Une grande partie de l'exercice des thérapeutes consiste à débusquer les peurs invisibles et à en faire prendre conscience les patients concernés. Crédit photo : Flickr/Polina Sergeeva
En finir avec ces peurs qui nous gâchent la vie
Par
Pascale Senk - le 10/11/2011
Bien sûr, il y a les grandes peurs, celles avec lesquelles nous naissons et qui sont ancrées dans notre cerveau limbique : spectre de la mort, de la douleur ou des animaux féroces… Existent aussi les craintes contextuelles. Actuellement, c'est la peur du chômage qui étreint 66 % de Français.
Et puis il y a les peurs invisibles, celles que nous ne sentons pas, et qui pourtant gouvernent notre vie, à notre insu. Discrètes, indirectes, superposées à d'autres émotions, elles surprennent par leur capacité de travestissement celui qui en était porteur et qui, télécommandé par elles, ne cessait de faire fausse route. Ainsi ce mari râleur, toujours en train de reprocher des vétilles à sa compagne et de manifester son irritabilité. Sa colère lui sert de paravent pour ne pas laisser transparaître son angoisse de vieillir, et surtout de vieillir seul. Au lieu d'être proche de cette épouse aimée qu'il craint de perdre, il fait tout pour la rejeter.
Voilà ce que la psychologue américaine Brenda Shoshanna appelle «vivre en mode peur» : «Vous menez une existence étriquée, d'une incroyable rigidité. Il faut toujours que rien ne bouge, que tout réponde à vos attentes ou à vos exigences personnelles. Vous finissez par redouter d'abandonner quoi que ce soit, et vous vous accrochez aux croyances, habitudes, règles, programmes et recommandations qui ne correspondent pas forcément aux besoins du jour», décrit-elle dans son livre Vivre sans peur, paru cette semaine (Ed. Belfond).
«Syndrome d'imposture»
Psychanalystes et psychothérapeutes sont en effet aux premières loges pour avoir ce discernement sur nos craintes invisibles. Une grande partie de leur clinique consiste à les débusquer et, étape déterminante de la thérapie, à en faire prendre conscience les patients concernés. «On rencontre de nombreuses personnes qui, tout simplement, ne ressentent pas la peur», constate Laurie Hawkes, psychothérapeute et auteur de La Peur de l'autre (Ed. Eyrolles). Parmi celles-ci, les bienheureux qui bénéficient d'un tempérament placide et d'un seuil de sensibilité aux alarmes très faible. Mais aussi celles qui ont remplacé l'émotion de peur par une autre, développant donc un «sentiment parasite» et incapables d'aller mieux car elles ne peuvent pas vraiment cibler leur problème.
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Et Laurie Hawkes de décrire ce patient qui ne va jamais dans les soirées auxquelles il est pourtant invité. «J'ai peur de parler aux gens», résume-t-il. «En réalité, après avoir décrypté son malaise, nous avons découvert qu'il a surtout peur d'avoir peur… Il craint de rougir, d'avoir une crise de panique en public , explique la psychothérapeute. Et c'est cela qu'il faut explorer.» Parmi les hantises invisibles les plus récurrentes actuellement : la peur d'être illégitime, ce qu'on appelle le «syndrome d'imposture» quand la personne imagine que ceux qui la connaissent vont découvrir ses insuffisances. L'incapacité à achever ce qu'on a commencé relève souvent de cette même motivation inconsciente. La peur de réussir est aussi très subtile, et a souvent été distillée par une culture familiale où l'on disait à l'enfant : «Cache ton bonheur, sinon tu seras jalousé.» Elle-même presque imperceptible, cette peur de réussir repose sur la hantise d'avoir plus de responsabilités, et de faire monter la barre de ses exigences encore plus haut.
Recréer des circuits auto-apaisants
«Mais l'une des craintes les plus difficiles à discerner, c'est la peur de l'intimité, estime Laurie Hawkes. Quelqu'un qui vous dit : “je suis un grand rebelle”, ou “j'aime être libre”, peut être mu par différentes motivations : ce peut être une réelle aisance dans la solitude, mais ce peut être aussi une crainte invalidante : peur d'être envahi par un autre, peur d'être trop proche et de se dévoiler…» À l'heure où la norme est notamment de vivre en couple, la psychothérapeute s'oblige à faire mûrir et s'exprimer chez ses patients le désir le plus authentique possible.
Car c'est dans la relation thérapeutique elle-même que peuvent être neutralisées toutes ces frousses. Une fois celles-ci mises au jour, le patient peut les domestiquer en les comprenant mieux. Surtout, il fait l'expérience d'une nouvelle manière d'être avec son psychothérapeute : «Le contact avec un “bon autre”, un autre apaisant et contenant mais qui vous laisse autonome peut vraiment aider le traqueux à recréer des circuits auto-apaisants », affirme Laurie Hawkes. Cependant, inutile d'imaginer qu'on puisse se débarrasser définitivement de ses craintes. «Ce serait même dangereux, ajoute la psychothérapeute : les gens qui n'ont pas peur… font vraiment peur !»
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Pascale Senk
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