La Nouvelle Gazette Française. Dans le premier tome de votre série, La France Orange Mécanique, votre point de vue semblait énoncé de façon transparente. Dans la France Big Brother, les émissaires des lettres – représentants du système Big Brother- à Monsieur Moyen sont-ils représentatifs de votre pensée ou constituent-ils un moyen de dénoncer un état de fait destiné à soulever l’interrogation de votre lectorat ?
Laurent Obertone. Effectivement, c’est une manière d’interroger le public et de faire état de l’homogénéité de pensée des différents émissaires ; ces personnages sont fictifs, mais ils existent bel et bien. J’incarne ces individus afin de mettre en exergue leur façon homogène de penser, d’opter pour les mêmes axes d’intérêt. Pourtant, ces multiples intervenants ne sont pas dirigés par une organisation maîtresse tirant toutes les ficelles, il n’y a pas de donneur d’ordre ; en cela, mon ouvrage se veut anti « complotiste », dans la mesure où il n’y existe pas d’organisation globale s’accaparant la gestion de l’ensemble du groupe mais plutôt une collusion d’intérêts de ses dirigeants. Je comprends que les individus qui subissent cet état de fait puissent s’interroger et adhérer à une thèse conspirationniste, dont la facilité résulte du repos que procure l’adoption de toute solution définitive. Malgré les interrogations que peut avoir Monsieur Moyen, ses connaissances concernant Big Brother resteront limitées en lisant mon livre ; excepté le fait que ses membres agissent en faveur d’intérêts personnels très primaires, dont la portée est uniquement valable à court terme. La question à se poser est plutôt comment reconquérir le terrain abandonné à ces gens et lutter contre leur puissance de feu incroyable. C’est surtout ça le propos du livre.
La Nouvelle Gazette Française. Dans votre chapitre « Le camp des seins », vous développez longuement la réalité des rapports de séduction entre hommes et femmes, en disant notamment qu’« une femme recherche une situation sociale, un homme recherche une beauté ». Adhérez-vous aux thèses de la psychologie évolutionniste, qui accorde une large part au facteur génétique dans l’étude des rapports humains ?
Laurent Obertone. La psychologie évolutionniste est la science biologique qui a été la plus récompensée ces dernières décennies et qui a ouvert le plus de perspectives. Elle me semble clairement la façon la plus pertinente de traiter de l’être humain. A titre personnel, les auteurs comme Lorentz, Dawkins ou Hamilton me paraissent incontournables pour la compréhension de l’Homme. Mais en France, cette discipline est très peu étudiée ; on lui préfère une psychologie ontologique basée sur des études des années 1920. Dans notre pays, lorsque vous soulevez le fait que l’Homme soit régi par de tels mécanismes, ça pose problème aux gens qui contrôlent l’expression publique, ça ne cadre pas avec la manière « décente » de penser les rapports humains. Il m’a parfois été reproché de prôner le caractère inégal entre les hommes et les femmes ; chacun a ses prédispositions, ses aptitudes propres. Certains sont plus doués en certaines choses que d’autres ; c’est là le bons sens que la science nous enseigne. La psychologie évolutionniste nous apprend que toute base ontologique repose sur la nature. Pour les tenants de l’idéologie dominante, il est impossible de prétendre à la différenciation des individus, alors même que cela ne remet nullement en cause la dignité des personnes elles- mêmes.
La Nouvelle Gazette Française. Le système Big Brother concède dès l’introduction de l’ouvrage que la matérialisation de la peur collective constitue un système de manipulation globalisée par les instances étatiques. Je cite : « L’idéal pour manipuler les masses, c’est de matérialiser la peur collective, de lui donner un visage. […] Nous avons trouvé beaucoup mieux ». Selon vous, les retombées médiatiques relatives aux attaques de Charlie Hebdo s’inscrivent-elles dans ce type de phénomène d’influence généralisée ?
Laurent Obertone. Ces attaques sont le fruit d’une incompétence judiciaire flagrante, mais également d’une forme de promotion idéologique. C’est l’aboutissement de la société qui s’est mise en place depuis une décennie, qui explose aujourd’hui en plein vol sous les yeux des caméras. Big Brother est obligé de traiter ces faits car il serait trop violent de les ignorer, alors il essaie d’en retourner le sens et d’agir sur les forces d’appréciations – c’est-à-dire jouer sur les qualités visibles des faits. Par une médiatisation délirante autour du « pas d’amalgame », il créé un esprit de masse en transformant l’événement en une sorte de campagne anti-islamophobie géante. Le gros problème de Big Brother est qu’il n’a plus d’autre arme que cette indignation permanente. Cependant, à chaque utilisation elle perd de sa force, au même titre que dans une campagne publicitaire, lorsque vous utilisez toujours le même produit, il perd de sa valeur. Cette méthode fonctionne encore, par exemple la popularité des individus directement responsables des faits a augmenté, mais c’est une parenthèse très momentanée. Par contre, cet événement est l’occasion d’observer comment procède Big Brother : nul besoin pour lui d’inventer des faits, il convient simplement de les tourner à son avantage, c’est à dire sous l’angle de son utopie. Et surtout, interdire à Monsieur Moyen de s’interroger sur cette utopie : si le vivre-ensemble a échoué, c’est qu’il en faut davantage !
La Nouvelle Gazette Française. Vous mettez un certain nombre d’opinions dans la bouche des responsables du « parti intérieur », dans l’objectif de dévoiler le mode de pensée des membres du « système », entièrement basé sur le rapport de force et la recherche du pouvoir. Doit-on en déduire que ce que vous dénoncez n’est pas tant ce mode de pensée, qui correspond somme toute à la loi de la nature, mais une certaine ingénuité des « Monsieur Moyen » qui pêchent par naïveté en refusant de voir le monde tel qu’il est ?
Laurent Obertone. C’est tout à fait ça. Lorsqu’on connaît la psychologie évolutionniste, on ne peut en vouloir à l’homme de chercher le pouvoir. Il s’agit en fait d’une critique assez directe de Monsieur Moyen, car ce parti-prenant du système en est le contributeur direct. Sa passivité, sa docilité, son acceptation rendent Big Brother possible. Il consomme, il vote, il reconduit de toutes les manières possibles ce système, cet état de fait. Avec sa vie confortable, il ne prendra pas le risque d’exprimer une pensée divergente, de peur d’être exclu du groupe. Étape par étape, il a été habitué à accepter ; Monsieur Moyen est tellement investi dans la forme actuelle de la société qu’il a tout à perdre à s’en détacher. Il est donc le premier coupable, le premier à mettre en accusation. Tant qu’il y aura un tel déséquilibre entre ce système de terreur et le confort, le bien être à court terme de Monsieur Moyen, il y a très peu de chance pour qu’il se passe quelque chose.
La Nouvelle Gazette Française. Dans la même veine vous dénoncez régulièrement une compréhension dévoyée de la charité, en disant notamment que « la charité est la forme la plus sournoise de l’égoïsme », ou encore que « il y n’y a pas grande différence entre un kamikaze qui s’écrase sur le pont d’un porte-avion et un médecin qui tente de soigner Ebola au milieu d’un conflit ethnique ». Pensez vous, comme semble également le sous-entendre Michel Houellebecq dans son livre Soumission, qu’une certaine forme de pensée politique considérant que la moralité dispense de l’efficacité soit inapte au combat politique ?
Laurent Obertone. Cela dépend. Une certaine forme de l’Église participe beaucoup à la passivité et à l’acceptation de Monsieur Moyen. Alors que l’Église devrait s’inscrire dans la durée et s’imposer à son époque, elle a fâcheusement tendance à s’y soumettre avec un empressement assez effroyable. De par ses valeurs d’abnégation et de sacrifice, on pourrait attendre une opposition féroce de la part de ses corps constituant à tout ce qui est en train de se passer, or ce n’est absolument pas le cas. Au contraire, toutes ces valeurs sont reprises dans le sens du progressisme pour les transformer en une forme de charité humanitaire internationale non dirigée dans le sens des intérêts des peuples chrétiens historiques. Il existe cependant beaucoup de chrétiens défendant les valeurs traditionnelles, populaires, éternelles et durables de l’Église d’origine. Ceux-ci ne transigent pas avec les modes morales du moment et les valeurs de Big Brother. En revanche, la haute hiérarchie de l’Église française m’y semble très largement soumise.
La Nouvelle Gazette Française. Vous soulevez le caractère progressiste du système Big Brother par un procédé d’accumulation accusatoire exposant les velléités évolutionnistes de ses membres (2). Dernier échelon de cette graduation à laquelle aspire Big Brother, quel est votre sentiment sur la portée effective et l’avenir du trans-humanisme dans notre société ?
Laurent Obertone. Je pense que le trans-humanisme a un grand avenir ; les mentalités y sont fortement préparées, notamment dans les milieux hyper urbains privilégiés. Toute l’idéologie qui consiste à nier la différence entre les sexes, la filiation, la famille, montre qu’on nous y prédispose. Preuve en est que dans ces milieux, la Gestation Pour Autrui, le commerce de l’embryon, etc…, ne posent pas de problèmes d’éthique ; cette négation du matériel génétique, qui prédispose naturellement chaque individu par l’hérédité, prête à penser que le trans-humanisme a un très grand avenir au sein de notre société. Même s’il n’est pas encore formalisé, il existe déjà de fait car les mentalités sont préparées à sa réception et que les individus, bien qu’assez peu informés sur le sujet, en récitent les principaux énoncés.
La Nouvelle Gazette Française. Quel traitement médiatique a été réservé à votre ouvrage ? Il semblerait que l’Express n’ait pas réellement apprécié votre roman, qu’il a qualifié de « pamphlet réactionnaire et sexiste » (1) …
Laurent Obertone. En réalité, exceptée cette critique négative de l’Express, aucune opinion n’a été émise parmi les grands médias ; seul Valeurs Actuelles a fait paraître un entretien concernant La France Big Brother. En revanche, les médias alternatifs et le relais sur les réseaux sociaux, ont permis de le faire connaître. Tous ces intermédiaires, qui ne sont pas considérés comme des médias par Big Brother, ont permis le succès du livre. Alors qu’autrefois il suffisait pour tuer un ouvrage de ne pas en parler, il y a aujourd’hui de plus en plus de citoyens éveillés souhaitant s’informer par eux-mêmes en utilisant des moyens alternatifs. Ce mouvement me semble irréversible et très positif pour l’avenir.
Propos recueillis par Aloysia Biessy et Jean-Louis De Morcourt
(1) « La France Big Brother », le pamphlet réactionnaire et sexiste de Laurent Obertone », article du 14 janvier 2015 paru dans l’Express, rédigé par Adrien Sénécat.
(2) [Je cite : « Le passage du polythéisme au monothéisme était un premier pas vers l’adoration du maître. Il y a eu la société, puis l’agriculture, puis l’idée d’égalité, puis l’amour fraternel, puis l’idée de bonheur, l’humanisme, les droits de l’Homme, puis le marxisme, puis le progrès, puis le socialisme, l’utopiste, le communisme, le totalitarisme, le libertarisme, la technologie et la médecine moderne, puis mai 68, l’antiracisme, la consommation, l’émancipation, l’humanitarisme, le pacifisme, le mondialisme, l’universalisme, le transhumanisme »]
Laurent Obertone, La France Big Brother, 2014, éditions RING.
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