[Express Yourself]Tueur d'Aurora d'Oslo ou de Savoie, tous semblent avoir pour point commun, outre les crimes inexplicables auxquels ils se sont livrés, un goût prononcé pour les jeux vidéo et les images violentes. Dans la communauté des spécialistes, il existe un débat ardent quant à la nocivité ou non des images de combat, de guerre, auxquelles de plus en plus de jeunes, et de moins jeunes, sont devenus accros ces dernières années, grâce à leur profusion sur les écrans en tout genre.
Leurs défenseurs estiment qu'elles ne présentent de danger que pour les esprits déjà sensibles et perturbés par ailleurs et que pour le reste, il serait dommage de priver la jeunesse de ces spectacles jugés ludiques tant que le spectateur ne les confond pas avec la réalité. Ils vantent même l'action cathartique de cette violence en représentation, censée libérer sainement l'agressivité en chacun de nous et éviter ainsi les passages à l'acte, à l'instar de la tragédie grecque.
La science a-t-elle des réponses précises à fournir sur le sujet? Que sait-on des effets de l'exposition à la violence sur le comportement? Autrement dit, être accro aux jeux vidéo violents a-t-il des effets sur le cerveau? Et ce goût pour la violence est-il communément partagé, lié à une agressivité innée, comme beaucoup le croient?
L'organisme en alerte
La première conséquence directe de l'exposition courante à la violence est sa banalisation. Au niveau du cerveau, c'est ce qu'on appelle l'effet d'habituation menant à l'insensibilisation. Il s'agit d'un conditionnement qui, par sa répétition, conduit à trouver normales des situations, censées pourtant maintenir l'organisme en alerte dans ce cas précis.
En effet, nous sommes instinctivement programmés pour réagir à la violence par la peur, car elle signale une réalité potentiellement dangereuse pour la survie, dont il est bon de se protéger. Or, plus une information s'offre de manière réitérée au cerveau, plus les connexions neuronales s'y habituent et les intègrent. C'est une des bases de l'apprentissage et des automatismes. D'autre part, sur le plan chimique, comme je l'ai expliqué à propos des accros au sport, la production régulière d'adrénaline conduit à la diminution de ses récepteurs pour éviter la surchauffe du métabolisme de la fuite, mobilisé de façon chronique. Là encore, le cerveau s'habitue en bloquant ses réactions instinctives.
La deuxième conséquence de l'exposition régulière à la violence est son effet de préparation à l'action. Comme d'autres espèces, nous avons dans le cerveau des neurones spécialisés, appelés neurones miroirs, qui enregistrent une action observée, exactement comme s'il s'agissait d'un acte fait par nous-mêmes. On s'est ainsi aperçu qu'un chimpanzé, regardant un expérimentateur manger lors de sa pause déjeuner, activait les mêmes zones de son cerveau que s'il avait lui-même été en train de s'alimenter.
Programmé pour imiter
C'est ce qui fait l'efficacité des simulateurs virtuels pour toutes sortes d'entraînements. C'est aussi le mécanisme qui permet aux sportifs de se préparer par la simple visualisation intérieure des enchaînements à effectuer. Le cerveau est donc programmé pour imiter de manière totalement automatique et inconsciente, et plus on visionne des actes, plus facile et plus spontanée en sera l'exécution dans la réalité. Les neurones miroirs montrent donc que le cerveau ne fait pas si nettement que cela la différence entre réel et imaginaire.
Troisièmement, on peut déjà déduire de ce qui précède que l'habituation à la violence, sa banalisation, voire le plaisir qu'elle déclenche, nécessitent une exposition préalable dans la durée. Un enfant, que son éducation aura protégé comme elle est censée le faire, conserve ses mécanismes instinctifs d'aversion et de fuite de la violence. Il n'en retire donc aucun plaisir et n'aura pas idée de la rechercher pour jouer.
Pourtant, le plaisir lié à la violence est bien réel. Associée à la libération d'adrénaline intervient en effet celle d'endorphines, comme on l'a vu chez les accros au sport. Drogues endogènes, elles font planer pendant et après la mise sous tension du corps. Elles induisent un manque lorsque leur production est chronique, exactement comme n'importe quel autre euphorisant consommé régulièrement. C'est ainsi que l'on devient accro à la violence et que l'on s'y adonne par jeu.
Quant à l'habituation à la violence liée à l'éducation, il ne faut pas imaginer qu'elle ne se rapporte qu'aux mauvais traitements que tout le monde perçoit comme tels, coups, viol, etc. Beaucoup plus subtile et souvent non reconnue est la violence psychologique, en particulier celle concernant le besoin d'attachement, lui aussi instinctif comme l'a montré Bowlby. L'enfant ou l'adolescent qui ne se sent pas écouté, entendu, compris et soutenu par ses proches subit en réalité une violence qui le conduit soit à s'isoler, soit à exacerber ses demandes d'attention, soit encore à se soumettre et à chercher à plaire, non sans ressentir une profonde colère de n'être pas reconnu et accepté pour lui-même.
La télévision, une baby-sitter pratique
C'est cette colère refoulée qui devient explosive et conduit au passage à l'acte violent lorsqu'un déclencheur ne lui permet plus d'être contenue. Ce déclencheur peut être la prise d'alcool ou de drogues, un état d'épuisement ou encore un deuil de quelque chose ou de quelqu'un d'important pour soi. Le jeune qui jusque-là avait vécu relativement sans histoire, même s'il paraissait isolé et pas très bien dans sa peau, se mue en meurtrier sanguinaire, préméditant son acte avec la minutie et l'habileté acquises dans son entraînement aux images virtuelles.
Lorsqu'il n'est pas issu d'un milieu défavorisé, mais vient d'une famille apparemment sans problème, on ne comprend pas. Pourtant, comme le rappelle Bowlby dans Le lien, la psychanalyse et l'art d'être parent, l'abus ou la négligence affective se rencontrent dans tous les milieux. L'attention dont tout enfant a besoin pour se construire peut être défaillante par simple manque de temps ou par ignorance de son importance fondamentale. Télévision, ordinateur et console vidéo sont aujourd'hui des baby-sitters pratiques qui occupent les enfants de plus en plus tôt, mais qui ne peuvent aucunement remplacer la présence chaleureuse et attentive d'un adulte, base de référence ultérieure aux relations à autrui.
Par Yvane Wiart, auteur de L'attachement, un instinct oublié (Albin Michel, 2011) et de Petites violences ordinaires: la violence psychologique en famille (Courrier du Livre, 2011), chercheur au Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie, Institut de Psychologie, Université Paris Descartes.
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