Hollande-Trierweiler : Pourquoi les Français attendraient-ils de l …

[Express Yourself] Dernièrement, dans l'émission Vous trouvez ça normal?!, Bruce Toussaint et son équipe sont revenus sur les récentes déclarations de Valérie Trierweiler quant à son comportement et à ses activités en tant que "première dame", en soulignant que son rôle, même s'il n'est pas officiellement défini, ne saurait être neutre. À cette occasion, ils ont rappelé les ouvrages que la rentrée a vu fleurir, sur les rapports complexes entre le président de la République et ses deux compagnes: l'ancienne et l'actuelle, Ségolène Royale, mère de ses quatre enfants, et Valérie Trierweiler. 

Au milieu d'un certain nombre de questions, dont l'impact de ce trio sur la politique et sur l'image du président, à nouveau ternie par un récent épisode à l'ONU où François Hollande a décidé de rebrousser chemin pour éviter de saluer Ségolène Royale dans un couloir, a émergé une intéressante interrogation sur les attentes d'amour des Français de la part de la première dame, voire du Président lui-même. 

Bruce Toussaint s'est ouvertement étonné que le problème de cote de popularité et d'activités attendues de la part de Valérie Trierweiler puisse se poser en termes d'attentes d'empathie, de compassion et d'amour, comme l'a suggéré une de ses invités. Puis est venue en réaction, une interprétation de Clémentine Autain selon laquelle nous ne serions pas sortis de la monarchie et, je suppose, d'un rôle dépassé de père et mère du peuple. Est-il si étonnant que la question puisse se formuler ainsi, ce qui me semble avoir pour corollaire la "normalité" du Président et de sa compagne? Et y a-t-il lieu de mépriser ceux qui, consciemment ou non, auraient une telle vision de la présidence de la République, vision renforcée selon certains participants à l'émission par notre époque de crise? 

Notre instinct nous conduit à rechercher la protection

La théorie de l'attachement peut permettre de mieux comprendre cette affaire. John Bowlby, son créateur, ainsi que tous les chercheurs qui vérifient ses dires depuis maintenant plus d'un demi-siècle, a montré que l'attachement est un instinct, actif chez tout être humain du berceau à la tombe. Cet instinct nous conduit à rechercher l'écoute, le soutien et la protection de personnes que l'on estime à même de nous en apporter, et ce particulièrement en cas de difficulté. Ces figures d'attachement, comme on les appelle, nous les élisons d'abord dans le contexte familial de notre enfance, puis dans celui de notre couple et du cercle de nos amis, que cet instinct nous incite à établir pour notre équilibre affectif. 

Cet instinct agit de manière grandement inconsciente chez la plupart d'entre nous, et nous ignorons le plus souvent à quel point il influence notre perception de nous-même, d'autrui et du monde qui nous entoure, ainsi que bon nombre de nos réactions au quotidien. Le choix d'un Président de la République, et notre attitude envers lui, peuvent sembler n'avoir aucun rapport avec ce qui relève, à prime abord, de la sphère de l'intime. Et pourtant, sur le plan symbolique et à l'échelle du pays, nous attendons bien du Président de la République qu'il veille sur notre destinée, qu'il nous protège et favorise au mieux nos intérêts, bref qu'il se comporte en bon père de famille. 

Il n'est donc guère étonnant dans cette perspective qu'il soit par ailleurs attendu de sa compagne qu'elle se comporte elle-même en bonne mère de famille, offrant écoute et soutien à ceux qui la sollicitent et accordant toute son attention à des tâches telles que les oeuvres caritatives, occasion pour elle de faire preuve d'empathie, de compassion et d'amour pour son prochain. Il me semble que cela n'est pas un hasard s'il est difficile de concevoir un Président de la République sans une femme à ses côtés, et que ce rôle de première dame semble si important, au point de faire couler autant d'encre lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu. 

C'est encore à ce titre que l'on peut concevoir l'impossibilité pour le couple présidentiel d'être "normal", c'est-à-dire strictement comme tout le monde, ce qui est antagoniste à la fonction suprême, dévolue par principe à un seul, choisi pour se démarquer de tous les autres. Les féministes soutiennent Valérie Trierweiler dans ses tentatives pour continuer à rester autonome, ne pas être simplement "la femme de", travailler de son côté et subvenir aux besoins de ses enfants. C'est là effectivement une situation normale, c'est-à-dire dans la norme des 85% de femmes qui ont un emploi. Les difficultés rencontrées par le couple présidentiel sont elles aussi parfaitement dans la norme et dans l'air du temps: couple non marié, avec des enfants de part et d'autre, et des souci relationnels liés aux précédents conjoints, surtout d'un côté semble-t-il. 

Tout cela est très banal et a même pu rendre le candidat François Hollande sympathique à tous ceux qui partagent les mêmes problèmes humains, lui assurant un sentiment de proximité, favorable à une élection. Par contre, une fois établi à la fonction suprême, il se trouve à endosser autant les responsabilités objectives liées à son poste que les attentes symboliques et subjectives envers celui qui est chargé d'aider, de soutenir et de protéger tous les autres. C'est la situation la plus anormale qui soit, au sens propre du terme, puisqu'il est seul, face à tous. 

On peut alors imaginer que si sa vie privée est scrutée avec autant d'attention, c'est parce que les Français ont besoin d'être rassurés en ces temps de crise, et qu'ils ont avant tout besoin d'être rassurés par un homme qu'ils ont placé en figure d'attachement suprême, qu'on le veuille ou non. Sa gestion de sa vie de famille offre alors une image, de sécurité ou non, que ceux qui lui font face ont tôt fait d'assimiler inconsciemment à ce qu'ils attendent de lui dans le domaine public. Les réactions aux attitudes de sa compagne sont aussi à comprendre dans ce sens. Et ce n'est pas là une posture d'Ancien Régime, mais plutôt l'expression de notre instinct d'attachement et de notre besoin fondamental d'être protégés par quelqu'un en qui nous souhaitons pouvoir avoir confiance. 

Yvane Wiart, auteur de L'attachement, un instinct oublié (Albin Michel, 2011) et de Petites violences ordinaires: la violence psychologique en famille (Courrier du Livre, 2011), chercheur au Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie, Institut de Psychologie, Université Paris Descartes. 

 

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