[Express Yourself] Les comptes-rendus des tueries d'Oslo, d'Aurora ou de Savoie mentionnent une addiction des auteurs aux jeux vidéos violents. Il m'a paru judicieux d'examiner ce que la science connaît des relations entre répétition d'images violentes et fonctionnement du cerveau, exactement comme j'avais précédemment eu envie de partager les informations à ma connaissance sur les mécanismes neurochimiques permettant de comprendre le dépassement de la douleur dans le sport, présenté dans l'émission Complément d'enquête.
Les jeux vidéos, un territoire interdit?
J'avais personnellement intitulé mon texte "Accro aux jeux vidéos et aux images violentes: effets sur le cerveau". Il ne s'agissait ni plus, ni moins, que de reprendre le même type de modèle explicatif que celui que j'avais proposé à propos des accros au sport, que nombre d'internautes avaient apprécié. Quelle n'a donc pas été ma surprise de découvrir que cette fois, mes informations scientifiques ont suscité un tollé auprès des amateurs de jeux vidéos. Ceux-ci se sont sentis injustement accusés et ont réagi en conséquence, avec une certaine violence, il faut bien le reconnaître, en particulier sur Twitter. Les jeux vidéos seraient-ils un territoire interdit, un domaine où il ne faut pas poser de questions et encore moins fournir d'explications?
Le plus extraordinaire pour moi a été de découvrir que les détracteurs les plus virulents de mes propos ne les avaient manifestement pas lus en entier. Certains se sont contentés de réagir au nouveau titre proposé par la rédaction de l'Express.fr et que j'ai fait modifier lorsque je me suis rendue compte qu'il ne correspondait pas à mon message de fond. D'autres ont réagi au titre et au commentaire qui l'accompagnait, qui ne figurait pas non plus dans mon article original.
D'autres enfin se sont arrêtés aux extraits de mon texte postés sur le site Gameblog.fr, dont les commentaires n'avaient plus grand chose à voir avec ce que j'ai voulu expliquer. Là, des psychologues, qui se sont présentés comme tels, se sont permis des jugements, que je trouve pour le moins déplacés, toujours sans avoir pris connaissance du fond de mon propos, pourtant proche de leur manière de concevoir les choses, d'après ce qu'ils en ont dit.
Des réactions inattendues
Bref, j'ai tout à coup eu l'impression de me retrouver dans le sketch de Coluche où, en début de cortège les gens scandent "A bas la répression des manoeuvre policières!" alors qu'à la fin de la manifestation c'est devenu "A bas les boutons-pressions, vive les fermetures-éclairs !". Le moins que l'on puisse dire, c'est que parler de l'effet sur le cerveau des jeux vidéo violents, ainsi que des images violentes en tout genre, suscite des réactions inattendues et agressives, ce qui n'a pas été le cas lorsque j'ai expliqué les effets neurochimiques du sport qui s'appuient pourtant sur les mêmes molécules. C'est troublant.
De nombreux internautes m'ont reproché de ne pas mentionner les problèmes éducatifs et les situations familiales pouvant expliquer les passages à l'acte des tueurs, ainsi que d'autres types de violence que nous rencontrons dans la société. Or, c'est justement ce sur quoi porte mon texte, pour qui a la patience de le lire jusqu'au bout. C'est aussi le type d'explications que j'ai approfondies sur le cas spécifique de Breivik, pour lequel des informations assez précises sont disponibles. Les jeux vidéos ne sont pas pour moi une cause en soi, comme chacun peut le constater en lisant "Breivik: tuer de sang-froid, une histoire d'attachement ?" et "Breivik, le comportement incompréhensible d'une personnalité dissociée".
La répétition d'images violentes a des effets sur le cerveau, come toutes les répétitions
Il n'en demeure pas moins que la répétition d'images violentes a bien des effets sur le cerveau, comme toute répétition d'ailleurs, base de l'apprentissage. Que l'adrénaline soit accompagnée d'une libération d'endorphines n'a rien de psychologique, c'est de la neurochimie, qu'on le veuille ou non. Les endorphines sont les neurohormones du plaisir, tout autant que celles qui rendent accro, c'est toujours du domaine des neurosciences et de la médecine.
Cela étant, les commentaires un peu développés de certains internautes soulèvent une question tout à fait fondamentale à laquelle les neurosciences apportent par ailleurs des réponses claires aujourd'hui. L'homme est-il fondamentalement mauvais ? C'est ce qui explique pour certains son agressivité et sa violence, rencontrées partout et de tous temps. L'homme est un loup pour l'homme, alors autant qu'il se défoule dans des jeux vidéos plutôt que de s'attaquer à ses congénères.
C'est ce que l'éducation judéo-chrétienne fait croire avec l'idée d'un péché originel qui a chassé l'homme du paradis. C'est aussi l'idée reprise par Freud, avec des pulsions contre lesquelles l'homme doit se battre sans cesse, et auxquelles il ne doit pas succomber s'il veut faire preuve d'humanité. Or, les recherches récentes en neurobiologie développementale par exemple ont donné raison à Bowlby et à sa théorie de l'attachement. Celle-ci affirme au contraire que l'agressivité et la violence ne sont pas innées, mais qu'elles se développent en réaction à un environnement où les besoins affectifs et relationnels de l'enfant et de l'adolescent n'ont pas été reconnus et correctement satisfaits.
Accumuler de la colère
Cette non-reconnaissance du besoin fondamental d'attachement conduit l'individu à accumuler de la peur et de la colère, une certaine souffrance pour laquelle il cherche un exutoire, que ce soit dans le travail acharné, une sexualité débridée, le sport à outrance, une passion pour les jeux vidéo qui défoulent, etc. C'est à la fois une question de neurochimie et de psychologie, mais tirer sur le porteur de mauvaises nouvelles et l'accuser de tous les maux ne change rien à ces données.
Par ailleurs, puisque la violence est partout, et que personne ne semble avoir l'idée consciente de la trouver plaisante, pourquoi éprouver le besoin de s'en rajouter soi-même une dose une fois à la maison? Pourquoi ne pas jouer plutôt à des jeux non violents? Ne serait-ce pas par hasard parce que ces derniers libèrent moins d'adrénaline, et donc moins d'endorphines, provoquant chimiquement moins de plaisir?
Pour finir, je tiens à remercier ceux des internautes qui ont cherché à me soutenir, ne serait-ce qu'en demandant aux autres de prendre connaissance de l'intégralité de mon texte avant de porter des jugements à l'emporte-pièce, ou en leur suggérant de cesser de me prêter des pensées et des intentions négatives. Je n'ai voulu offenser personne, mais simplement apporter des informations, voire faire réfléchir car il me semble qu'il y a de quoi.
Par Yvane Wiart, auteur de L'attachement, un instinct oublié (Albin Michel, 2011) et de Petites violences ordinaires: la violence psychologique en famille (Courrier du Livre, 2011), chercheur au Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie, Institut de Psychologie, Université Paris Descartes.
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