagnostiquer qu’il y a un état de stress post-traumatique derrière, parce que l’enfant est exposé à la violence conjugale.
Pour les identifier, nous, on a des posters ou des petites cartes qui sont des émoticônes. Vous les avez sur votre téléphone. Si vous avez des Smartphones, je suis sûre que vous avez des programmes émoticônes. Si vous parlez sur MSN, sur Yahoo, sur Skype, vous avez des émoticônes dessus. Et si vous n’avez pas, vous demandez à vos enfants, pré-adolescents ou adolescents de vous montrer leurs émoticônes. Ils le feront !
Donc, on utilise des cartes ou des posters avec des émoticônes. Et on travaille que sur 4 émotions. C’est les 4 couleurs de base : colère, peur, tristesse, bonheur.
(Karen Sadlier montre une image avec des émoticônes et les mots peur, joie, colère, tristesse – les émoticônes et les mots sont mélangés)
Et c’est un simple travail de « aujourd’hui, comment tu te sens ? Colère, peur, tristesse, bonheur ? », « qu’est-ce qui te met en colère ? », « qu’est-ce qui te rend triste ? », « qu’est-ce qui te fait peur ? », « qu’est-ce qui te rend content ? », « quand tu me parles de ce qui s’est passé quand papa a frappé maman, ou papa a dit qu’il voulait tuer maman, comment tu t’es senti ? Quel émoticône ? »
Parfois, les enfants ne peuvent pas dire « j’ai eu peur », « j’étais en colère », mais c’est beaucoup plus simple pour eux de pointer un émoticône. On fait un énorme travail par rapport à ça. Et ça, vous pouvez commencer à le faire dès la crèche.
J’ai été à une journée le 8 mars dans une crèche en Seine-Saint-Denis qui travaille avec les émoticônes, pour aider les enfants à commencer à identifier leurs émotions. Donc des enfants qui sont dans les moyennes et grandes sections de la crèche.
(Karen Sadlier montre un dessin d’un enfant de 12 ans qui a dessiné sa « roue de la violence » – donc sa représentation des phases de la violence conjugale).
Ça fait un peu pagaille, peu importe. Ce qui compte, c’est que par cet outil, on a pu commencer à parler des différentes phases. Qu’est-ce que lui il reconnaît dans les différentes phases. Et comment lui, il se sent. Et comme il a dit « la lune de miel, ici, j’aime », « j’aime la lune de miel », « j’aime me sentir comme ça ». C’est exactement comme les victimes. Mais dans la discussion, il dira « mais dans la lune de miel, j’ai aussi très peur que ça dure pas », « et je me dis que peut-être, si je fais certaines choses, ça peut durer plus longtemps ».
Donc encore cette idée de responsabilité « c’est MA faute si la lune de miel ne dure pas ». Donc ça permet de commencer à déconstruire ça avec lui.
J’ai travaillé avec les enfants autour de l’idée de carte de soutien.
(Karen Sadlier montre un dessin. C’est la carte de soutien d’un enfant de 8 ans)
L’enfant se met au milieu de la carte. Et de plus près à plus loin, il va mettre les personnes qui peuvent l’aider, par rapport à la violence. Vous pouvez tourner la question comme vous voulez : « qui peut m’aider par rapport à la violence ? », « à qui je peux parler par rapport à la violence ? ». Vous pouvez aussi faire la carte de « qui peut aider maman par rapport à la violence ? », « qui est autour d’elle ? ».
Parfois, les enfants pensent que c’est le désert, le néant autour de maman, qu’ils sont les seuls soutiens de leur mère. C’est intéressant de les prendre en photo et après de refaire la carte avec la mère : « qui est autour d’elle ? ».
Et souvent, s’il y a une association qui accompagne la mère, il y aura des personnes, des professionnels, dont l’enfant ignore l’existence. Il n’est même pas au courant que maman pouvait être aussi entourée.
Alors pour faire cet exercice, par rapport à la mère, il faut quand même, j’ajoute le bémol : « est-ce que Madame et l’enfant sont en sécurité ? ». Parce que si l’enfant, soudain, à accès à toutes les personnes qui sont autour de maman, et il rentre à la maison et il voit papa. Et papa dit :
— Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ?
— Oh, on a fait un petit cas, un dessin avec une dame qui s’appelle Marie-France.
Le père dit :
— C’est qui cette Marie-France ? Et c’est où ?
— Oh, elle est à Libres Terres de Femmes.
— Et c’est quoi cet endroit ? Je regarde sur Google ! C’est quoi ? Et donc, qu’est-ce que tu as fait ?
— Ben, on a fait tous les gens qui sont autour de maman pour l’aider par rapport à la violence.
Alors là, peut-être, vous augmentez la dangerosité. Donc toute une partie de ces interventions, vous ne pouvez pas les faire, sauf si Madame et l’enfant sont en sécurité. »
Fin de la vidéo, avec le logo de Libres Terres des Femmes (www.ltdf.fr)
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