1Par une approche pluridisciplinaire mêlant psychologie, sociologie et sciences de l’éducation, l’ouvrage de Bertrand Bergier et Ginette Francequin entend revenir sur des parcours atypiques d’élèves « multiredoublants » devenus « superdiplômés ».
- 1 Bourdieu Pierre, « L’école conservatrice. Les inégalités devant l'école et devant la culture », Re (...)
- 2 Lahire Bernard, « Les raisons de l'improbable : les formes populaires de la réussite à l'école élé (...)
- 3 Les auteurs rappellent dans leur premier chapitre qu’en France, en 2009-2010, parmi les étudiants (...)
2Ces superlatifs, accrocheurs, désignent plus précisément des étudiants ou anciens étudiants ayant redoublé deux fois ou plus entre la maternelle et le bac, et / ou ayant été orientés vers l’enseignement professionnel, qui ont obtenu au minimum un diplôme de second cycle de l’enseignement supérieur (bac + 4) au terme de leur formation initiale. Autrement dit, après l’intérêt des chercheurs en sciences humaines et sociales pour l’école conservatrice1, et l’étude des parcours de réussite atypiques de jeunes issus de milieux populaires2, Bertrand Bergier et Ginette Francequin proposent de revenir sur une population « quantitativement négligeable »3 certes, mais dont l’itinéraire scolaire en dents de scie constitue une entrée intéressante pour questionner, d’une part, l’orientation au sein de l’institution scolaire, et d’autre part, les types de ressources et manières de mobiliser celles-ci pour réajuster ces parcours.
5Dans un second temps, les auteurs rappellent que si ces parcours atypiques sont observables c’est parce que l’institution scolaire les permet (chap. 8 et 9). En effet, ces itinéraires atypiques se construisent à l’aide de structures marginales mais faisant partie néanmoins du système scolaire comme les maisons familiales rurales, les classes passerelles, ou bien encore les équivalences de diplôme comme le DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) pour le baccalauréat par exemple. Si l’institution scolaire engendre une « relégation institutionnalisée » par le jeu des filières, elle permet également pour de rares exceptions des « chemins de seconde chance ».
6Enfin, dans un troisième temps, Bertrand Bergier et Ginette Francequin vont se concentrer sur les attitudes et les ressources mobilisées par ces individus au parcours atypique pour changer leur destinée scolaire. Les chapitres 10 à 16 s’inscrivent ainsi dans un cadre d’analyse qui place l’individu davantage comme un acteur. Dans un premier temps, ils reviennent sur des prénotions largement véhiculées dans les discours professionnel et médiatique. Ils nuancent ainsi deux arguments démontrant tout d’abord que si l’intérêt porté aux apprentissages peut influer sur le choix d’une filière, l’assiduité ou bien encore l’achèvement d’un cycle d’étude, il n’existe pas de corrélation significative entre celui-ci et la réussite aux épreuves scolaires. Ensuite, si les affects, « il accroche bien avec son professeur » (p.147), semblent être une piste d’analyse séduisante quant au (ré)investissement de l’élève pour son parcours, ils ne constituent pas un signe distinctif de cette population. Il faut donc regarder ailleurs, du côté des étiquettes scolaires par exemple avec « l’expérience de la bonne note » (chap.11) ou bien encore celle du « déclassement et du mépris » (chap.13). Ces expériences permettent à l’élève relégué d’envisager qu’il n’est pas à sa place, que son orientation en filière professionnelle n’était pas légitime, qu’il peut prétendre à autre chose et revoir ainsi ses aspirations en terme de poursuite d’études.
- 7 Baudelot Christian, Establet Roger, Allez les filles !, Paris, éd. Du Seuil, 1992.
- 8 Bourdieu Pierre, Champagne Patrick, « Les exclus de l’intérieur », Actes de la recherche en scienc (...)
7Si cette recherche s’intéresse à une population particulière des diplômés alors peu ou pas enquêtée, les différents points de l’analyse font écho à plusieurs études antérieures comme celle des comportements face à l’école en fonction du genre, qui rappelle les éléments mis en évidence à la fin des années 1980 par Christian Baudelot et Roger Establet7. Toutefois elle apporte des éléments nouveaux quant à la manière de penser l’orientation au sein du système scolaire, et ce notamment sur les passerelles et chemins détournés empruntés par ces étudiants. Elle vient également nuancer l’aspect définitif des relégations au sein du système scolaire8. On regrettera toutefois le caractère parfois un peu trop hybride de cette forme de restitution qui, en plus de mettre en avant l’interdisciplinarité de son analyse, mêle résultats scientifiques et préconisations militantes.