Investir avec succès n’est pas chose aisée, mais cela ne nécessite pas d’un génie. Warren Buffett aimait à rappeler qu’il n’est pas nécessaire de mobiliser une importante énergie cérébrale pour investir, mais qu’il est indispensable d’avoir le tempérament nécessaire « pour contrôler les pulsions qui peuvent conduire d’autres à prendre des décisions d’investissement malheureuses. » Son mentor Benjamin Graham rappelait que le premier ennemi de tout investisseur n’est autre que lui-même.
Investir avec succès requiert donc une chose très rare : la capacité d’identifier et de dépasser les faiblesses de son propre esprit. Au cours des dernières décennies, la psychologie a imprégné notre culture. Plus récemment, son influence s’est étendue au domaine de la finance comportementale, avec une production importante de recherche académique [le prix Nobel d’économie a été attribué en 2002 à Daniel Kahneman, l’un des fondateurs de la finance comportementale].
1. L'excès de confiance
L’excès de confiance renvoie à notre tendance à surévaluer nos capacités (intellectuelles ou autres) qu’elles ne le sont en réalité. 82% des personnes affirment ainsi faire partie des 30% des personnes les plus prudentes au volant, par exemple. De plus, lorsque les gens affirment être sûrs d’une chose à 90%, des études montrent qu’ils n’ont raison que dans 70% des cas. Un tel optimisme n’est pas forcément une mauvaise chose.
Néanmoins, l’excès de confiance peut être une source de déconvenues, en particulier lorsque l’on croit avoir découvert une nouvelle pépite en Bourse. La réalité est que c’est rarement le cas.
Les études montrent que l’excès de confiance conduit les investisseurs à acheter/vendre plus rapidement car ils sont convaincus d’en savoir plus que leur contrepartie. Il faut pourtant rappeler que les coûts de transaction (commissions, impôts, pertes liées au spread bid-ask) ont une fâcheuse tendance à pénaliser fortement les rendements. Ces coûts de friction pèseront toujours sur le rendement final d’un investissement.
L’un des facteurs qui conduit à beaucoup trader, outre l’excès de confiance, est l’illusion de maîtriser la situation. Le fait d’être plus présent dans le suivi de nos investissements peut nous donner cette illusion de mieux contrôler nos finances, mais il existe un certain point où trop de contrôle peut être nuisible, ce que certaines études ont démontré.
2. La mémoire sélective
L’autre danger de l’excès de confiance est la mémoire sélective. Notre mémoire a tendance à isoler les événements pénibles ou douloureux, en particulier ceux qui sont la conséquence de nos propres actions. En matière d’investissement, on a tendance à généralement oublier les bonnes idées que l’on n’a pas achetées ou celles qui ont conduit à des pertes substantielles.
Plus nous avons confiance, plus ces expériences négatives affectent notre amour propre. Comment peut-on être un bon investisseur si l’on est capable de telles erreurs ? Plutôt que de se rappeler du passé de manière précise, en fait, nous nous remémorons de manière sélective en fonction de nos besoins ou de la manière dont cela préserve notre image.
Intégrer l’information de cette manière est appelé une « dissonance cognitive », un cas bien connu en psychologie. Cette notion signifie que nous sommes mal à l’aise devant des idées, opinions, croyances, attitudes ou comportements disparates et notre psyché aura besoin de faire la part des choses.
Corriger un choix du passé, surtout si l’on se pense investisseur avisé, mérite d’ajuster notre mémoire par rapport à ce choix malheureux. « Peut-être n’était-ce pas une si mauvaise décision de vendre ce titre ? » Ou « Peut-être n’ai-je pas perdu autant d’argent que je ne le craignais ». Au fil du temps, notre mémoire des événements sera moins précise pour s’adapter à ce que l’on veut bien en retenir.
Un autre type de mémoire sélective est le biais de représentation, qui nous pousse à accorder plus de poids à une preuve récente – des chiffres de performance de court-terme – et moins de poids à un passé plus distant. Cela nous conduit à accorder peu de poids à des événements qui ont une réelle probabilité de survenir.
3. L’autodénigrement
Les chercheurs ont identifié un autre biais qui est à l’opposé de l’excès de confiance. L’autodénigrement survient lorsque l’on tente d’expliquer n’importe quelle performance future décevante avec une raison qui peut être vraie ou pas.
Un exemple classique est de se dire que l’on ne se sent pas bien avant une présentation, de telle sorte que si cela se passe mal, l’explication sera toute trouvée.
En tant qu’investisseur, ce biais existe, par exemple lorsque l’on admet que l’on n’a pas passé assez de temps à étudier un titre comme on l’aurait fait dans le passé, au cas où cet investissement ne donnerait pas les résultats escomptés. L’excès de confiance et l’autodénigrement sont courants parmi les investisseurs, mais ce ne sont pas les seuls qui peuvent affecter la performance de nos décisions.
4. L’aversion au risque
Ce n’est pas une surprise, mais même si la plupart des lignes d’un portefeuille sont dans le vert, les investisseurs auront tendance à être obsédés par les positions qui perdent de l’argent. Ce comportement est appelé l’aversion au risque.
Ils sont ainsi plus enclins à vendre les positions qui gagnent de l’argent plutôt qu’à couper les positions dans le rouge.
Le regret peut aussi jouer un rôle dans l’aversion au risque. Il peut nous conduire à distinguer entre une mauvaise décision et un mauvais résultat. Nous regrettons de mauvais résultats, par exemple lorsqu’un titre aligne les phases de baisse alors que nous l’avions choisi pour toutes les bonnes raisons. Dans ce cas, le regret peut nous conduire à prendre la mauvaise décision de vendre, comme vendre un titre sur ses plus bas niveaux historiques au lieu d’en acheter davantage.
A cela s’ajoute le fait que l’on ressent plus fortement la pénibilité de perdre de l’argent que le plaisir d’en gagner. C’est en outre le refus d’accepter la pénibilité d’une perte qui peut nous amener à maintenir une position sur un titre dans l’espoir vain qu’il finira par nous faire gagner de l’argent.
5. Le coût irrécupérable
Un autre facteur peut jouer sur l’aversion au risque : le coût irrécupérable. Nous sommes incapables d’ignorer le coût irrécupérable d’une décision. Par exemple, si l’on achète des places d’un concert particulièrement chères pour apprendre avant celui-ci que ce sera une déception. Comme les billets ont été payés, nous aurons tendance à assister quand même au spectacle, chose que nous n’aurions sans doute pas fait si les billets nous avaient été donnés par un ami. Un comportement rationnel devrait amener à choisir d’aller ou pas au concert sur notre seul intérêt, pas sur le fait d’avoir acheté ou pas les billets.
Notre incapacité à ignorer le coût irrécupérable d’un investissement décevant peut nous conduire à mal évaluer certaines situations sur la seule base de leurs mérites propres. Les coûts irrécupérables peuvent nous conduire à conserver un titre en portefeuille même si l’activité sous-jacente se détériore, plutôt que de nous amener à couper notre position. Si l’action qui perd de l’argent nous avait été donnée, peut-être aurions-nous décidé de la céder il y a bien longtemps.
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