1. Le thème de la matinale c’est le « burn-out », nous dit un animateur de radio et, pour nous l’expliquer, il a en ligne un psychologue du travail. Les auditeurs sont invités à réagir. Au bout d’une heure, aucune réaction. Manifestement, le thème n’est pas radiophonique en ce samedi matin. Heureusement, parce que les explications du psychologue se révèlent être, à mes yeux, des banalités classiques et simplistes sur le mode « l’employeur est un harceleur qui vous veut du mal » et aussi, « arriver tôt à son travail et partir tard, c’est risquer le burn-out». On trouvera aussi des psychologues pour dire qu’arriver tard et partir tôt, c’est être en bonne santé quand d’autres diront le contraire. Les normaux seraient ceux qui arrivent à l’heure et repartent à l’heure, si possible, un code du travail dans la main. Il est probable cependant que le travailleur en bonne santé ne subordonne pas la qualité de sa vie au travail au réglage de sa montre et que la fainéantise ne soit vraiment ni un moyen de santé, ni un objectif de vie au travail.
2. La souffrance au travail est à la mode, à tel point qu’elle en devient banale et, paradoxalement, fait sans doute du tort aux travailleurs véritablement agressés en ce qu’elle noie leur souffrance particulière dans le torrent surfait de la souffrance de tous. Il fut pourtant un temps où être fatigué d’avoir travaillé, surtout d’avoir un peu trop travaillé, était perçu comme une qualité. Une certaine vison de la santé au travail voudrait aujourd’hui affirmer qu’être fatigué, ce n’est pas normal, que travailler un peu plus que la norme, c’est maladif et délétère pour la santé. Qu’un salarié soit impliqué dans son travail un peu plus que ses collègues et voilà le management suspecté. Il semble que pour certains psychologues, la question de la santé au travail relève exclusivement d’un rapport de force entre employeurs exploiteurs, d’une part, et salariés exploités, d’autre part. La souffrance serait alors inéluctable, universelle et perverse. Mais une telle vision est peu crédible venant de ces psychologues car si leur boulot c’est de traquer la souffrance, ils ont intérêt à la cultiver si ce n’est l’inventer : en cultivant la vision, ils cultivent la souffrance.
3. S’il existait autant de cas de burn-out et de harcèlement que ce que l’on veut mettre en avant, les sorties de boulot seraient des ballets d’ambulances. Cela m’intéresse donc un peu de savoir ce qu’est le burn-out. Déjà, utiliser une expression anglaise pour désigner un phénomène est une façon d’impressionner, souvent ce n’est pas sérieux justement parce que cela fait sérieux. Plutôt que de dire qu’un travailleur est épuisé ou, si l’on veut, consumé du fait de son travail, on dit qu’il souffre de burn-out. L’expression permet à peine de cacher l’alibi quand on sait que l’on peut aussi définir le burn-out comme un élément typique du commerce plus général et attracteur de la souffrance au travail. Je dis « commerce » pour ne pas impressionner, sinon, j’aurais dit « business ». Car s’il est vrai que la souffrance au travail, en général, et le burn-out en particulier, sont une réalité sociale, il n’est pas moins vrai que ce qui s’y trame autour tend à en faire un fonds de commerce, une bulle alimentée par les phantasmes des uns et des autres. Si dans cet artifice certains y trouvent leur compte, c’est certainement sans les principaux concernés, à savoir les travailleurs.
4. Il existe une incompréhension du public en général, et des entreprises en particulier, sur le rôle d’un psychologue du travail. Ceci est dû à un positionnement douteux de la profession des psychologues du travail face à l’entreprise. Il existe en effet deux approches principales de l’entreprise par les psychologues. La première consiste, avec la bénédiction de l’entreprise, à renforcer les sujets pour qu’ils supportent mieux l’agression du management ; la seconde consiste – pour le coup en se faisant mal voir de l’entreprise – à constater que si les travailleurs sont en souffrance, alors il faudrait changer l’organisation. Dans cette seconde approche, on espère de l’entreprise qu’elle paie pour s’entendre dire qu’il faut qu’elle disparaisse. Dans la première approche, on attend du sujet qu’il fasse de la culture psychique pour supporter le boulot comme le soldat fait de la culture physique pour être plus fort au combat. Bref, c’est soit Maso, soit Rambo.
5. L’approche Maso comme l’approche Rambo sont illusoires. Elles sont certes réalistes du point de vue commercial puisque des entreprises paient pour cela, mais irréalistes du point de vue de la santé au travail. Dans les deux cas, le psychologue du travail se fait illusionniste. S’il est sincère - cela arrive souvent - il se fait illusion. Le psychologue du travail a bien entendu toute sa place en entreprise alors que l’illusionniste, en aucune façon, ne doit faire illusion dans un tel contexte. En général, il ne le fait pas. Le problème sans doute est que, du coup, peu de psychologues peuvent entrer dans l’entreprise puisque la confusion est ancrée dans la tête des managers. Il appartient alors aux psychologues du travail de se faire reconnaître comme tels par les entreprises. C’est donc quoi un psychologue du travail ? On peut répondre que le psychologue du travail c’est celui qui soigne le travail quand le travail ne va pas bien. On peut supposer que si, par exemple, le burn-out est une maladie du travail, le boulot du psychologue c’est de soigner le travail pour que ça ne soit plus une maladie. Ce n’est donc pas le burn-out qu’il va soigner, ni même directement le sujet atteint, c’est le travail, dans toute sa splendeur ou dans toute son horreur, selon le cas… mais ce faisant, c’est bien au burn-out qu’il s’attaque.
6. Le travail n’est pas ou ne devrait pas être abordé par les psychologues par le biais du plaisir ou de la souffrance mais par celui de nécessité vitale et sociale. Il est nécessaire de travailler et, qu’on y trouve du plaisir, tant mieux, qu’on y souffre un peu, tant pis, mais d’une certaine façon, cette souffrance, c’est ce qui pousse à vouloir améliorer la situation. Il y a peut-être le cas de celui qui trouve tellement de plaisir qu’il en meurt, il y a plus souvent le cas de celui qui en souffre tellement qu’il se tue. De nécessité vitale, le travail se transforme en piège mortel. Les enjeux alors semblent dépasser la psychologie du travail et les psychologues ne peuvent que s’associer à d’autres professionnels dans la dénonciation. Ils ne peuvent pas beaucoup plus. Sans doute existe-t-il des métiers qui ont pour fonction de s’attaquer aux enjeux du travail. Ce sont par exemple, les métiers de la politique, du syndicalisme, de la philosophie. Mais le métier de psychologue du travail, c’est de s’attaquer au travail sur le terrain et non pas à ses enjeux idéologiques. Quand un psychologue du travail dénonce une idéologie, un style de management, il fait œuvre de citoyen engagé, c'est bien, c'est nécessaire, c'est son rôle. Mais il ne fait pas de la psychologie du travail si on accepte l’idée que la psychologie du travail, c’est mettre en œuvre à l’intention des travailleurs des contextes de travail sur leur travail : ceci est de l’ordre du développement et non pas de l’apitoiement.