Au XIXme sicle, la psychologie fait partie intgrante de la philosophie. Au XXme, elle sen distingue pour faire du comportement humain son objet de recherche sous tous ses aspects psychiques, normaux ou pathologiques. On a de nos jours de plus en plus recours ses praticiens dans les tablissements d’enseignement, les hpitaux, dans les entreprises, ou bien lors de situations traumatisantes d’accidents ou de catastrophes naturelles, etc. Leur rle, selon le cas, est de tester, d’analyser des situations, de tenter de reprer des problmes et d’aider franchir des caps prouvants.
Du fait de son « objet » la fois complexe et vaste, il a fallu dlimiter les champs dintervention de la psychologie, ce qui cra des approches diffrencies par les mthodes et les prsupposs. En Europe, pour sen tenir l, deux coles se sont imposes majoritairement, on aurait pu penser quelles vivraient leur essor dans la complmentarit, ce ne fut pas le cas. Deux noms ont merg dans cet univers, le psychanalyste Sigmund Freud (1856-1939) pour lexploration de la vie affective dduite de la pathologie nvrotique, et Jean Piaget (1896-1980) pour ltude du dveloppement gntique de lenfant. Ce dernier adopta les principes mthodologiques des sciences de laboratoires en tudiant lenfant normal (ou en bonne sant) derrire une vitre, dans les crches, pour ne pas interfrer sur « lobjet » tudi. En fait, Piaget observait et tudiait aussi beaucoup paralllement ses recherches en laboratoire ses propres enfants.
Les psychanalystes au « chevet » du malade, quant eux, se rfrent toujours de nos jours, dans leur grande majorit, au modle labor par Freud et ractualis en France par Jacques Lacan (1901-1981).
Un corpus riche et htrogne construit dans un certain isolement
Il nest pas le lieu de proposer une analyse historique exhaustive pour mettre en vidence un cloisonnement et un isolement. Celle-ci serait cependant utile pour prendre du recul sur cet ensemble culturel de la psychologie qui parait la fois riche et htrogne. Nous voulons apporter une critique pour mentionner qutant donn le caractre extrmement complexe de labord de ltre humain, aucune cole, ou aucune thorie ne peut prtendre rpondre aux critres de scientificit, tels quils permettent de dfinir le savoir objectif issu des recherches fondamentales. Alors que ce dernier, dans lapproche singulire dun tre humain la premire personne, nest pas directement utilisable, car il lui faut tenir compte de lapproche justement singulire, lorsque lon tente den extraire des lments pour guider des pratiques (par exemple ducatives ou soignantes) sur une personne dans son individualit. De plus, les professionnels de ces champs de savoirs savent que les donnes scientifiques ou les thories qui recherchent des cohrences sont provisoires, donc en attente dtre rfutes ou de se dconstruire pour se reconstruire rgulirement. Ce qui oblige une certaine humilit.
On pourrait dire que la psychologie est victime de son succs tant donn le vaste ensemble de ses domaines dintervention. Par raction, les praticiens de la psychologie peuvent ressentir un malaise en constatant lampleur de ces domaines et lisolement do ils sont placs, cela, ds leur formation initiale. La psychologie senseigne en effet en Facults des Lettres et Sciences humaines alors que ses champs dinterventions touchent tous les aspects de la vie humaine. Autre point qui suscite un certain isolement culturel, au-del de la formation, cest celui de la dontologie des psychologues qui les rapproche de celle des mdecins. De ce fait, ils ne peuvent pas facilement dfendre des ides gnralistes, encore moins universelles, car leur approche sadresse la singularit humaine.
Ainsi, ils ne se risquent pas facilement tenter des gnralisations, par exemple sur la sant de nos contemporains ou la dgradation de leur sant craignant peut-tre dtre subjectivement influencs par leurs propres perceptions. Ils traitent de situations individuellement. Quelques sociologues ont tent dtudier des pathologies sous langle des dterminations sociologiques ou conomiques. Peu de psychologues se sont engags sur le terrain de laction sociale touchant le collectif pour faire tat de leurs perceptions au chevet de populations qui souffrent, en imaginant des alternatives de prvention par exemple. Dans le cadre ducatif, nous avons les psychologues scolaires dont le rayon daction est limit.
Citons Franoise Dolto (1908-1988) qui anima des missions de radio pour promouvoir, des fins de prvention, sur une grande chelle, de nouvelles connaissances pour « La cause des enfants ». Elle milita galement promouvoir des espaces dchanges, autour de lenfant, avec leurs parents dans ses « Maisons Vertes ».
Ce faible engagement de la corporation des psychologues serait tudier. Nous pensons quil serait li au fait que la psychologie souffre davoir t dissocie des sciences biologiques. A son plus grand avantage, la psychologie profite de nos jours la fois des travaux de la psychologie volutionniste et des dcouvertes lies lexploration du cerveau. Les neurosciences et sciences cognitives contribuent en effet une entreprise de dconstruction pour r-envisager les anciennes thories piagtienne ou freudienne notamment, par exemple, sous de nouvelles perspectives. Toutes les sciences biologiques, et psychologiques avec toutes leurs spcialits, lthologie comprise ainsi que les sciences sociales sociologiques et ethnologiques ont leur mot dire lorsquun savoir prouv et valid scientifiquement merge dans ces champs dexploration de la complexit humaine. La dcouverte, par exemple des neurones miroirs et des fondements naturels de lempathie, considrs comme « un sixime sens » (Marie-Lise Brunel et Jacques Cosnier, 2012) nont pas fini de bousculer les thories psychologiques. Tout ceci peut conduire la paralysie dans un premier temps.
Une ouverture liant humilit et indiscipline
Nous pensons au contraire quil est possible dapprhender cette complexit humaine des fins dinterventions et de pratiques innovantes condition dtre anim dune ouverture liant humilit et indiscipline. Une certaine indiscipline ne peut que conduire lmergence de nouvelles rceptivits, de nouvelles questions, de nouvelles hypothses, de nouvelles exprimentations. Des colloques interdisciplinaires et transdisciplinaires liant sciences de la vie et sciences humaines, comme ceux organiss par lAssociation internationale de neuropsychanalyse sous limpulsion de Marc Solms ont lieu depuis les annes 2000 aux tats-Unis, au Canada et au Brsil comme en Europe. Ils runissent de plus en plus de chercheurs soucieux de sextraire par intermittence de leur discipline qui risquerait de les conduire vers un certain isolement.
En attendant le grand jour de la « concilience » Edouard. O Wilson ou Lunicit du savoir (2000), ce vers quoi il faut tendre, nous pensons que cet tat desprit douverture devrait tre stimul par un nouveau ministre qui pourrait mettre lordre du jour lapproche transversale des sciences de la vie aux sciences humaines et sociales applique lducation et la sant de lenfant. Ce ministre pourrait stimuler des groupes de travail qui pourraient synthtiser des savoirs pour linstant disjoints afin den retirer des lments pouvant la fois dynamiser les parents et les professionnels de lducation et la sant de lenfant accompagnant les parents. Il sagit de populariser des savoirs fiables et valids scientifiquement, prsents comme provisoires afin dviter tout dogmatisme.
Une telle tentative de prendre en compte lcole les donnes psychologiques avait t envisage avec lintroduction de la psychologie dite « scolaire », dans le plan Langevin Wallon. Ce plan novateur, issu du Conseil national de la Rsistance na jamais t dbattu au Parlement. A sa relecture, son contenu est flambant dactualit.
Paulus Frdric, Marc Poumadre, Bruno Gavarri, Jean-Marie de Sigoyer, Chantal Jouvenot