Atlantico : Une équipe de chercheurs en psychologie a cherché à déterminer s'il existait une corrélation entre le caractère des habitants d'une ville et le quartier qu'ils choisissent d'habiter. Ils ont pu constater au travers d'une vaste étude menée à Londres que le centre est privilégié par les personnalités extraverties, plutôt stables sur le plan émotionnel, et ouvertes à de nouvelles expériences. Outre les facteurs sociaux, le choix du lieu de vie reflèterait ce que nous sommes intérieurement ?
Perla Serfaty-Garzon : Ce choix reflète notre psychologie, mais partiellement. On nous parle de gens, principalement jeunes,qui vivraient en centre-ville parce qu'ils sont extravertis et naturellement ouverts aux nouveautés et opportunités qui peuvent s'y présenter. Mais nous savons que plus les personnes avancent en âge, plus elles ont besoin de vivre dans un environnement offrant une multiplicité de services, qu'il s'agisse de cliniques, de pharmacies ou de petits commerces. Le facteur déterminant n'est donc pas tant l'extraversion ou la stabilité émotionnelle, que la période de la vie.
Bien souvent dans les centres urbains européens, les personnes âgées sont incitées à en partir : à Paris, les personnes âgées ont été chassées autant que faire se peut du quartier des Halles, pour laisser place à un centre commercial et à des habitants plus jeunes. Juste à côté, la rue Montorgueil, qui s'est considérablement gentrifiée, reste tout de même habitée par beaucoup de personnes âgées, car par définition, elles ont besoin de nombreux services dans leur environnement immédiat. C'est pourquoi il n'est pas possible d'isoler aussi simplement les facteurs qui nous amènent à vivre dans un quartier donné, même si effectivement, le jeunisme et le dynamisme qui frappent certains quartiers réhabilités participent d'une forme d'extraversion. Ce que je décris se vérifie aussi dans certaines friches industrielles, ou dans des quartiers anciennement habités par des artisans.
A l'inverse, les quartiers les plus éloignés du centre de Londres semblent être privilégiés par des personnes moins extraverties, et moins ouvertes à l'inconnu. Faut-il en déduire que la banlieue est faite pour les gens "ennuyeux", conservateurs et suspicieux à l'égard de tout ce qui pourrait être inconnu ? A certains égards, ce cliché correspond-il à une forme de réalité psychologique ?
Ce serait faire fi de tout ce que la sociologie nous apprend. Encore une fois, le choix de l'habitat est conditionné par les étapes de la vie. Une personne de 20 à 35 qui vit rue Montorgueuil, une fois qu'elle aura des enfants, décidera très probablement de déménager en banlieue, car ce cadre-là est plus propice à l'éducation, pour des raisons aussi bien économiques que pratiques. Le problème de cette étude est qu'elle donne à voir la psychologie des gens comme quelque chose de statique, qui les empêcherait d'évoluer, or rien n'interdit qu'une personne extravertie quitte son centre-ville pour élever ses enfants en banlieue, puis passe ses vieux jours dans la même province que ses grands-parents. J'ajouterai que la reproduction du statut parental joue aussi énormément dans le choix du lieu de vie, bien plus que le profil psychologique : un jeune homme né dans le 16e arrondissement de Paris pourra certes s'installer à Pigalle une fois arrivé à la vingtaine, mais il y a fort à parier qu'aux alentours de 35 ans ils reviennent s'installer dans le quartier qui l'a vu grandir.
Le profil psychologique des personnes ne change-t-il pas aussi en fonction du lieu de vie ?
La vie intérieure, l'identité, la personnalité évoluent tout au long d'une vie. Mais la corrélation entre le choix du quartier et l'origine sociale est très forte, et dans ce cas ce n'est pas la psychologie qui est en cause. Et c'est sans compter la capacité financière et la période de l'existence des personnes. La banlieue par exemple, bien souvent, ne correspond qu'à un temps de l'existence, et non à un profil type. Une fois les enfants partis, les banlieusards sont souvent amenés à se demander s'ils restent ou non.
L'amabilité est un trait de caractère peu présent dans le centre de Londres, d'après cette étude, mais qui se retrouve de manière générale dans toute la banlieue. Comment cela s'explique-t-il ?
C'est surtout parce que dans le centre-ville les gens sont sur-stimulés par rapport aux habitants de la banlieue. Entre deux jeunes familles, l'une vivant dans paris et l'autre en banlieue, vous verrez qu'elles ne partagent pas du tout le même niveau de stress, car le cadre et l'organisation ne sont pas les mêmes. La banlieue, traditionnellement, est associée à la notion de calme. Dans ces circonstances, on est bien plus porté à l'amabilité avec ses voisins et les commerçants.
Ce qui se vérifie pour Londres se vérifie-t-il ailleurs ? Une autre structure de ville peut-elle avoir des conséquences différentes ?
Les grandes villes européennes ont globalement les mêmes structures, et connaissent toutes des phénomènes de gentrification comparables. Cependant nous ne disposons pas d'informations similaires à cette étude pour d'autres villes. De plus, dans un quartier à niveau de vie plutôt bas, il peut se trouver une certaine convivialité qui fait augmenter le sentiment de satisfaction des habitants. Des études ont montré que des quartiers populaires peu confortables étaient par la suite regrettés par leurs habitants qui partaient s'installer dans des banlieues plus confortables, mais plus anonymes.