S’il est un livre qui sort du commun dans le rayon poker des librairies, c’est ce livre. Publié en France chez Fantaisium dans un format lui-même pas banal (plus proche du carré que de la forme rectangulaire, plus habituelle), cet ouvrage proposé par Alan N. Schoonmaker a effectivement de quoi surprendre.
L’auteur est présenté comme un psychologue sur la quatrième de couverture, et comme un psychanalyste par le magasine Card Player-Poker Magazine où il officie en qualité d’auteur d’articles orientés psychologie. Qu’il soit l’un ou l’autre n’est pas très clair mais confirme que ce livre n’est pas un livre technique sur le poker, ni un livre traitant de mathématiques ou de stratégie, mais bien un manuel de psychologie appliquée aux joueurs de poker. Pour lever le dernier doute, le sous-titre du livre sonne comme une énième confirmation : « Prenez l’avantage psychologique ». Vous ne trouverez dans les 330 pages de ce volume aucune carte, aucun flop, ni aucune grille statistique.
Dans un premier temps, le lecteur est sans doute rassuré d’apprendre que l’auteur est plutôt un expert de la psychologie qu’un expert du poker parce que son nom, autour des tables, est littéralement inconnu. Néanmoins, les joueurs de poker convaincus d’avoir assez d’acquis techniques au poker pour affronter d’autres joueurs mais conscients d’avoir des failles pour appliquer ces acquis, notamment des problèmes de concentration, de tilt, d’apaisement et de recul vis-à-vis des aléas capricieux du court terme, chercheront davantage les écrits d’un psychologue que d’un joueur de poker. Evidemment, le livre a la lucidité (commerciale ?) de préciser qu’en plus de sa formation en psychologie, l’auteur est également joueur de poker. A priori, des conditions sont réunies pour faire du livre un bon moment de lecture et une bonne école pour « prendre l’avantage psychologique » sur ses adversaires.
Le lecteur cherche des clés de compréhension, cherche à savoir pourquoi lui est sujet au tilt après un ou deux bad beats quand ses voisins de table semblent encaisser cette variance sans broncher. Il cherche à savoir comment la science de la psychologie explique que les réactions en face d’une même situation varient d’une personne à une autre. Et plus encore qu’une explication à tous ces problèmes, il veut des solutions pour les résoudre ! C’est là que le bât-blesse. Car le livre ne fournit objectivement aucune de ces clés. Plutôt que d’expliquer les faits, il se contente d’en faire l’inventaire comme en témoigne les titres des chapitres, débutant tous par la formule « les gagnants » avant de dresser des constats :
Les gagnants :
- Sont plus motivés et plus disciplinés
- Font de bons compromis
- Gèrent bien les risques et les informations
- Visent les résultats à long terme
- Se focalisent sur le pouvoir
- Etc.
Or, le lecteur qui se tourne vers un livre traitant de psychologie est réputé être déjà un joueur de poker plus ou moins accompli. Il a déjà lu des livres techniques, il s’est déjà confronté à la rude réalité des tables ; il est effectivement acquis qu’on ne se tourne vers la littérature psychologique qu’après s’être hélas rendu compte que nos acquis techniques ne suffisaient pas à nous rendre gagnant. Précisément à cause des éternels problèmes de concentration, de tilt, et de gestion du stress et de la pression. L’heureux joueur que la vie a naturellement doté de ces capacités à gérer les situations de stress, s’il s’en sort correctement au poker en ayant acquis un bagage technique, ne lira pas un ouvrage que l’on présente comme capable de nous faire « prendre l’avantage psychologique ». Puisque par définition, il n’a pas de carence de ce côté.
Pour le joueur qui a plus de difficultés avec l’aspect psychologique dans le poker, qui est sujet au tilt, qui ne sait plus comment contrôler ses émotions, celui-là sait que cette situation est problématique ; il a ciblé ses failles. Son but à présent –et lorsqu’il investit dans un livre comme celui-là- ce n’est pas que l’auteur lui rappelle quelles sont les difficultés psychologiques (il le sait déjà !) mais comment parvenir à les dompter. « Les joueurs de poker sont des gens différents » dresse un état des lieux des capacités psychologiques qu’il faut impérativement avoir pour aspirer à la victoire au poker. Le livre dit que ceux qui gagnent sont plus concentrés, plus apaisés, moins stressés, ont une vision de long terme, font du sport, etc. Certes, le constat est bon, mais le lecteur le sait déjà …
Il le sait parce qu’il connait déjà le poker.
Il sait parce qu’il a déjà joué au poker.
Il sait parce qu’en ayant déjà joué, il a constaté ses problèmes.
Il n’a pas besoin qu’un psychologue lui dise que l’on se concentre davantage sur sa partie lorsqu’on évite de se laisser distraire par les filles qui passent, la musique dans les oreilles, le match de foot à la télévision, un pull en laine qui gratte dans le dos, des discussions sur la table voisine ; toutes ces évidences sont déjà flagrantes pour lui. Ce dont il a besoin lorsqu’il sollicite les écrits d’un psychologue, c’est qu’il lui fournisse les clés pour parvenir à acquérir cette capacité de concentration. Qu’il lui explique par quels mécanismes un cerveau se laisse distraire et avec quelles méthodes on peut l’en empêcher. Or, ce livre ne fait pas ce travail.
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Certains passages laissent perplexe. Notamment ceux où l’auteur s’engage sur le terrain technique.
En proposant au lecteur des schémas de gestion d’un coup ; si vous jouez contre un adversaire agressif, checkez votre main forte pour le laisser miser en premier et faire un check-raise. Vraiment, monsieur Schoonmaker ? Pensez-vous réellement que votre lecteur n’est pas déjà acquis à ces techniques qui sont parmi les plus standards au poker ? De même lorsqu’il explique à son lecteur qui entre dans un coup qu’il faut envisager celui-ci « à la façon des échecs », c’est-à-dire en ayant déjà un plan en tête pour chaque street. L’auteur cherche une caution chez David Sklansky qu’il cite plusieurs fois. Là encore, le propos a de quoi étonner. Sont-ce là des conseils techniques ou psychologiques ? S’ils sont techniques, que font-ils dans un livre sur la psychologie ? S’ils sont psychologiques, en quoi aident-ils le lecteur à devenir un meilleur joueur en aiguisant sa psychologie ?
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Le livre regorge de notes de bas de pages qui renvoient vers d’autres livres ou vers des articles. La plupart datent du début des années 2000 voire des années 90. Nous avons même des citations de textes des années 80. Ce n’est certes pas suffisant pour nier leurs éventuelles qualités, mais le lecteur a de quoi s’étonner que l’auteur ne trouve pas des références plus récentes, c’est-à-dire aussi plus adaptées au poker tel qu’il se joue actuellement. Depuis dix ou vingt ans, tant de choses se sont produites dans le poker, tant de joueurs ont écrits y compris sur la psychologie. De même, la psychologie, depuis dix ou vingt ans, n’a-t-elle pas évolué, découvert de nouvelles pistes, obtenu de nouvelles réponses ? Il est tout de même surprenant que Alan Schoonmaker n’ai rien trouvé de notable dans tout ce que la psychologie et le poker ont fourni ces dernières années au point d’aller chercher ses références aussi loin dans le temps.
Le livre (ou l’auteur !) gagnerait à se « mettre à jour » pour proposer un contenu plus en phase avec les réalités actuelles.
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Comme tout n’est jamais tout noir ou tout blanc, il y a certes dans ce livre quelques éléments positifs. Notamment en fin de chaque chapitre où il est offert au lecteur la possibilité de s’évaluer en répondant à une question à choix multiples, à la façon des sondages. L’auteur pose une question, par exemple :
« Quand je joue au poker, je mets toujours l’accent sur la logique. Je ne me fie jamais à mes seules intuitions »
Ce à quoi le lecteur est invité à choisir objectivement entre plusieurs réponses allant de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord ». Bien que la démarche soit faiblarde, elle a sans doute le mérite de titiller la curiosité du lecteur et l’inciter, sinon à se poser certaines questions, au moins à se les poser d’une façon qui va mieux l’aider à creuser une réponse. Et en trouvant cette réponse, éventuellement trouver de quoi de se remettre en question. C’est à peu près tout ce que propose ce livre, mais c’est bien insuffisant et ne justifie pas l’achat en librairie.
Jonathan Brunolier
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Publié par Jonathan Brunolier
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