Et si on essayait l’empathie

Lempathie, cest la volont de comprendre lautre de lintrieur, tout en sachant quon ny est pas, affirme Jacques Lecomte, docteur en psychologie.
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L’empathie, « c’est la volonté de comprendre l’autre de l’intérieur, tout en sachant qu’on n’y est pas », affirme Jacques Lecomte, docteur en psychologie. / Florence Levillain/Signatures

Le mot «empathie» est désormais sur toutes les lèvres. Pour ses partisans, elle serait la clé d’un vivre-ensemble aujourd’hui malmené (1). Elle serait aussi le nouveau sésame éducatif. Celui qui permet aux enfants d’apprendre à se comporter avec les autres.

Celui qui permet aux parents de trouver la bonne distance avec leurs enfants, et de les élever avec bienveillance. À condition de ne pas se méprendre sur le sens du mot «empathie». «C’est la volonté de comprendre l’autre de l’intérieur, tout en sachant qu’on n’y est pas», souligne Jacques Lecomte, docteur en psychologie et l’un des porte-parole de la psychologie positive en France (2). Elle suppose une proximité avec l’autre, mais aussi une distance critique. «L’empathie n’est pas la sympathie. Elle est encore moins la compassion ni la fusion émotionnelle», insiste-t-il.

L’importance de l’empathie a été validée par les avancées majeures des neurosciences. Dans les années 1990, en effet, les «neurones miroirs» ont été identifiés. Dits aussi «neurones de l’empathie», ils permettent à chacun d’adopter le point de vue d’autrui, tout en faisant le tri avec ses propres émotions. De sortir de soi-même, mais sans se perdre.

Du coup, psychologues et pédagogues y ont vu une clé de l’éducation des enfants qui apprendraient par imitation et décryptage des émotions d’autrui. La peur, la tristesse, la joie… et les réactions qu’elles suscitent seraient peu à peu cartographiées dans son cerveau grâce aux «neurones miroirs». «L’empathie donne à l’enfant une boussole intérieure, explique Daniel Favre, professeur à l’université de Montpellier (3). Par sa capacité à se projeter dans les autres, il comprend que l’on est un peu tous les mêmes, mais que chacun a aussi des divergences de réactions qu’il faut accepter.»

L’enfant naîtrait équipé pour un tel décryptage. L’admettre n’est pas sans conséquence éducative. Certains prônent dans ce domaine une révolution copernicienne, confortés par des études qui valident ce que les parents perçoivent souvent: loin d’être égoïstes, les bébés se consolent entre eux, par exemple, ou s’entraident.

Tout un courant émerge ainsi peu à peu: «On est passé d’un temps où l’enfant était considéré comme naturellement mauvais, devant être dressé selon un système de punitions/récompenses, à une époque où les adultes peuvent imaginer que l’enfant a de bonnes raisons de penser ce qu’il pense, de dire ce qu’il dit, et faire ce qu’il fait», reprend Daniel Favre.

Plus encore, si l’enfant est si perméable au comportement des autres, la question du modèle que lui donnent ses parents prend tout son relief. «Dans notre perspective, l’empathie est la base de toute relation familiale, explique ainsi Agnès Dutheil (4), qui organise des ateliers parentaux à Nantes. Nous essayons d’amener les parents à se mettre à la hauteur de leur enfant, à essayer de comprendre ses motivations, à l’écouter sans a priori, même s’ils le désapprouvent.» L’idée n’est pas de renoncer à sa position d’adulte, mais de dégonfler les tensions, le trop-plein d’émotions, en les exprimant, pour pouvoir ensuite parler plus sereinement, en ayant plus de chance d’être entendu.

Dans cette perspective, l’enfant est aussi accueilli dans sa singularité, l’écoute empathique permettant d’être au plus près de ce qu’il est réellement. «L’enfant porte en lui sa propre beauté, renchérit Catherine Schmider, coordinatrice de l’association Déclic CNV éducation (5).

Les parents sont un peu comme des jardiniers à qui on a remis une graine sans qu’ils sachent laquelle. C’est en l’observant qu’ils sauront comment en prendre soin. Trop souvent certains parents rêvent d’avoir une rose. Nous tentons de les amener, par l’écoute empathique, à comprendre qu’il vaut mieux avoir une pâquerette épanouie…» Selon elle, l’enfant peut ensuite ajuster son comportement. «Le rôle des parents est de sortir l’enfant de son brouillard émotionnel», résume Catherine Schmider. C’est à ce prix qu’il atteindra une autonomie affective.

Cette écoute à hauteur d’enfant serait aussi un précieux allié pour dénouer des conflits familiaux. «Ceux-ci naissent le plus souvent de deux émotions contradictoires, celle des parents, et celle de l’enfant, ou celles des enfants entre eux, reprend Catherine Schmider. À un certain moment, elles paraissent inconciliables. Nous les invitons à s’interroger sur ce qu’ils ressentent. C’est ce que nous appelons l’auto-empathie.»

Cette «révolution» éducative séduit aussi un nombre croissant d’enseignants. Le laboratoire d’idées SynLab, récemment primé par l’Élysée, y œuvre à travers son projet «Bâtisseurs de possibles». Florence Rizzo, sa cofondatrice, propose aux enseignants d’aider leurs élèves à développer des compétences sociales et émotionnelles.

Martine Rouffet, enseignante en CM2 à l’école Sainte-Marie de Castries (Hérault) s’est prêtée au jeu. Ses élèves ont d’abord identifié un problème: l’agressivité dans la cour de l’école. Ils ont ensuite décidé de s’y attaquer en inventant un «grand jeu où tout le monde pourrait jouer et où ils gagneraient tous ensemble». Les élèves ont finalement réalisé dans la cour un jeu de l’oie géant. «Les tensions sont retombées, raconte Martine Rouffet. Les parents sont venus me dire à quel point leur enfant avait mûri à la suite de ce projet.»

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Des initiatives innovantes

SynLab: ce «laboratoire citoyen» promeut des expériences destinées à développer les compétences émotionnelles, sociales et civiques. L’association a reçu, le 5 janvier, le label «La France s’engage» décerné par l’Élysée.www.syn-lab.fr

Les Racines de l’empathie: fondée par Mary Gordon, cette association canadienne, soutenue par l’OMS, se donne pour mission «de bâtir des sociétés humaines, pacifiques et empreintes de civisme en stimulant le développement de l’empathie chez les enfants et les adultes». Elle a essaimé dans plusieurs pays et a bénéficié à plus de 600 000 enfants. www.rootsofempathy.org

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