(AFP) - Boire de l'alcool fait-il se sentir beau ? Le laboratoire de psychologie de Grenoble, pour s'être penché très sérieusement sur la question, a reçu jeudi à Harvard un "Ig Nobel", un prix récompensant les travaux de recherche qui "font rire puis réfléchir".
L'étude en question, publiée en mai 2012 dans le British Journal of Psychology, avait montré que plus on boit d'alcool, plus on se trouve séduisant, cette meilleure perception de soi n'étant pas due aux effets pharmacologiques de l'alcool mais à un effet placebo.
"En psychologie, aucun Français n'avait encore reçu d'Ig Nobel, ça nous a bien fait rire quand on a appris la nouvelle", a réagi Laurent Bègue, directeur du laboratoire inter-universitaire de psychologie (Lip) de Grenoble.
Créés en 1991 par le magazine "Annals of Improbable Research", les Ig Nobel (prononcer "ignoble" à l'anglaise) sont remis chaque année par de vrais lauréats du prix Nobel lors d'une cérémonie décalée organisée dans la prestigieuse université américaine.
Dernièrement, le prix avait notamment été décerné à une équipe de biologistes ayant étudié le rôle de la fellation chez les chauves-souris, ou à des chercheurs français qui avaient expliqué aux médecins qui pratiquent des coloscopies comment réduire les risques d'explosion de leurs patients.
Intitulée "Beauty is in the eye of the beer holder" ("La beauté est dans les yeux du buveur de bière"), l'expérience du Lip avait été réalisée à Grenoble en partenariat avec les Universités de Paris-Descartes, Paris-VIII, et l'Université d'Etat de l'Ohio aux Etats-Unis.
Les chercheurs avaient d'abord approché 19 consommateurs dans un bar de Grenoble et les avaient invités à noter sur une échelle de 1 à 7 à quel point ils s'estimaient séduisants, intelligents, originaux et drôles. Leur taux d'alcoolémie était ensuite mesuré par éthylomètre. Ils en avaient conclu que plus les personnes présentaient un taux d'alcoolémie élevé et plus elles se sentaient séduisantes.
De vraies questions
Dans un deuxième temps, 94 hommes recrutés par petite annonce dans le quotidien régional Dauphiné Libéré, avaient été invités en laboratoire à tester une boisson pour une société factice, baptisée Stataliment. Une partie des participants se voyaient servir une boisson alcoolisée, les autres une boisson non alcoolisée, sans forcément le savoir.
Ainsi, certaines personnes avaient ingéré à leur insu des doses d'alcool équivalentes à 1 g/l de sang, alors que d'autres pensaient boire de l'alcool alors qu'elles consommaient un simple jus de fruits.
Les buveurs étaient ensuite soumis au même type d'évaluation que dans la première expérience. Et à l'arrivée, ce sont les personnes qui croyaient avoir bu de l'alcool, qu'elles en aient réellement bu ou non, qui s'estimaient les plus séduisantes. En revanche, celles qui avaient bu de l'alcool sans le savoir ne se considéraient pas plus séduisantes.
"Cela peut sembler anecdotique mais ça soulève en réalité de vraies questions de recherche", explique Laurent Bègue. L'étude a ainsi montré qu'on ne peut pas "réduire l'alcool à son aspect pharmacologique", selon lui.
Elle peut aussi permettre de mieux cibler les messages de prévention sur les dangers de l'alcoolisation excessive. "Tout le monde croît que l'alcool désinhibe, augmente l'assurance. Lorsqu'on met en cause ces croyances, ça a des conséquences sur le consommateur", note M. Bègue.
Son laboratoire, qui compte 30 enseignants chercheurs et 20 doctorants répartis entre Grenoble et Chambéry, est friand de ce type d'expériences qui permet de fonder la psychologie sur des données quantitatives.
Récemment, il a ainsi montré, via une expérience réunissant 70 "cobayes", que les jeux vidéo violents rendaient agressifs et que cette agressivité augmentait avec le temps.
D'autres études portent sur l'effet des préjugés sur les performances cognitives, sur le rôle de la méditation dans la tolérance à la douleur ou sur la relation entre les drogues et la violence.
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